Il arrive fréquemment, lors du déclenchement d’une guerre, que les dirigeants politiques et les chefs militaires du temps de paix ne soient pas à la hauteur des nouveaux défis qu’impose le conflit militaire. Dans ces circonstances, l’histoire nous apprend que la chose à faire est de les remplacer.
Lors de la Seconde Guerre mondiale, Churchill remplace Chamberlain. De Gaulle prend la place laissée vacante par Pétain. Insatisfaits de leurs généraux, Roosevelt promeut Eisenhower et Staline nomme Joukov à la direction des opérations militaires.
Bien sûr, la lutte contre le COVID-19 n’est pas une guerre au sens propre du terme. Mais la métaphore n’est pas sans intérêt, d’autant plus que le personnel soignant et les membres des Forces armées dans les CHSLD nous disent qu’ils ont souvent « l’impression d’être dans une zone de guerre ».
Alors, après plus d’un mois de confinement et (au moins) 1041 morts, la question se pose : le trio Legault-McCann-Arruda a-t-il échoué? Le temps est-il venu de les remplacer si nous voulons vaincre le coronavirus?
Ligne Maginot
Évidemment, le bilan complet ne sera possible qu’une fois terminée cette douloureuse période, car nous n’avons pas tous les éléments en main pour identifier les multiples causes de la catastrophe. Mais cela ne doit pas nous empêcher de relever les pires erreurs dans les préparatifs, les évaluations et les décisions.
Le gouvernement Legault avait imaginé, comme les généraux français lors de la Seconde Guerre mondiale, qu’une ligne Maginot érigée autour des hôpitaux tiendrait à distance le virus. Celui-ci l’a contournée par le flanc et s’est attaqué aux CHSLD, laissés sans défense.
En fait, les CHSLD étaient déjà très vulnérables à cause du sous-financement passé, d’une main-d’œuvre sous-payée, souvent à l’emploi d’agences, travaillant dans plusieurs CHSLD et dépourvue du matériel de protection minimal.
Au cours des derniers jours, certaines personnes se réjouissaient que la disponibilité des lits dans les hôpitaux, et plus particulièrement aux soins intensifs, n’avait pas obligé les médecins et les directions des hôpitaux à procéder au triage des malades, c’est-à-dire d’avoir à choisir entre ceux qu’on soigne et ceux qu’on laisse mourir.
Mais, dans les faits, le triage a eu lieu ! On a décidé de déplacer de nombreux malades des hôpitaux vers les CHSLD, sans penser qu’on sacrifierait ainsi des personnes âgées. Avec comme résultat : 850 morts dans les CHSLD sur les 1041 attribuables au coronavirus en date du 21 avril. Au diable l’éthique tant vantée !
Cela c’est sans compter les dommages collatéraux, recensés par l’Association des cardiologues du Québec, de décès et de graves séquelles en raison du report d'activités hospitalières non urgentes et de la phobie du virus dans la population, résultant du manque d’ajustement rapide lorsqu’il s’est avéré qu’à peine un millier des sept mille lits réquisitionnés était occupé.
La Presse+ du 18 avril cite un gestionnaire expérimenté du réseau de la santé, qui a travaillé aux plus hauts niveaux. Son verdict est le suivant : « On a accéléré le transfert de ces gens-là partout où on pouvait. (…) Est-ce qu’on s’est assurés que ces endroits-là étaient prêts à les accueillir ? À mon avis, non ! On les a envoyés dans des milieux où on manquait cruellement de ressources. (…) Avait-on besoin de transférer cette clientèle de façon aussi massive ? La réponse est non ! »
Matériel manquant
Dans une guerre, l’armement et l’intendance sont évidemment très importants. Mais, dès le départ, le personnel soignant dans les CHSLD s’est plaint d’être envoyé au front sans l’armement nécessaire que sont les masques, les blouses, les gants et les visières.
Pourtant, après le SRAS en 2006, un rapport fédéral de 550 pages a été produit sur les préparatifs nécessaires en prévision d’une éventuelle pandémie. Il décrivait très précisément les différentes phases du développement de la pandémie, telles que nous les vivons aujourd’hui.
Le Rapport de 2006 recommandait au gouvernement canadien de constituer des réserves, d’un minimum de 16 semaines, de ventilateurs, de masques N95, de vêtements, de gants et de protecteurs faciaux pour les entreposer dans la Réserve nationale stratégique d'urgence, un organisme créé dans les années 1950.
En 2017, l’auditeur général de l’Ontario constatait qu’étaient périmés 80 % des stocks de 26 000 palettes de masques, visières, aiguilles, désinfectants et thermomètres d’une valeur de 45 millions de dollars. Cela comprenait 55 millions de masques N95. Ils n’ont pas été remplacés. Le gouvernement n’avait pas prévu de budget à cet effet.
Une des signataires du rapport de 2006 n’était nulle autre que le Dr Theresa Tam, qui a été nommée en 2017 au poste d'administrateur en chef de la santé publique du Canada et qui est actuellement chef de l'Agence de la santé publique du Canada.
Le Québec n’a pas fait mieux. La porte-parole du ministère de la Sécurité publique Louise Quintin expliquait à la journaliste du Devoir, le 4 avril dernier, que les stocks de matériel sanitaire n’avaient pas été renouvelés par crainte de « gaspiller ». L’État comptait ses sous, on compte maintenant les morts.
