L’ÉCONOMIE MONDIALE ET NOUS

Dans la mire : nos protections sociales et notre patrimoine collectif (HQ et CDP)

On a confondu croissance légitime et enflure spéculative

Chronique de Richard Le Hir

La politique de faibles taux d’intérêt poursuivie par la Federal Reserve Bank américaine de 1998 à 2008 sous la direction pour la plus grande partie d’Alan Greenspan a joué dans l’économie mondiale le rôle que les stéroïdes anabolisants jouent dans le sport : elle a faussé les résultats, nous amenant à prendre pour de la croissance légitime ce qui n’était qu’une enflure spéculative.
Aujourd’hui, malgré les efforts risibles des dirigeants de la planète pour masquer la réalité par une fuite en avant, en s’accrochant désespérément au mirage d’une croissance devenue totalement illusoire dans les circonstances, et en s’imaginant que leur message d’optimisme va permettre de redynamiser l’économie suffisamment pour qu’elle s’arrache à l’emprise des chiffres dégonflés, nous sommes confrontés à une crise d’une ampleur sans précédent, encore plus grave que celle des années 1930, aux dires de certains éminents spécialistes.
Cette semaine, si les images des manifestations en Grèce ont eu un tel retentissement à travers le monde, c’est qu’elles nous ont tous permis de prendre la mesure de ce qui nous attend, la Grèce n’étant que le premier pays à tomber. On aura beau dire que le modèle grec était particulièrement délinquant, la réalité demeure que ses chiffres ne sont pas vraiment plus mauvais que ceux de bien d’autres pays dont les économies pèsent diablement plus lourd. Il se trouve simplement que la Grèce est le maillon le plus faible de la chaîne.
Impossible de traiter un problème si l’on n’en mesure pas correctement l’ampleur. Or non seulement l’éclatement de la bulle spéculative à l’origine de la crise financière se trouve-t-il à avoir ramené à zéro tous les gains réalisés entre 1998 et 2008, il met également en relief que nous n’avons pas connu de véritable croissance au cours de cette période, et que les résultats d’au moins les 5 années à venir seront lourdement hypothéqués par ses effets. Le vrai montant de la perte est donc grosso modo de 2,5 à 3 fois plus élevé que les chiffres produits jusqu’ici ne l'indiquent.
C’est énorme ! Mais ce n’est pas tout. L’ampleur de la perte subie nous force également à remettre en question les différents facteurs qui ont contribué à l’amplifier et à jouer le rôle d’accélérants, comme dans un incendie d’origine criminelle, et j’emploie cette image à dessein. Ils sont au nombre de deux : la déréglementation du système bancaire américain, et l’accélération de la mondialisation qu’elle a permise en rendant accessibles des flots de capitaux bon marché par le jeu de l’effet levier, de la titrisation de créances à risque (le fameux papier commercial adossé à des actifs ou PCAA), et des « credit default swaps », ou couvertures contre le risque de défaut de paiement.
À ce « jeu de cons », les Québécois ont d’abord perdu 40 milliards $ de leurs épargnes confiées à la Caisse de dépôts. Ça, ce fut instantané. Mais, plus alarmant encore, la suite des choses… En effet, la crise financière mondiale, en escamotant une grande part de notre richesse, nous laisserait particulièrement vulnérables. Non seulement nous dit-on que notre capacité à maintenir notre modèle de développement et nos protections sociales se trouve brutalement remise en question, mais nous laisse-t-on aussi présager que la pression économique risque de devenir telle que nous n’aurons pas d’autre choix que de brader nos « bijoux de famille » (lire ici Hydro-Québec et la Caisse de dépôts) pour remettre de l’ordre dans nos équilibres financiers.
C’est du moins ce que voudraient nous faire croire certains qui ont tout à gagner à ce que nous nous sentions au bord de la déconfiture. S’il est vrai que la situation va nous obliger, nous comme les autres, à revoir nos modes de fonctionnement, le Québec jouit de plusieurs avantages dont d’autres provinces ou pays ne jouissent pas, et que j’ai évoqués sur Vigile un peu plus tôt cette année dans un texte intitulé « Un carcan et des oeillères qui nous empêchent de voir clair ».
Que se pressent autour de nous des prédateurs financiers qui n’attendent que le meilleur moment pour faire main basse sur notre patrimoine collectif, il n’y a pas à s’en surprendre, c’est la logique du système. Mais que ces mêmes prédateurs se soient assurés de la connivence de nos dirigeants politiques pour parvenir à leurs fins dépasse les limites du système pour certainement enfreindre toute règle d’éthique, et « flirter » dangereusement avec les limites de la légalité.
Alors, que pouvons-nous faire pour éviter d’être mangés « tout rond » par les prédateurs qui nous menacent ? En toute priorité, et de toute urgence, reprendre les rênes de notre gouvernement pour les confier à des gens en qui nous pouvons avoir confiance. Ensuite, ne surtout pas nous priver de la marge de manoeuvre dont nous avons besoin pour tirer correctement notre épingle du jeu dans cette crise. Cela veut donc dire de jeter immédiatement le budget Charest-Bachand aux poubelles, car il se trouve à créer les conditions de notre étouffement et de notre assujettissement à l’agenda des « Lucides » aux sources duquel je suis remonté dans un texte antérieur (voir « [Power Corp., Hydro-Québec et les Lucides->26962] »).
À l’heure actuelle, ce qui est bon pour les États-Unis est bon pour le Québec. Si les Etats-Unis remettent à plus tard le règlement de leur déficit, il faut nous aussi garder les robinets ouverts, tout en sachant que nous devrons les refermer plus tard. Lorsque le moment viendra de le faire, il faut se dire que la situation aux États-Unis sur le plan de l’endettement sera tellement plus mauvaise que la nôtre que les mesures que nous aurons à adopter nous laisseront dans une très bonne position par rapport à eux sur le plan de la compétitivité de notre régime fiscal, et que nous n’aurons pas à redouter ni un exode des capitaux, ni un exode de la population. En économie, c’est la seule chose qui compte, car la compétitivité est une notion relative.


