Québec -- Alors que le manifeste du Front de libération du Québec ressurgit dans l'actualité, un autre aspect de cette époque trouble refait surface: le Centre d'analyse et de documentation, ou CAD, que certains ont déjà qualifié de «police politique» de Robert Bourassa.
Une partie des archives du CAD, archives que l'on croyait avoir été presque entièrement détruites en 1977, existent toujours. Ces documents pourraient contenir des informations permettant d'éclaircir certaines zones d'ombre de l'histoire, notamment les liens entre le bureau du premier ministre Bourassa et la GRC, au moment où cette dernière commettait certains actes illégaux au Québec.
Après de nombreuses hésitations, les Archives nationales (AN) ont admis à l'écrivain Denis Lacasse, qui avait fait une demande auprès d'elles, avoir localisé «trois boîtes» du CAD. Dans une lettre adressée à M. Lacasse, datée du 27 août et signée par la directrice des Affaires juridiques des AN, Isabelle Lafrance, on précise que celles-ci sont situées au Centre d'archives de Québec. Elles contiennent «des photocopies de documents en provenance du CAD» et ont été retrouvées dans le Fonds de la Commission d'enquête sur des opérations policières en territoire québécois (commission Keable).
«Mémérages» et regrets
Créé en 1971 dans la foulée de la crise d'octobre par Robert Bourassa, le CAD a fiché quelque 6000 groupes et 30 000 personnes des milieux souverainistes, syndicaux et de la haute fonction publique. Le CAD a été démantelé en 1977 par le gouvernement Lévesque arrivé au pouvoir l'année précédente. En avril 1977, celui-ci a même procédé au déchiquetage des documents du CAD devant les membres de la Tribune de la presse du parlement de Québec. «Il n'y avait là que des mémérages», avait même déclaré René Lévesque.
En 1992, le Parti québécois -- alors dans l'opposition -- avait toutefois regretté la destruction des archives du CAD. Car un rapport secret datant de 1974 et signé par le patron du CAD, Gilles Néron, avait été exhumé. M. Néron y expliquait les relations étroites du Centre avec tous les corps policiers, au premier chef la Gendarmerie royale. Or, il a été révélé au début des années 90 que la GRC, durant les années 70, a espionné plusieurs personnalités au Québec, notamment des ministres du gouvernement Bourassa, Jean-Paul L'Allier et François Cloutier, ainsi que la militante péquiste (et future ministre) Louise Beaudoin.
Le 9 avril 1992, laissant entendre que la GRC avait peut-être répondu à certaines commandes du premier ministre Bourassa, le Parti québécois avait déposé une motion blâmant «le gouvernement du Québec, et plus particulièrement son premier ministre, pour leur refus de faire toute la lumière quant à la collaboration qui existait entre le défunt Centre d'analyse et de documentation et les autorités fédérales, à savoir la Gendarmerie royale du Canada, le Centre de planification et d'analyse de la police et de la sécurité et le Conseil privé du gouvernement canadien, de même que pour avoir prétendu que la commission d'enquête Keable avait, d'une façon très nette et très claire, exonéré le gouvernement de l'époque à cet égard». Le gouvernement libéral avait traité l'affaire de pure «fabulation» et Robert Bourassa avait réclamé des excuses au leader parlementaire du Parti québécois de l'époque, Guy Chevrette.
Menacés de destruction
Le 4 avril 1992, l'ancien ministre de la Justice Marc-André Bédard avait précisé à La Presse que les fiches du CAD qui contenaient des renseignements sur les individus avaient «toutes été détruites en 1977». Le reste, les documents d'analyse et les fiches sur les «associations», avait été envoyé à la sécurité publique.
On ignore évidemment quelle portion des papiers du CAD se trouve dans les trois boîtes du Fonds de la commission Keable. Dans une lettre, une archiviste de référence des AN, Marie-Ève Poulin, a toutefois précisé à M. Lacasse qu'elles «contiennent une grande quantité d'informations nominatives permettant d'identifier des individus». Par conséquent, des restrictions d'accès qualifiées de «maximales» s'appliqueraient à ces documents. C'est-à-dire? Aux Archives nationales une source a parlé d'une levée de l'embargo en... 2170. «Les délais maximums sont de l'ordre de 100 ans ou encore à perpétuité dans le cas de documents concernant la sécurité nationale», a-t-on précisé dans un courriel à M. Lacasse, fonctionnaire retraité du ministère des Relations internationales du Québec. «Seul le ministère de la Sécurité publique pourrait vous en permettre la consultation», lui a écrit Mme Poulin.
M. Lacasse (qui est en train d'écrire un roman sur la crise d'octobre pour les éditions Septentrion de l'ancien ministre péquiste Denis Vaugeois) craint que le ministre Dupuis ne décide de détruire carrément les trois fameuses boîtes, imitant en cela le geste du gouvernement Lévesque de 1977. Dans une lettre, le 31 août, M. Lacasse a donc demandé au ministre une permission spéciale de consulter des documents. Au cabinet de M. Dupuis, l'attaché de presse David Couturier a précisé la semaine dernière que la demande de M. Lacasse avait été acheminée à Mario Vaillancourt, responsable de la Loi d'accès à l'information dans le ministère et que c'est ce dernier qui lui donnerait une réponse. Joint par la suite, M. Vaillancourt ignorait quand la réponse viendrait.
Notons enfin qu'avant leur lettre du 27 août, les Archives nationales avaient, par la voix de Raynald Lessard, formellement nié au Devoir (le 31 juillet) l'existence des trois fameuses boîtes. Même Marie-Ève Poulin, l'archiviste qui avait traité dans un premier temps la demande de M. Lacasse, nous avait précisé cette même journée que l'écrivain avait probablement confondu l'existence de trois «fonds» d'archives (E10, P661 et P705), qui contiennent certains documents sur la crise d'octobre, avec trois «boîtes» de documents du CAD.
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Avec Christian Rioux
Crise d'octobre: Québec n'a pas tout détruit
Une partie des archives de la «police politique» de Bourassa existent toujours
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