Coûts en santé: un élan insoutenable

Au cours des 10 dernières années seulement, le budget du ministère de la Santé et des Services sociaux est passé de 13 milliards à 23,9 milliards de dollars.

Commission Castonguay

(Photo Martin Tremblay, La Presse)


Selon le rapport Ménard sur la pérennité du système de santé et de services sociaux du Québec, publié en 2005, si rien n'est fait, cet élan va se poursuivre au cours des prochaines décennies.
Le vieillissement de la population (beaucoup plus d'aînés et moins de travailleurs) et l'avènement des nouvelles technologies et des nouveaux médicaments vont continuer à faire augmenter les dépenses de santé et de services sociaux (médecins, hôpitaux, médicaments, santé publique, hébergement, soutien à domicile, etc.) beaucoup plus rapidement que le revenu global des Québécois et les recettes de l'État.
Le poids de ces dépenses dans le total des dépenses de fonctionnement du Québec passera de 44%, aujourd'hui, à un minimum de 54% en 2021. Une telle évolution compromettrait gravement la capacité du gouvernement d'honorer ses autres engagements envers la population, comme réinvestir en éducation, réparer les ponts qui tombent et autres infrastructures en détresse, payer convenablement ses employés, combattre la pauvreté ou réduire la dette. Il faut donc revoir l'évolution des coûts de santé et leur financement futur. C'est le mandat que le gouvernement vient de confier à un groupe de travail formé de Claude Castonguay, qui le dirige, de Johanne Marcotte et de Michel Venne. Le trio doit remettre ses recommandations à la fin de l'automne.
Une surprise
Quelle ne fut donc pas notre surprise de lire à la une de La Presse du 12 juillet dernier les propos dissidents tenus par le professeur François Béland, de l'Université de Montréal. Selon lui, l'histoire des 30 dernières années contredirait totalement l'affirmation voulant que les dépenses pour l'assurance maladie (médecins et hôpitaux seulement) vont exercer une pression insupportable sur les finances publiques dans les années à venir. Le professeur Béland fait valoir que, bien que le poids des aînés de 65 ans et plus dans la population totale ait augmenté de près de sept points en 30 ans (passant de 7,7% en 1976 à 14,3% en 2006), les dépenses pour les médecins et les hôpitaux n'ont pas augmenté plus vite que les revenus budgétaires du gouvernement.
Alors, se demande-t-il, pourquoi s'en faire pour l'avenir? Pourquoi faudrait-il croire que la hausse de près de 13 points du poids des aînés dans la population (soit de 14,3% à 26,9%) qui est prévue d'ici 2031 fera augmenter le coût de l'assurance maladie plus vite que les recettes de l'État, alors qu'on n'a pas observé ce phénomène dans le passé?
Bonne question. La réponse est que si les dépenses pour les médecins et les hôpitaux n'ont pas augmenté plus vite que les recettes du gouvernement depuis 30 ans, malgré la hausse du poids démographique des aînés, c'est pour deux raisons bien connues.
La première est que, dans sa longue poursuite de l'équilibre budgétaire, le gouvernement a contenu l'expansion des dépenses d'assurance maladie en les gérant d'une main de fer. On se rappellera, par exemple, que le nombre et la rémunération du personnel de la santé ont été sévèrement comprimés, et qu'il y a eu un certain relâchement dans l'entretien des infrastructures hospitalières. On connaît le résultat : la performance de notre système de santé s'est dégradée avec le temps.
La seconde raison est que la croissance du revenu intérieur, et des recettes fiscales qui en dépendent, a été propulsée par l'essor impressionnant de l'emploi. De 1976 à 2006, pendant que le nombre d'aînés de 65 ans et plus augmentait de 600 000, le principal bassin de travailleurs potentiels, soit la population de 15 à 64 ans, s'est enrichi de 900 000 personnes, dont le taux d'activités s'est lui-même fortement accru. En somme, des circonstances historiques particulières ont contenu strictement l'expansion des dépenses d'assurance maladie et ont grandement favorisé la croissance des recettes fiscales.
Un avenir différent
L'avenir sera différent pour trois raisons. Premièrement, les compressions budgétaires très sévères qu'a subies l'assurance maladie ont atteint leurs limites.
On ne peut tout de même pas laisser baisser les salaires de notre personnel en santé à la moitié de la moyenne canadienne, et laisser la vermine continuer à ronger les conduits d'air de nos hôpitaux.
Simplement revenir à la normale va coûter cher au système actuel d'assurancemaladie. Deuxièmement, de 2006 à 2031, la hausse du poids des aînés dans la population, qui va se poursuivre, le fera en accéléré: elle sera deux fois plus rapide qu'entre 1976 et 2006. Les pressions sur les dépenses d'assurance maladie vont fortement s'intensifier. Troisièmement, les baby-boomers qui partent à la retraite laissent peu d'enfants derrière eux.
De 2006 à 2031, la population retraitée de 65 ans va augmenter de 1,1 million de personnes, tandis que la population de 15 à 64 ans va se contracter de plus de 500 000 individus. Cela va inverser complètement la tendance de l'emploi et freiner la croissance du revenu intérieur, donc des recettes fiscales. Contrairement à ce qu'on a observé de 1976 à 2006, les revenus budgétaires vont augmenter beaucoup moins vite que les dépenses d'assurance maladie. Déjà difficile à boucler à l'heure actuelle, le budget du Québec va être soumis à un stress majeur.
Il n'y a aucun doute que c'est l'interprétation du rapport Ménard qui est la bonne. C'est également celle que nous avons présentée en détail dans notre livre intitulé Oser choisir maintenant, publié récemment aux Presses de l'Université Laval. Le «tout va bien madame la marquise» du professeur Béland ne tient pas la route. La création du groupe de travail Castonguay est parfaitement justifiée.
Ce texte est cosigné par Luc Godbout, Matthieu Arseneau et Suzie St-Cerny, de l'Université de Sherbrooke, et Pierre Fortin, de l'Université du Québec à Montréal.


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