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4 commentaires

  • Jacques Bergeron Répondre

    10 mai 2010

    Depuis plusieurs années,plus spécialement depuis mars 2009, nous nous permettons d'essayer de démontrer que des rapaces de la finance tentent de mettre la main sur les actifs du Québec. Nous nous devons de relire le texte de l'ancien ministre des finances,un certain «Audet», (nom prédestiné au pays du Québec)ceux de Claude Garcia et de Jacques Ménard, sans oublier Paul Desmarais «ditPower» et ses intérêts financiers et de domination politico-économique sur le monde par le biais des sbires, Charest et Sarkozy du monde politique pour comprendre que les Actifs du Québec, même s'ils représentent plus du double de son «passif», risquent de tomber dans les escarcelles de ces ogres de la finance, comme vient le démontrer l'article de M. Lehir, pour qui les peuples ne sont que des outils de consommation et de servitude économique sur lesquels toutes leurs exactions sont permises,même de faire démissionner «hâtivement HP Rousseau», et de nommer un ami politique à la sa place, le dénommé Sabia qui avait précipité «BCE» dans le désastre financier connu, afin de le céder à Teachers qui l'a finalement abondonnée, non sans d'abord avoir gavé le dénommé Michael Sabia de millions «$», qui lui ont permis de refuser «sic» de toucher quelques dollars acquis lors de ces différentes tractations financières avant et afin d'occuper le poste de président de la «Caisse de dépôt du Québec».Lorsqu'une société refuse de produire un «bilan financier» devant permettre à ses actionnaires, les Québécois en l'occurrence,de mieux connaître l'état de leurs finances, au-delà du déficit budgéraire,on peut parier immédiatement que les rapaces financiers trouveront les moyens de s'accaparer de ses biens en lui indiquant que c'est le meilleur moyen de se défaire de sa dette, sans lui indiquer ,bien sûr, que son actif de plus ou moins 300 milliards«$», qui ne peut que s'améliorer,surtout dans le cas d'Hydro-Québec et de l'eau dont elle jouit, compense amplement,par sa valeur, le passif que représente sa dette.Ceci dit,notre gouvernement, ne doit pas pour autant se complaire dans les déficits budgétaires annuels. Il se doit de tout faire pour combler ses besoins financiers, notamment en mettant fin aux nombreux scandales qu'il a contribués à créer et en imposant les sociétés et les individus les plus riches de notre société,seuls et vrais moyens de répondre adéquatement aux besoins d'une société «sociale-démocrate» moderne qui se préoccupe d'abord de ses enfants et toutes ses concitoyennes et de tous ses concitoyens avant de s'occuper des ses riches et de ses millionnaires.

  • Archives de Vigile Répondre

    9 mai 2010

    Je dirais que la première de dépense est de couper dans les dépenses superflues.
    Moi-même, je suis dû pour changer mon laptop qui me fait des misères.
    Mais je refuse de m'abandonner au consumérisme. Tant que le mien pourra faire la job (Courriels et web), je le maintiendrai.
    S'acheter un bon vélo pour la plupart de ses déplacements. Avec un bon cadenas. Si le vélo doit rester longtemps à l'extérieur (un quart de travail), choisir un vélo de vil prix ou de valeur amoindrie serait recommandé. On coupe sur les frais de transports (gasoline et entretien de voiture ou passe mensuelle d'autobus).
    S'habituer à vivre à basse température en hiver (ex:19C).
    Éviter les douches/bains fréquents pour économiser l'eau chaude.
    Rompre l'abonnement avec la Presse ou Le Gazett.
    Abandonner le tabagisme. Abandonner Molson.
    etc..
    Rechercher les vraies valeurs.
    Pratiquer la décroissance volontaire.
    Vigile devrait peut-être ouvrir une section de préparation à l'indépendance individuelle, faute d'indépendance étatique.
    L'aggrégation des indépendances individuelles feront l'indépendance nationale. Peut-on avoir une indépendance collective si chacun développe une dépendance extérieure de notre collectivité ?
    Le rôle de la voiture fut de nous asservir aux lobbys du pétrole et du bitume. Il est notre premier ennemi.

  • Archives de Vigile Répondre

    8 mai 2010

    Bonsoir, M. Le Hir.
    Votre analyse est très juste. Bravo!
    Lawrence Tremblay.

  • Marcel Haché Répondre

    8 mai 2010

    Pour la forme et le fond : bravo M. Le Hir
    Votre texte démontre de façon éloquente que les solidaires pourraient être plus lucides, et les lucides plus solidaires.
    Que reste-t-il autrement ? La chorale des perroquets. Grand merci de ne pas en faire partie.