Tout est prévu pour que se maintienne un certain équilibre. Dans le cadre radio-canadien, les questions litigieuses sont expliquées ultérieurement par le régime. Pas question de laisser à eux-mêmes la parole des candidats sans qu'on les interprète et les décode ultérieurement. Les journalistes confirment ou invalident les chiffres énoncés en cours de débat, une oeuvre de confinement méta politique. À vif, les quatre principaux candidats n'avaient pas droit à leurs notes et à leurs recherchistes; ce qui n'était pas le cas des journalistes qui ne s'en privent pas. Qui a gagné ? Les journalistes ou les politiques ? Ce pourrait être une autre façon de poser la question.
Il est vrai que les enjeux du quotidien ne peuvent être évacués. Et la politique spectacle est là pour nous rappeler que les questions du quotidien sont les seules qui semblent s'imposer. La politique-spectacle commence là et s'arrête là : former un conseil d'administration des affaires courantes de la société sans en contester le cadre.
Les analyses de Daniel Lessard ne sont pas idiotes, pertinentes même, mais elles servent au recadrage mainstream. Et Tasha ? Je serai gentil en jugeant que ses employeurs n'avaient pas une haute estime du français !!! Elle a été embauchée pour autre chose.
Couillard défend son bilan en usant de demi-vérités abondamment. Legault se faufile. Des promesses sensées et d'autres insensées.
Manon Massé qui a un peu dérogé, prêche sans patriotisme pour l'environnement. Argument massue pour l'indépendance, selon elle. Avec son « ils nous ont choisis » en parlant des immigrants, sans limite quantitative, QS reprend avec plus d'entrain que les autres la ligne de George Soros et de la grande bourgeoisie mondialisée sur l'immigration.
Manon Massé n'a pas parlé de la constituante chère à QS. Grave erreur de perspective. La constituante réclamée devrait se tenir au Canada, là où ça compte, et non au Québec. Le Québec reconnait déjà sa pluri-nationalité avec la Loi 99. Il reconnaît déjà quinze nations, dont treize nations ethniques ! C'est le Canada anglo-saxon qui est dans le plus profond déni psychologique - pour ne pas dire pathologique - de sa réalité pluri-nationale. Il reconnaît ses immigrants mais pas ses autochtones. Les autochtones sont les nations vaincues par la guerre de sept ans, qui n'existeraient aujourd'hui que comme débris identitaires d'un Canada aux prétentions post-nationales, faux nez de la domination anglo saxonne über alles.
Lisée allume des clignotants pour l'indépendance. S'il est élu - il ne le sera pas - le signal du départ sera donné dans quatre ans, sinon dans huit ans, en 2026. Le ciel peut attendre. Ceux qui voteront PQ voteront pour bien des choses qui n'ont rien à voir... bien souvent pour la simple épuration des moeurs. Le redressement de la moralité publique, rend certes nécessaire de virer les libéraux, mais n'a aucun rapport avec les enjeux nationaux qui divisent le Canada depuis 1760.
Le Québec refuse de s'affirmer mais aime tergiverser sur sa condition, tourner autour du pot. D'abord, qu'est-ce que le Québec ? Le Québec est-il une province, la réponse est oui. Le Québec est-il une nation ? La réponse est non.
De l'avis général, cette élection marquera la fin du PQ comme parti d'alternance. Son recadrage sur les seuls enjeux du quotidien ne lui permettra pas d'échapper à une trajectoire en déclin depuis 1995.
En marge des élections, voici, pour rappel, un examen des moments forts de ce parti lorsqu'il s'est occupé de la question nationale.
La fine équipe portée au panthéon de nos héros
« Je ne veux pas briser mais transformer radicalement notre union avec le Canada »
René Lévesque, oct. 1978
Pour moi, ce n'est pas si grave que Lévesque ait dit cela. Les positions néo-fédéralistes se retrouvent partout chez lui. Le problème c'est qu'il n'a pas tenu parole. Il porte avec Claude Morin la lourde responsabilité d'avoir tu ses engagements constitutionnels en 1981. Qui chez ses partisans n'aurait pas été satisfait qu'il plaide à Ottawa la transformation de notre union ? Qu'il dénonce la subordination pour défendre une relation d'égalité ?
Les négociations constitutionnelles se sont terminées abruptement avec la fameuse Nuit des longs couteaux (ici et ici) du 4 novembre 1981. C'est sur cet événement que toute l'attention médiatique et politique s'est durablement tournée. Or, comme un train peut en cacher un autre, ce n'était pourtant pas ce qui était le plus grave.
Ces longs couteaux rutilants ont permis de détourner l'attention sur le fait peu banal que la délégation du Québec était pilotée par un agent des services de renseignements. À moins de croire que la GRC rémunère ceux qui veulent « transformer radicalement» le Canada, on peut trouver là une explication plausible au fait que le dossier de notre reconnaissance nationale n'a pas été déposé à Ottawa.