Le renseignement
À la guerre, le renseignement est crucial. Il faut connaître les objectifs et les stratégies, les forces et les faiblesses de l’ennemi. Dans le cas du COVID-19, nous pouvions avoir des informations essentielles non pas en espionnant nos ennemis… mais en s’informant auprès de pays amis frappés par le virus avant nous. La Chine, la Corée du Sud puis, plus tard, l’Italie. Chez les premiers, nous aurions pu apprendre, en plus du confinement le plus strict, la nécessité de tester et de porter des masques. De l’Italie, la vulnérabilité des résidences pour les aînés.
Des préparatifs déficients
En 1934, le Général de Gaulle publie Vers l’armée de métier, un livre de stratégie militaire. Il y soutient que la supériorité autoproclamée de l’armée française, avec sa ligne Maginot, est illusoire. Elle empêche de voir les changements majeurs apportés dans la conduite de la guerre avec l’apparition des blindés. Son propos ne sera pas entendu.
Au Québec, depuis des années, les CHSLD sont sous le feu de la critique. Sous-financement, manque de personnel, de formation du personnel, etc. Pourtant, de nombreux intervenants ont montré que la solution ne résidait pas dans un rapiéçage des CHSLD.
Réjean Hébert, le ministre de la Santé dans le gouvernement Marois, avait compris que la solution résidait plutôt dans les soins à domicile. En octobre 2017, l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS) a publié une note au titre fort à propos : « L’armée manquante au Québec : les services à domicile ».
La première victime, la vérité
Il est bien connu que la vérité est la première victime de la guerre. Nous en avons un exemple éloquent avec la question des masques. Plutôt que de reconnaître la pénurie de masques, le « bon » Dr Arruda a commencé par nier son importance. Le masque n’était pas nécessaire. Au contraire, il valait même mieux ne pas en porter. On l’a interdit dans certains établissements de la santé. Nous ne saurions pas comment le mettre, le porter, l’enlever. Contrairement aux Asiatiques, ce n’était pas dans notre culture. Un discours infantilisant et, surtout, mensonger ! Aujourd’hui, le même « bon » Dr Arruda va nous le recommander et, demain, le rendre obligatoire. Quel bond culturel !
Il n’y a pas que mentir. On peut aussi tromper, masquer la vérité avec la complicité souhaitée des journalistes, ces « merveilleux pigeons voyageurs » comme les a appelés le « bon » Dr Arruda.
À ce chapitre, les conférences de presse quotidiennes sont du grand art. Il faut voir avec quelle habileté, M. Legault fait porter à la ronde le chapeau des responsabilités. Dès que les médias ont révélé l’horreur des CHSLD, la ministre des Aînés, Marguerite Blais, a hérité du chapeau. Ministre des Aînés depuis des lunes, d’abord chez les libéraux puis à la CAQ, Mme Blais a fait cette incroyable déclaration à La Presse+ : « On n’a pas vu que la population vieillissait à un rythme extrêmement accéléré » ! Comme si les personnes de 50 ans étaient subitement passées dans la tranche d’âge des 70 ans et plus! Mais, on peut sérieusement se demander où était la ministre des Aînés lorsque les démographes pointaient du doigt la pyramide des âges en soulignant à grands traits que le Québec ne le cédait qu’au Japon pour le vieillissement de sa population.
Une fois la ministre Blais passée à la trappe, M. Legault a ciblé les médecins spécialistes, une cible facile étant donné leur impopularité au sein de la population. Le lendemain, quand furent révélés leurs émoluments de 211$ de l’heure pour leur prestation en CHSLD, M. Legault a rétropédalé en tandem avec la Dre Diane Francoeur, la présidente de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ).
À bien y penser, nous ont-ils dit, l’entente signée, la veille, entre le gouvernement et la FMSQ ne concernait pas le travail dans les CHSLD. On discutera rémunération plus tard. L’entente n’était que virtuelle, tout comme l’augmentation des salaires des préposés aux bénéficiaires.
Mais les tours de prestidigitateur de M. Legault auront bientôt une fin. Les journalistes se montrent plus agressifs à sa grand-messe de 13 h, en soulevant les contradictions entre le discours officiel et les échos du terrain.
Lors du déclenchement d’une guerre, la population répond toujours avec enthousiasme à l’appel aux armes. Mais dès que les soldats reviennent pieds devant dans des sacs de plastique, l’opinion s’inverse. M. Legault jouit toujours de sondages favorables. Mais pendant encore combien de temps?
Que faire du trio Legault-McCann-Arruba?
Le moment était-il venu de changer d’équipe? De remplacer le « bon » Dr Arruda par quelqu’un comme la Dre Joanne Liu, qui a l’expérience des épidémies en tant que présidente de Médecins sans frontières, ayant été au front au Yémen où il y a eu un million de cas de choléra et en Afrique de l’Ouest, où l’Ebola a emporté 11 000 personnes?
De remplacer la ministre McCann par un autre membre du cabinet, capable de mettre de l’ordre dans ce fouillis inextricable qu’est le ministère de la Santé et des Services sociaux?
Winston Churchill a réussi à mobiliser les Britanniques contre l’Allemagne nazie en promettant « du sang, du labeur, des armes et de la sueur ». François Legault a beaucoup de difficultés à mobiliser deux mille « anges gardiens » pour venir au chevet de nos « sages ». Anges gardiens, sages, deux expressions, une première abandonnée, une deuxième qui ne s’est pas imposée. Un signe que l’effet Legault ne joue plus.