Vive la République! Vive la République québécoise!
Le cri est interdit aux quasi-apatrides que nous sommes. Nous étions Canadiens. Le Tapis nous a glissé sous les pieds. L'Acte constitutionnel de 1791 fit de nous les Bas-Canadiens. Comme par hasard, les Haut-Canadiens, c'était les autres. Puis vint 1867. On se mit à nous désigner French Canadians sans pourtant qu'il y eût des English Canadians. Les Canadiens tout court, c'était les autres. Nous nous sommes traduits en Canadiens français.
Plus patriotes que les autres, nous leur avons donné un hymne national, cadeau qu'ils ont longtemps refusé. Nous avons réclamé et obtenu un drapeau distinctif auquel les autres ont longtemps préféré les emblèmes coloniaux.
Après d'illusoires et interminables luttes pour l'égalité, nous avons été de plus en plus nombreux à nous sentir Québécois, bien que légalement Canadiens. Nos poètes ont alors chanté le pays réel, qui pourtant était encore fictif.
Faut-il s'étonner de nos hésitations référendaires? La bataille des plaines d'Abraham a fait de nous, qui étions alors sujets du roi de France, des sujets du roi d'Angleterre. Nous sommes des colons colonisés. La liberté? Connais pas!
Les poussées de fièvre - coppsiste - ne peuvent masquer le fait que le Canada, toujours soumis à la couronne d'Angleterre, est un pays inachevé. Que nous le voulions ou non, la reine est notre chef d'État, représentée par le gouverneur général et son peloton de lieutenants-gouverneurs. Aucun projet de loi ne devient loi sans leur signature.
Il faut croire que les Canadians sont plus bornés politiquement que les Australiens. Ceux-ci sont en train de rompre le lien monarchique.
LA BASE DU CIVISME
Il est de bon ton de considérer que ces questions n'ont pas d'importance. Elles sont pourtant à la base du civisme, une base fragile, étant donné la faible popularité de la reine d'Angleterre parmi les Québécois. De ce civisme chancelant résulte une remarquable ignorance de la nature des institutions, ignorance que l'on peut observe même parmi l'élite politique. Ainsi, lorsque Jacques Parizeau est devenu premier ministre du Québec, en 1994, le lieutenant-gouverneur Martial Asselin, oubliant qu'il ne représentait que la reine, l'a félicité -au nom du peuple québécois-!
Les deux successeurs de M. Asselin, Jean-Louis Roux et Lise Thibault, ont déployé de vaillants efforts pour donner un sens à leur fonction. C'est peine perdue. Le lieutenant-gouverneur n'est qu'un fantoche, la marionnette de la reine, le lieutenant-gouverneur n'a le droit de dire, de son propre chef, que de totales banalités. Il n'y a pas là de quoi inspirer la ferveur civique.
L'ignorance des institutions se manifeste aussi parmi les ministres et les députés qui, souvent. confondent allègrement parlement et gouvernement. Pas plus éclairés, politologues et journalistes prétendent que tel gouvernement a adopté telle ou telle loi, ce qui revient à nier l'existence du parlement. Comment voulez-vous que celui qu'on appelle l'homme de la rue saisisse des notions que les «experts» brouillent?
LE PEUPLE-ROI
La structure monarchique perdure, faute du courage minimal qu'il faudrait mobiliser pour l'abolir. Elle peut paraître inoffensive, mais elle fait grand tort par ce dont elle nous prive. On nous impute souvent une mentalité de colonisés: c'est le maître qui a raison. Or le maître est insaisissable. Il est à Ottawa, ou quelque part dans ce vaste continent, ou au delà de l'océan... Faute de savoir à qui nous en prendre, nous doutons de nous-mêmes. D'où notre tempérament que l'on dit normand. D'où notre indécision référendaire.
Ainsi, le régime monarchique nous prive de cohésion, disons le mot honni: de cohésion nationale. Entre la nostalgie du Canada ancestral et le vertige du pays nouveau, notre coeur balance. Si l'esprit républicain se répandait chez nous, nous comprendrions que le vrai monarque, c'est le citoyen. C'est vous et moi. C'est le peuple investi de tous les pouvoirs et, comme disait Robert Bourassa dans un moment de grâce, maître de son destin.
Obnubilé par l'électoralisme à court terme, le Parti québécois a failli à une tâche essentielle, celle de construire, dans l'imaginaire populaire, le futur pays du Québec, avec ses valeurs, sa constitution, ses institutions qui seront évidemment républicaines. J'entendais récemment deux ministres du gouvernement Bouchard affirmer, comme s'il s'agissait d'un axiome, qu'après une défaite référendaire (défaite, faut-il dire, que le Canada a interprétée comme une quasi-victoire), on ne peut pas parler de souveraineté. Au contraire, comme dirait Jacques Parizeau, il faut en parler tout le temps, il faut que les Québécois rêvent au pays qui leur appartiendra, avec un seul gouvernement, avec les institutions qu'ils auront choisies.
QUELLE RÉPUBLIQUE ?
L'erreur du Parti québécois a consisté à bâtir un programme de gouvernement plutôt qu'une république, comme si l'indépendance était faite de quelques mesures sociales et d'innombrables bonnes intentions. L'indépendance, c'est la fin du passé. C'est la rupture avec le Canada. C'est donner son congé à la reine et aux simagrées monarchiques. C'est la république et ses institutions. C'est la description exacte de pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire et des conditions de leur exercice. Il y a là matière à maints débats féconds, par exemple sur le mode de scrutin, auquel pourtant le Parti québécois s'intéressait au temps de Robert Burns, dans les années 70.
Quelle république? A la française? A l'américaine? Quels pouvoirs confier au chef d'État? Au chef de gouvernement? Un parlement à deux chambres? Si oui, comment élire les sénateurs? Comment inscrire la décentralisation dans les institutions? Comment permettre à l'État de s'acquitter de ses fonctions essentielles, notamment au chapitre du partage de la richesse, sans créer une lourde bureaucratie? Comment, dans un contexte de mondialisation (réelle ou fabriquée), protéger les petites cultures (qui sont parfois grandes)? Comment asseoir le pouvoir fondamental, celui du citoyen?
Les réponses à ces questions, les Québécois ont le droit de les exiger avant de voter pour l'indépendance. Les passer sous silence, c'est faire le jeu de l'adversaire.
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