En fait, la stratégie constitutionnelle du Québec était déjà en branle au moment où Lévesque niait l'existence de négociations avec Ottawa. Claude Morin faisait la navette entre les capitales provinciales pendant que Lévesque esquivait les questions insistantes de Claude Ryan, chef libéral de l'époque, sur les intentions constitutionnelles du PQ. Cette situation d'importance a été dissimulée pendant la campagne électorale de 1981 qui, pour le malheur du Québec, reporta le Parti québécois au pouvoir.
C'est donc à l'insu des électeurs que Claude Morin, premier lieutenant de Lévesque, organisait un front commun des provinces contre le fédéral. Forcément, ce front commun était prisonnier des formules acceptables à toutes les provinces. Cette provincialisation des enjeux écartait d'emblée la question nationale que le Québec posait depuis longtemps. Plus question de « transformer radicalement notre relation avec le Canada ».
Il faut savoir que le tandem Lévesque-Morin s'était présenté à Ottawa en position de faiblesse extrême. Qu'on aime l'entendre ou pas, les deux hommes agissaient en violation frontale de la volonté populaire. En effet, quelques mois plus tôt, le premier référendum de mai 1980 avait clairement refusé à Lévesque le mandat de négocier de nouveaux accords constitutionnels.
Dissimulation aux électeurs, couverture d'un agent fédéral et complicité avec lui, mépris de la démocratie, ils firent quand même à leur tête : se lançant dans des négociations historiques sans mandat, sans ambition et sans préparation ! Une aubaine pour le fédéral. Martin Bisaillon ne sera pas tendre avec Lévesque pour avoir sciemment gardé en place un homme qu'il savait recevoir de l'argent de la GRC. Il écrira : « Voilà certainement le geste politique le plus lâche et le plus égoïste de toute l'histoire contemporaine du Québec. »
Il s'agit en fait de l'épisode le plus humiliant de notre histoire et la défaite la plus cuisante - auto-infligée - qu'a fait subir au Québec un parti politique, toutes étiquettes confondues, depuis la Confédération.
Jacques Parizeau ramassa à la petite cuillère les débris laissés par Lévesque. Reprenant toutefois la même stratégie foireuse, celle du référendum élaborée et défendue par nul autre que Claude Morin. Coup de théâtre, le héros de remplacement démissionna dès l'annonce des résultats serrés du deuxième référendum comme une diva catastrophée. À sa décharge, car je n'ai rien de personnel contre Parizeau, il faut dire que son cabinet, formé des successeurs du grand parti souverainiste, l'avait déjà abandonné. Il n'avait plus à ses côtés qu'une poignée de fidèles. Curieux qu'il se soit engagé dans la mère de toutes les batailles avec un entourage aussi friable ! Faute de combattants au sein de l'état-major, les résultats contestables du référendum de 1995 en restèrent là ! Il regrettera plus tard de se trouver devant « un champ de ruines », refusant toutefois d'y voir sa propre main.
Était-ce le peuple qui avait lâché ?
Et ça continue. On peut notamment s'étonner que le PQ n'ait jamais réclamé l'annulation des négociations constitutionnelles de 1981. N'étaient-elles pas viciées dès le départ du fait qu'une délégation provinciale était pilotée par un agent des services fédéraux ? Ne croyez vous pas que cela pourrait se défendre en droit international ? Ne croyez-vous pas que Parizeau aurait mieux fait de demander l'annulation des décisions constitutionnelles ? De faire campagne sur cette question plutôt que d'y aller d'un autre pari référendaire dans le vide, comme s'il n'y avait aucune cause pendante à plaider contre Ottawa ? Surtout, pourquoi a-t-il choisi de persister dans la voie funeste tracée par Claude Morin et ses conseillers anglos du camp fédéral ?
Et ça continue (bis). Jean-François Lisée, candidat péquiste aux présentes élections, vient de renoncer à promouvoir le projet politique de son parti. Est-ce bien nouveau de sa part ? En écrivant un discours de capitulation, livré par Lucien Bouchard au Centaur, Lisée et Bouchard n'étaient-ils pas aux premiers rangs de ceux qui avaient déjà renoncé, dès 1995, à défendre les intérêts de la nation socio-historique ? Ne reste à Lisée que le charme du joueur de flute de Hamelin. Lisée a compris qu'il ne peut pas parler de souveraineté. Le bilan de son parti, qu'il continue d'assumer, le lui interdit. Si les Québécois ont le moindre jugement, et je pense qu'ils en ont, jamais ils ne redonneront leur confiance au Parti québécois. L'épisode des grands espoirs péquistes est terminé.
Alors qui a lâché ?
Je ne reviendrai pas sur un compte rendu plus détaillé des analystes, commentateurs et politiques à s'en prendre au peuple pour les déboires du PQ. (Comme ici) Je pense que le PQ a fait lui-même tout ce qu'il faut pour égrener le support populaire dont in jouissait.
