La crise que traverse ces jours-ci le Bloc québécois, et dont Martine Ouellet fait très personnellement les frais, laisse percer une autre crise, autrement plus profonde et grave : la crise permanente et sourde des institutions politiques québécoises et canadiennes et l’extraordinaire agressivité — elle aussi, enfouie en temps normal — qu’elle génère.
Comment comprendre autrement l’engouement soudain pour une formation politique qui n’intéresse plus grand monde et cette inquiétante unanimité contre son chef ? Depuis le désaveu public d’une majorité des députés de sa formation, tout ce qui bredouille et scribouille au Québec veut, exige, la démission de Martine Ouellet. Le harcèlement médiatique des deux dernières semaines est du jamais vu en ce qui me concerne et j’attends — en vain ! — une sortie de Léa Clermont-Dion, une colonne de Francine Pelletier, que sais-je ? un élan solidaire de Manon Massé pour une femme qui fait preuve, dans ce milieu peuplé de mononcles et de bonshommes en costumes cravates, d’un courage assez extraordinaire.
La seule erreur de Martine Ouellet, qui lui sera sans doute fatale, c’est d’avoir cru possible de désavouer Ottawa à Ottawa
C’est qu’il ne s’agit pas de courage, mais de folie, faut-il entendre maintenant ; Mme Ouellet s’accroche à son poste par déraison pure, c’est une idiote qui ne comprend pas le message. Ce comportement déroutant pour les béni-oui-oui que rassemble la classe politico-médiatique, et l’électorat qui tète au quotidien le lait en poudre qu’elle dispense, révèle l’irréalité dans laquelle se déroule ce qu’on appelle ici la politique, une espèce de marge (un carré de sable dans un CPE, un terrain de shuffleboard dans une résidence soleil) concédée par le vrai pouvoir, qui, lui, continue en sourdine son travail de sape, derrière le show de boucane !
Cirque politico-médiatique
La seule erreur de Martine Ouellet, qui lui sera sans doute fatale, c’est d’avoir cru possible de désavouer Ottawa à Ottawa, de remettre en question le cadre depuis le cadre. Car s’y présenter, c’est déjà y adhérer, c’est faire acte de foi envers ses institutions et leur capacité de changer quoi que ce soit — ce qu’ont bien compris les démissionnaires et autres députés de province. Il faut être idiot pour ne pas le comprendre. Dans ce cadre malveillant par essence, l’art du compromis, celui de la politique — et qui fait si cruellement défaut à la chef bloquiste, au dire de ses détracteurs —, n’est rien d’autre que l’art de se compromettre sans arrêt jusqu’au ridicule. On y était rendus quand le Bloc et Gilles Duceppe ont pris leur débarque mémorable, mais chassez le naturel, il revient au galop !
La troupe de guignols est de retour ! Ce sont eux qui, trafiquant en coulisses, laissent fuiter des informations qui font dire aux analystes de TVA que « les jours de Martine sont comptés ». Eux, les « sources » dont les déplorables Bernard Drainville et Caroline St-Hilaire se disputent la primeur sous la mine réjouie du chasseur d’écureuils. Cette joute, ce cirque politico-médiatique, cette scène de famille me ferait honte si elle ne m’effrayait pas, car elle trahit une telle frustration, un tel dépit, une haine qui appelle sourdement au meurtre — qu’il soit symbolique ne devrait pas nous rassurer davantage.
J’ai toujours gardé en mémoire ce conseil, entendu à la radio, qu’avait donné un politologue américain réputé à un parterre d’étudiants de Harvard : la politique, c’est le lieu des furies, au sens où l’entendaient les Grecs. Si rien ne se passe, que vos propos et prises de position ne provoquent rien, posez-vous des questions, vous êtes à coup sûr dans le champ. Au Québec, il faut être idiot pour réveiller les furies, (re)découvrir ce qui se trame de dégueulasse derrière les apparences et la fausse bonne entente, pour dire ce qui saute aux yeux et que 150 ans de collaboration honteuse ont rendu invisible aux parvenus qui logent à droite comme à gauche, au centre et au-delà.