Dernière chance

« Chronique d’une mort annoncée »

Tribune libre

DERNIÈRE CHANCE ou « Chronique d’une mort annoncée »
Un jour de plus

Une année

Une décennie encore

À manifester dans notre ville

À arpenter nos artères

À scruter notre avenir

Un jour de plus

Quelques années encore

Le corps dans les broussailles

À humer l’odeur de la mort

Tour à tour, à crier, soupeser, taire nos révoltes

Nos envies, nos désirs

Nos espoirs venus du fond de nos âges

Quelque temps encore

Et nous ne serons plus

Que l’ombre de nous-mêmes

Minorité affable, affolée

Parcourant nos vieux boulevards

Nous parlerons français

Nous converserons en français

Ce sera nos derniers phonèmes

Nos derniers chants

Nos voix résonneront hautes

Sur les terres de notre territoire

On les entendra d’ici en Angleterre

Mais le fleuve entre nous aura changé de couleur

D’odeurs, de manières

Il n’y aura plus de phare

Plus de repère sur la côte

La ville d’où nous venons ne reconnaîtra plus ses enfants d’hier

Parler, d’évidence, ne sera pas suffisant

Pour ne pas périr

Pour ralentir le temps à notre guise

Nous nous mettrons alors à écrire à toute allure

Mains pressées, hâtives

Nous énoncerons que le dernier jour est un couteau debout dans le sable

Il est un rêve de village, d’homme, d’humain confiant sous le soleil

Toutes les bizarreries de cette terre, les combats pour notre liberté

Nous reviendrons en liesses comme autant de chapitres à nommer, à raconter, à offrir.

Nous écrirons sans arrêt dans notre langue première

Nos mots seront des ancres, des coffres, des bijoux

D’urgence, avant de disparaître

Nous consignerons les évènements de notre histoire

Nous écrirons avant qu’une très vieille dame parmi les nôtres

Ne s’endorme un soir et ne se réveille seule de son espèce

Sans pouvoir transmettre son rêve le plus profond

L’émoi de son cœur noyé dans le siècle

De nos magistratures

Dans la banalisation, l’écrasement des cultures.

Oui, elle livrera bientôt son dernier souffle notre langue

Elle mourra avec nous, nous mourrons avec elle

Nos décès sont annoncés depuis suffisamment d’années

Pour que nous prenions garde à ce temps de demain

Pour que nous réagissions, revenions immaculés et nombreux

Devant le palais de nos songes

Que nous montions ensemble le chapiteau de la survie

De la dernière chance

Oui, comme la peine qui nous assaille aujourd’hui

Nous écrirons en lettres capitales

QUÉBÉCOIS

Le nom de notre peuple

Sa parlure et ses manières

Tous les patronymes de nos ancêtres

Nos rébellions et nos aveux de misère

Nos victoires de soir de premières

Mais nous aurons beau dire et faire

Il ne nous restera que quelques années

Pour affirmer notre destin

C’est notre seule chance

La seule étoile qu’il nous reste

Combien de jours

À refaire le même chemin

À croiser le même destin?

Avant la grande débâcle

La grande tristesse

Avant l’irrémédiable

La mort et l’enterrement

De notre nation

En terre du Québec.

Un autre jour, une autre année…

Une décennie

Métaphorique, puissante

À ne pas demander nos restes??

À nous laisser piétiner

Dominer, exploiter

À nous laisser mourir

Sous un hymne étranger

Anglais, par-dessus-le marché?

Quelques temps encore

Oh douce éternité!

Tout juste l’occasion de nous re-solidariser

De nous in-soumettre

De nous affirmer

De nous libérer

De devenir

Souverainement indépendants.
Avril 2010
P.S. Chronique d’une mort annoncée : titre d’un roman de Gabriel Garcia Marquez

Featured 9667633ae5aaba20845bac85fb41b69e

France Bonneau39 articles

  • 32 369

France Bonneau est professeure de français auprès des adultes-immigrant-e-s . (MICC)





Laissez un commentaire



1 commentaire

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    17 avril 2010

    Chartrand dit : Ce qui caractérise le Québécois, c’est sa résistance morale. Sans parler de sa résistance physique : rien que les bœufs survivaient !
    Il dit aussi : Nationaliste ? Mais c’est ta nature’sti !
    Ou encore : Moi, j’ai pas fait de thèse sur l’indépendance du Québec mais à ceux qui disent que ça nous f’rait tort, j’réponds : Avec les millions de chômeurs qu’on a, comment ça pourrait nous rempirer ? On manqu’rait de quoi ? Du papierQ à p’tites fleurs ? Pas grave, on prendrait la Gazette pis l’Globe, hah !
    Il n’est pas mort en vain, Chartrand :
    exactement au moment où le peuple voit le chat sortir du sac à Québec. Au moment aussi où une pétition circule pour que le Centre Cloche résonne de la chanson Maurice Richard ! Toutes ces coïncidences apprennent des choses à la relève nationaliste. Plusieurs n’ont jamais su que le forum était séparé en un côté français et un côté anglais, que cette minorité qui se prend pour une majorité, représentée par Clarence Campbell, voulut nous provoquer en faisant saigner Maurice Richard sur la glace à coups de poings, en le suspendant des séries puis en le faisant manger dans sa main en privé pour contrôler son retour à ses conditions (faux aveux) parce qu’un Canadien français, ça tire le yâb par la queue pis ç’a toujours son prix !…
    Parlons à nos jeunes, ils pourraient aussi bien comprendre. Aussi à nos vieux, ils pourraient aussi bien se souvenir… Quant à nous, UNISSONS tous les indépendantistes dispersés puisque les fédés sont rarement récupérables.