C'était hier. Dans le tourbillon du développement de l’industrie lourde, de celle des pâtes et papiers et de la production de lingots d’aluminium, au début du XXe siècle, on promettait que la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean allait devenir la Chicago du Nord. Quelque 100 ans plus tard, force est de se demander si notre région ne deviendra pas plutôt une Detroit du Nord avec ses échecs, ses ruines et ses rêves brisés.
Il y avait des travailleuses et des travailleurs de ce qu’on appelle « un moulin à carton », qui appartenait jadis à une grande entreprise québécoise. Cette usine produisait du carton pour des emballages de toutes sortes : des boîtes de céréales, des caisses de boissons gazeuses ou de bières, etc. Comme cette usine n’était pas la plus moderne et que l’employeur semblait ne pas vouloir investir dans sa modernisation, les travailleuses et les travailleurs ont pris sur eux de trouver de nouveaux produits à développer, pour tenter d’assurer l’avenir de leurs emplois. Cette recherche aura permis de trouver un nouveau produit à valeur ajoutée : un carton couché pouvant servir à la fabrication d’emballages alimentaires (en l’occurrence, des boîtes pour les mets chinois) et qu’on pouvait rincer et recycler après utilisation. Fiers de cette réussite, les salariés de l’usine croyaient bien avoir trouvé un filon qui permettrait d’assurer la pérennité des opérations et de leurs emplois.
Mais l’employeur n’entendait pas en faire autant pour assurer l’avenir de cette usine. De toute façon, le carton d’emballage alimentaire n’était pas vraiment dans sa palette et il ne souhaitait pas y investir une précieuse énergie. Vint pour lui le temps de s’en départir, avec quatre autres de ses usines qui produisaient du carton plat, vendues à une grosse entreprise américaine qui, elle, se spécialisait justement dans la production de produits d’emballage alimentaire. Cette décision aurait pu être une bonne nouvelle, si ce n’était du prix très bas de cette transaction : 45 millions de dollars. Une bouchée de pain pour cinq usines…
Le nouvel employeur a donc repris les rênes de la cartonnerie au début de l’année 2015, ne laissant rien transparaître de ses intentions réelles avec ses nouvelles acquisitions. Dans cette situation, toutes les travailleuses et tous les travailleurs de l’usine se sont mobilisés pour montrer de quoi ils et elles étaient capables : production en hausse, machines poussées à pleine vapeur, à un point tel que les commandes se faisaient plus rapidement que prévu. Si l’objectif était d’en mettre plein la vue au nouveau boss, c’était réussi avec brio.
Mais le 13 juillet 2015, le syndicat est convoqué à l’usine pour une annonce de l’employeur. Le président apprend avec stupeur que l’usine va fermer, plus rapidement que ne l’avait prévu le nouvel acquéreur. Le carnet de commandes a été complété à toute vitesse ! Il nous fait comprendre qu’il n’a jamais voulu de cette usine, trop loin, trop vieille. Il l’a achetée pour rendre un service au vendeur : assumer la responsabilité de la démanteler. […]
Au temps des colonies
Cette triste histoire est à l’image de la morosité économique qui plane sur la région depuis 25 ans. Les belles années du papier et de l’aluminium semblent révolues, alors que les grandes entreprises conservent la mainmise sur les ressources hydrauliques et forestières de la région. Ces richesses ne génèrent plus les dividendes espérés par la population du Saguenay–Lac-Saint-Jean ; le contrat social qui semblait lier la région à la grande entreprise est rompu.
Alcan, aujourd’hui Rio Tinto, règne en roi et maître sur la région. L’entreprise a toujours profité des largesses de l’État, que ce soit avec les pouvoirs hydrauliques qui ont échappé à la nationalisation ou, encore aujourd’hui, avec un projet de site de dépôt de résidus de bauxite aménagé près d’un quartier domiciliaire qui ne fera même pas l’objet d’audiences publiques. […]
La même chose prévaut pour l’industrie forestière, dont le gros joueur, Produits forestiers Résolu, qui se relève tout juste d’une quasi-faillite, monopolise la ressource forestière pour une production en constante crise conjoncturelle (en raison des nombreux conflits du bois d’oeuvre qui se succèdent) et structurelle (les besoins en papier journal vont de pair avec la crise de la presse écrite, qui décroît devant les nouvelles technologies).
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