ROCHEBAUCOURT | Un homme qui se bat depuis 50 ans pour sauver son village abitibien admet aujourd’hui avoir perdu la lutte alors qu’il est le seul à être resté dans son rang.
Arrivé à Rochebaucourt en 1936 avec son père pour fuir la misère de Saint-Hyacinthe, Hauris Lalancette a vu tous ses voisins agriculteurs partir pour aller travailler en ville, dans les mines ou dans la forêt. Si bien qu’il est aujourd’hui le seul avec son épouse et un de ses fils à habiter dans le rang renommé Lalancette.
Dans les années 1950, Rochebaucourt, situé entre Amos et Lebel-sur-Quévillon, en Abitibi, comptait 1800 habitants. Le village n’en héberge plus que 161. «Il y avait trois écoles juste dans mon rang. Il n’y en a plus qu’une pour les quatre paroisses de notre secteur», illustre M. Lalancette.
La situation dans le village voisin de Despinassy est pire, alors qu’il comptait à l’époque 2000 habitants et qu’ils ne sont plus que 15.
Quatre films
Dans les années 1970, le cinéaste Pierre Perrault a réalisé quatre documentaires
(voir filmographie) sur la lutte de M. Lalancette pour conserver le droit de vivre dans son rang, «son royaume», comme il l’appelle encore.
«Le gouvernement a voulu nous faire disparaître et il a presque réussi. Il donnait de l’argent aux gens pour déménager en ville», soutient M. Lalancette. Il raconte qu’un de ses voisins a reçu 20 000 $ pour s’en aller vivre «les deux pieds sur l’asphalte» à Val-d’Or avec ses sept enfants.
«Il est mort pauvre comme Job. Je n’ai jamais regretté d’être resté ici, même si on m’a offert 100 000 $ dans les années 1970 pour retourner à Saint-Hyacinthe. Le gouvernement a payé pour envoyer mon père ici et il voulait payer pour me faire prendre le chemin inverse. C’est ridicule. La paroisse ne fermera pas tant que j’aurai les yeux ouverts», promet M. Lalancette.
Selon l’homme de 84 ans, il y a de l’avenir pour l’agriculture en Abitibi avec les changements climatiques, mais il n’y a pas d’Abitibiens intéressés à travailler la terre.
«Dans les rangs, les gens sont rendus vieux et fatigués. Tous les jeunes sont partis dans les mines ou dans la forêt. Ce sont de grandes entreprises agricoles du sud qui achètent les terres. Mais ça ne fait pas des paroisses fortes. Ils viennent semer au printemps et récolter à l’automne. Dans 20 ans, plus personne ne va vivre ici», a-t-il prédit.
Il donne sa ferme
Il y a huit ans, M. Lalancette a donné sa ferme à son fils Dany, qui a élevé ses cinq enfants dans le rang.
«Je n’ai pas fait un bac en travail social pour garder des vaches. Mais mes parents veulent mourir ici et ça prend quelqu’un pour s’en occuper. Le maintien à domicile, c’est moi qui le fais. Je ne coûte rien au système», affirme Dany.
Dany Lalancette affirme que lorsque ses parents seront décédés, il ne restera pas à Rochebaucourt. Il s’en ira travailler dans son domaine et il reviendra chasser l’orignal une fois par année.
Filmographie
- 1975: Un royaume vous attend (Pierre Perrault et Bertrand Gosselin)
- 1976: Le retour à la terre (Pierre Perrault)
- 1977: C’était un Québécois en Bretagne, Madame! (Pierre Perrault)
- 1980: Gens d’Abitibi (Pierre Perrault)
- 2007: Au pays des colons (Denys Desjardins)
« Si tu veux fermer un village, mets des règlements »
Selon Dany Lalancette, les nombreux règlements imposés par le gouvernement sont une des raisons qui poussent les gens à quitter la campagne pour la ville, où les services sont assurés par la municipalité.
Il donne comme exemple l’obligation d’acheter une fosse septique à 40 000 $ afin de retirer le phosphore de l’eau.
«Ça vaut plus que le prix de ma terre. On est les seuls à habiter dans le rang. Ça dérange personne, qu’on n’ait pas ça. Le gouvernement ne pense jamais aux régions éloignées dans ses règlements et c’est ce qui nous tue», affirme-t-il.
Donner sa terre
Selon Hauris Lalancette, une loi l’empêchait de donner sa terre à son fils, mais il l’a fait quand même, car il n’aurait jamais pu rentabiliser la terre avec une dette.
«J’aurais dû travailler 40 heures par semaine comme fonctionnaire en plus d’entretenir la terre le soir pour rentabiliser ça. Ça n’avait pas de sens. Là, quand un veau naît, je n’en dois pas la moitié à la banque. Il est à moi», soutient Dany Lalancette.
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