Culture, soutien et solidarité

Les politiciens doivent comprendre que l’artiste ne fait pas juste éblouir, il éclaire.

IDÉES - la polis



Avant de faire le débat à savoir qui est artiste ou non, et pourquoi la culture est si nécessaire, il faudrait admettre l’idée même de culture, ce qui serait admettre, entre autres, l’idée de la profession d’artiste. Ces temps-ci, nos politiciens fédéraux sont plutôt sourds. Ils confondent création et divertissement, culture et système de vedettariat. Certains croient même que les artistes ont perdu la guerre de l’opinion publique concernant les coupes dans le domaine de la culture. Méfions-nous. C’est une fausse généralisation. De la même manière, il est vrai, il ne faut pas centrer uniquement sur les artistes la situation de pauvreté dans notre société. Malheureusement, nous sommes dans une époque où toute la société s’appauvrit. Cela dit, autant l’artiste a besoin de s’exprimer, autant le public a besoin de lui. Dans le débat actuel, on tente de les diviser. Quoi de mieux qu’un contexte électoral pour le faire. On croirait Machiavel en train de conseiller le Premier ministre canadien, joueur de piano à l’occasion : diviser pour régner.
S’il est vrai que un dollar investit dans la culture rapporte onze fois plus. Comment expliquer que cette logique économique n’éclaire pas M. Harper dans la prise de ses décisions. Lui qui vante tant ses propres mérites et ses compétences en matières économiques.
On ne peut nier, par ailleurs, que la reconnaissance du créateur et le succès économique d’une œuvre reposent sur sa circulation, sa diffusion et sa distribution la plus large possible. C’est ce que refusent de comprendre les Harper et Verner de ce bas-monde politique. Car le défi est aussi de protéger la capacité des artistes de poursuivre la création de leurs œuvres, de les faire circuler et de vivre de leur art en étant présents aux événements d’ici et d’ailleurs afin de profiter des relais que sont les institutions locales, nationales et internationales. Entre l’intime et l’universel, nos oeuvres témoignent de l’évolution des pensées et des mentalités de ce monde.
L’image de marque que projette un pays sur la scène internationale demeure incontournable. Ce sont les artistes qui donnent une personnalité à leur communauté et qui lui donnent son caractère universel. C’est pourquoi, le soutien aux artistes doit se fonder sur les liens à tisser sur le plan international avec les autres groupes d’artistes qui participent à la définition des grands courants culturels et artistiques. C’est en ce sens que leurs œuvres érigent au rang de patrimoine commun de la communauté, voire de l’humanité, leur contribution originale. Les arts donnent un élan de civilisation à un pays qui recherche la plus haute expression de son existence. Ce sont eux qui portent à bout de bras le développement culturel de leur société. Une société s’inscrit dans l’Histoire et dans la mémoire collective par ses arts et par sa capacité de se représenter à travers des œuvres fortes et originales qui lui confèrent son caractère unique.
Voilà pourquoi les gouvernements doivent aspirer à une plus grande solidarité fondée sur le besoin des arts dans une société afin d’assurer que les institutions culturelles demeurent vivantes et stables. Je vous dirais aussi qu’il y va du prestige d’un pays de mieux soutenir ses artistes et ses créateurs. Le soutien aux différentes formes de la culture est un impératif éthique, inséparable du travail de l’artiste dans sa société. Monsieur Harper n’a pas encore compris qu’il doit traiter le développement culturel comme une grande mission de l’État. L’actuel premier ministre canadien devrait mieux lire Machiavel : « Le Prince doit avoir à droite un économiste pour montrer sa puissance, et à sa gauche un poète, pour montrer son rayonnement. »
Il nous faut bien l’admettre, les artistes − plus facilement que les politiciens − transmettent mieux ce qui nous rassemble. Leur solidarité est réelle. En effet, l’acte même de créer n’est jamais un acte isolé. Tout artiste a besoin d’une profonde intégration dans la société pour que l’œuvre de beauté qu’il veut proposer rejoigne la conscience de chaque individu. L’artiste crée parce qu’il croit que quelque chose est menacé là où il vit. C’est pourquoi, imaginer une œuvre ne suffit pas, il faut la dire, l’exprimer, la faire entendre, afin que le peuple ne soit pas divorcé de sa culture. Les politiciens doivent comprendre que l’artiste ne fait pas juste éblouir, il éclaire. Grâce à l’art, toutes nos vies sont faites de transmissions qui nous aident à vivre. L’art ne change pas le bonheur de vivre, il l’échange.
Porteur d’identité et de valeurs, l’accès à la culture développe l’ouverture, la tolérance, la curiosité et le désir. En effet, les arts protègent les identités multiples parce qu’ils assurent la multiplicité des regards sur une société. Cette diversité fait partie du patrimoine humain ; elle est un droit fondamental de l’humanité. Les arts donnent le goût du pluriel. Je n’ose pas penser que le Premier ministre du Canada et sa ministre du Patrimoine s’inquiètent des effets de la liberté d’expression. Ils doivent comprendre et admettre que toute création d’une œuvre atteste d’un supplément de sens qui échappe au contrôle social. Car les rencontres de l’artiste avec son public sont une condition de l’épanouissement des arts dans une société. Les activités artistiques sont essentielles pour créer un esprit de solidarité et bâtir des collectivités dynamiques. La culture contribue à la qualité de vie des citoyens et constitue un élément dominant du rayonnement. Malheureusement, les gouvernements, accordant peu de crédit aux bienfaits des arts, n’agissent pas en conséquence. Porteuse de la qualité de vie, la culture valorise la cohésion et la solidarité sociales. L’investissement dans les arts améliore la vie des personnes ou de la société dans son ensemble. C’est ainsi que l’investissement dans les arts crée une valeur sociale très élevée. Car la culture est un bien commun qui ne se réduit pas à une opération comptable. Ces temps-ci, il est vrai, l’avenir annonce peu d’éclaircies.
Cela dit, il peut paraître paradoxal que les artistes québécois, particulièrement les indépendantistes, s’adressent au gouvernement fédéral pour défendre le soutien à ce qu’il convient d’appeler la culture québécoise. Tant et aussi longtemps que nous paierons des taxes à Ottawa, nous n’avons pas le choix de nous adresser à ce pallier de gouvernement. Par ailleurs, il ne faudrait pas que cela donne bonne conscience aux élus québécois. Le mérite actuel des présentes élections − nonobstant ce qui a suscité le débat (les coupures en matière de programmes culturels) −, c’est qu’on a jamais tant parlé de culture. On veut faire croire que cela divise, alors que c’est exactement le contraire qui se produit. On peut discuter longtemps sur les moyens pour soutenir la culture, mais sauf pour Harper qui a le mépris facile pour les artistes québécois, tous s’entendent sur sa nécessité. Cette solidarité doit trouver une réponse le 14 octobre prochain, jour d’élection.
Bruno Roy, écrivain


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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    6 octobre 2008

    Oui, notre vivre ensemble repose aussi sur la culture. Voilà pourquoi le présent combat réunit les forces vives les plus diverses... Voilà ce que n'a pas compris Radio Canada qui a détruit la Chaîne culturelle et qui de son vivant, l'avait anémiée...
    anne louise raymond, montréal