Old Harry et l'exploration pétrolière par Terre-Neuve

Danger de vol ou de pollution?

PLQ - La Grande Braderie des ressources naturelles



Le gisement de pétrole chevauche la frontière Québec-Terre-Neuve.
Infographie Le Soleil

Christian Simard, Nature Québec et Patrick Nadeau, SNAP Québec
_ Panique à Québec! Le gouvernement de Terre-Neuve pourrait gagner la course de l'exploitation pétrolière dans le golfe Saint-Laurent et «voler» le pétrole des Québécois, que dis-je «mon» pétrole! Cet argument repose sur la prétention suivante: le gisement Old Harry chevauchant les zones du golfe réclamées par Québec et Terre-Neuve, le premier qui y mettra sa paille risque de vider plus que sa part de lait au chocolat et de s'enrichir aux dépens de son voisin. Même s'il est exprimé plus ouvertement par le PQ, c'est le même argument du «vol» qui guide le gouvernement libéral dans sa hâte de signer coûte que coûte une entente avec Ottawa pour l'exploration et l'exploitation rapide de «notre» pétrole.
Mais voilà, cet argument ne résiste pas à l'analyse géologique, comme nous le verrons plus loin. Est-ce à dire que la volonté de Terre-Neuve d'émettre un permis d'exploration pétrolière dans le golfe est sans danger pour le Québec et l'ensemble des provinces riveraines du golfe? Absolument pas. Car, ici, il ne s'agit pas de lait au chocolat. La pollution potentielle, qu'elle soit sporadique (lors de fuites qualifiées de normales par l'industrie) ou issue d'un grave accident, ne respectera pas les limites définies dans le cadre d'ententes administratives. Tout incident risque de porter atteinte à l'écosystème du golfe Saint-Laurent, dont la dimension est 6 fois plus réduite que ne l'est, celle du golfe du Mexique. Et c'est lors d'un simple forage exploratoire, comme se propose d'autoriser Terre-Neuve, que le pire est survenu sur la plate-forme Deepwater Horizon de BP.
Une géologie respectueuse des frontières...
Curieusement, les structures géologiques du gisement Old Harry semblent respecter la réalité canadienne et ses frontières administratives. Le pétrole ne s'y trouve pas en vastes nappes également réparties sous les fonds marins, qu'il suffit de puiser allégrement comme les images qui nous viennent des déserts d'Arabie. En fait, il se concentre sous une couche étanche, sur les flancs de deux vastes dômes de sel, dont l'un est situé du côté du Québec et l'autre du côté de Terre-neuve, si l'on se fie au tracé «administratif» généralement reconnu. Les deux zones ne se touchent pas. Il y aurait bien une possibilité théorique de «vol» avec des forages horizontaux de plus de 10 kilomètres, à partir du territoire de Terre-Neuve vers la zone québécoise. Mais pourquoi se donner cette peine quand il y a une réserve sous nos pieds, accessible par forage vertical?
Sur la figure ci-dessous on voit, de haut, la structure géologique de Old Harry. Les deux dômes sont représentés par les tons de rouge plus foncés de part et d'autre de la figure. On y remarque aussi les deux permis de Corridor du côté québécois (quadrilatères bleus), le permis terreneuvien à droite ainsi que le site de forage proposé. De plus, on voit la frontière interprovinciale (ligne en tireté) qui coupe la structure géologique en deux parties.
... et des fuites qui ne respecteront rien
Si les réserves de pétrole sont assez bien délimitées dans des zones poreuses autour de deux grands dômes de sel, le pétrole qui risque de s'en échapper éventuellement n'aura pas cette précision dans ses panaches de dispersion. La fondation David Suzuki a produit d'intéressantes simulations en cas de fuites dans le golfe, disponibles sur son site (http://www.davidsuzuki.org). Rappelons simplement ici que la valeur des débarquements de produits marins, pour la seule partie québécoise du golfe, atteint 125 millions $ par année. Et c'est sans compter l'industrie touristique mais surtout la valeur inestimable en termes de biodiversité, de biens et services environnementaux d'un écosystème marin de cette envergure.
S'unir pour obtenir une évaluation environnementale avant l'émission de tout permis de forage
Nature Québec, SNAP Québec et les quelque 60 associations membres de la Coalition Saint-Laurent considèrent que toutes les forces citoyennes et politiques doivent converger au Québec, et ailleurs autour du golfe, pour exiger une évaluation environnementale complète par une commission indépendante. Cette évaluation devrait se faire avant l'émission de tout permis d'exploration du côté de Terre-Neuve.
L'opportunité est belle car l'office Canada-Terre-Neuve a été totalement discrédité par la commission Wells à la suite de l'accident qui a fait 17 morts en 2009 sur une plate-forme située du côté atlantique de Terre-Neuve. Cet Office, par sa structure même, n'est pas en mesure de faire une évaluation objective et une bonne gestion des risques environnementaux et de sécurité. Il doit être complètement réformé avant l'émission de tout nouveau permis de forage. Il serait risqué, irresponsable voire immoral d'agir autrement.
Demander et obtenir une commission fédérale d'évaluation environnementale complète, du côté terre-neuvien du golfe, permettrait au Québec de compléter sa propre évaluation (en cours) et de l'arrimer avec l'autre. À la suite de cet exercice, il sera toujours temps de signer des ententes avec Ottawa pour une exploitation raisonnée des ressources du golfe...ou mieux encore pour leur protection via des aires marines protégées.
Christian Simard, Nature Québec
Patrick Nadeau, SNAP Québec


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