Le peuple ne s'est jamais « dit non à lui-même », comme on l'entend souvent. Un peuple ne se dit pas non. Il se prononce. Mais l'argument est sans cesse ressassé, comme pour masquer que les grandes figures du panthéon de nos échecs ont manqué à leur devoir. Ils l'ont fait dans des moments de grande importance, comme ces négociations constitutionnelles bâclées qui ont façonné pour le pire notre destin. La défaite du référendum de 1980 n'avait pas pour conséquence obligée de nous enfoncer davantage avec le fiasco constitutionnel de 1981-1982.
Faire l'analyse des années péquistes en privilégiant son impact sur la question nationale est un exercice fort déprimant. Or, on ne saurait plus longtemps en faire l'économie. Il se trouve au bout de l'exercice des effets libérateurs, au moins psychologiques, même si la classe politico-médiatique, complice d'un cafouillage de cinquante ans, refuse de nous y accompagner en trafiquant l'histoire.
De toute façon nous sommes ailleurs. L'ADN du Canada représenté par sa constitution, le prédestine à la contestation des nations qu'il a refusé de reconnaître. C'est aux Amérindiens, Canadiens (1), Acadiens et à tous les autochtones de revendiquer leurs droits constitutionnels de nations négligées.
________
1- «Canadiens» écrit avec trois «a» est un mot qui n'existait pas avant 1867. Le mot «Canadian» est une appropriation coloniale d'une réalité socio-historique conquise, autre et intraduisible. Il n'y a pas d'équivalent en anglais pour Canadien.
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3 commentaires
Gilles Verrier Répondre
16 septembre 2018Merci Monsieur Bouchard pour votre commentaire très pertinent.
Vous avez bien raison, l'identité québécoise a pour créateur Lord Halifax, artisan du génocide acadien. Le nom The Province of Quebec apparaît pour la première fois par une décision du Conseil privé du 19 septembre 1763. C'était pour brouiller notre identité de Canadiens et diviser les territoires conquis. Il a fallu deux cents ans pour que nous cédions à nos maîtres en adoptant l'identité des vaincus. Jusque là on n'avait jamais cessé de se désigner comme Canadiens. Il n'y a pas de fierté à s'appeler Québécois puisque cela ne permet pas de remonter aux sources de notre histoire. Québécois fait commencer notre histoire avec le régime colonial anglais. En outre, ce changement d'identité pour « Québécois » a été facilité par l'adoption du concept anglo-saxon de la nation : on a proclamé la supériorité morale de la nation « civique » pour se conformer à la doxa anglo selon laquelle l'appartenance à la nation est définie par l'État. La nation désormais définie par un principe de puissance et non par la communauté de conscience. Nous voilà donc avec une nation civique définie par l'État, la Loi 99, composée de plusieurs nations socio-historiques mal nommées, devenues impossibles à définir correctement.
L'état du Québec n'est pas la nation. L'état n'essaie pas non plus de représenter une nation. Il représente l'ensemble des Québécois, soit ceux dont l'identité s'est formée sur la négation des autres, les anglos, et, au même titre, tous ceux qui ne jouissent d'aucune reconnaissance nationale au sein du Canada. Ce n'est pas l'État du Québec qui est dominé, c'est la nation socio-historique-culturelle canadienne française.
Il faut commencer. Le programme que je propose vise à redonner tous ses droits à la nation socio-historique fondée en 1602. Dans l'optique d'une renaissance, c'est l'action politique qui est la plus à même d'entraîner avec elle des changements quant à notre affirmation sociale, culturelle, etc. Redonner de la cohésion.
Gilles Verrier Répondre
16 septembre 2018Message de l'auteur :
Une version augmentée et mise à jour de mon texte se trouve ici :
Éric F. Bouchard Répondre
16 septembre 2018Monsieur Verrier,
Que notre peuple se soit dit « non » ou pas, et quelles qu'en soient les raisons, le problème est plutôt qu’il ne puisse plus se dire, point. Depuis l’imposition de la québécitude au tournant des années 1970, cela tant par les néo-nationalistes péquistes que libéraux, notre peuple vit dans une équivoque identitaire des plus débilitantes.
En acceptant de devenir Québécois, les Canadiens-Français ont cessé d’affirmer, de défendre et de célébrer leur singularité nationale. Ils ont appris à ne plus se dire qu'avec les Anglais et les Néo-Québécois; qu'à se dire avec l'Autre, et au même titre que l'Autre, dans un pluralisme structurel et légal consolidé par l'État du Québec depuis près de 50 ans déjà.
Tant que nous ne nous définirons pas à nouveau pour ce que nous sommes , tant que la nation canadienne-française ne clamera pas haut et fort son existence et ses droits, comme du temps de Lafontaine, de Mercier, de Groulx ou de Daniel Johnson père, aucun État ne sera nôtre, aucun parti politique ne pourra nous défendre ouvertement, aucune négociation constitutionnelle ne pourra nous reconnaître, et aucun autre avenir qu’une inéluctable minorisation ne nous sera accordé.
C'est au relèvement d'une société nationale qu'ils nous faudrait d'abord oeuvrer.