Coupable d’avoir gardé le silence à Longueuil

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Collusion : les ingénieurs en première ligne

Après avoir longtemps fermé les yeux sur la collusion, un ancien directeur du génie de Longueuil dit avoir été rétrogradé en raison de son refus d’obéir à l’ordre du directeur général de l’époque d’octroyer un contrat à une entreprise de génie collusionnaire.



Maintenant retraité, l’ex-haut fonctionnaire de Longueuil Christian Fallu a plaidé coupable devant le Conseil de discipline de l’Ordre des ingénieurs du Québec (OIQ), hier, d’avoir gardé le silence pendant des années à la collusion entre cinq firmes de génie, deux organisateurs politiques et certains fonctionnaires.


«Je savais que ça se produisait, mais j’ai manqué de courage pour le dénoncer», a-t-il admis, la mine basse. À titre de dirigeant de la section d’ingénierie, M. Fallu a avoué qu’il fournissait une liste de tous les projets municipaux à venir à ses supérieurs.


Il a admis qu’il savait très bien que cette liste était destinée à l’organisateur politique Serge Sévigny, qui devait s’en servir pour répartir les contrats municipaux entre cinq firmes de génie collusionnaires.


Son témoignage ainsi que celui du syndic de l’OIQ, Réal Giroux, sont venus appuyer le reportage de lundi du Journal, qui détaillait le système de collusion ayant permis à Consultants S.M., Dessau, Génivar, SNC-Lavalin et Cima+ de se partager quasi exclusivement les contrats municipaux à Longueuil entre 2002 et 2009.


En échange, les entreprises faisaient des dons récurrents de 5000 $ à 25 000 $ au Parti municipal de Longueuil, selon l’OIQ.


Commande du DG


Afin de prouver l’ampleur de la collusion, M. Fallu a raconté comment son ex-patron Guy Benedetti, alors DG de Longueuil et aujourd’hui DG de la Ville de Rosemère, a tenté de l’obliger à choisir Cima+ pour un contrat de génie. M. Benedetti a indiqué hier au Journal que l’histoire racontée par M. Fallu est « tout à fait erronée ».


Il faut savoir qu’à l’époque, M. Fallu siégeait à certains comités de sélection qui jugeaient les soumissions des entreprises. Sa tâche était d’évaluer si chaque soumissionnaire avait les capacités techniques pour bien faire le travail et, si oui, soumettait le meilleur prix.


Ainsi, M. Fallu a raconté que c’est un M. Benedetti « mal à l’aise » qui était venu le voir en 2009 pour lui dire que Cima+ devait recevoir un certain contrat.


M. Fallu a soutenu que Cima+ avait mal préparé sa soumission, et donc n’atteignait pas le pointage requis pour être admissible. Lui et les deux autres membres du comité ont donc octroyé le contrat à une autre entreprise.


Rétrograder


C’est à ce moment que sa relation avec M. Benedetti se serait envenimée et, deux ans plus tard, il se faisait rétrograder au poste de directeur adjoint, a-t-il dit. Selon son témoignage, c’était une conséquence directe de son refus de donner le contrat à Cima+.


« M. Benedetti m’a accroché dans le corridor et il m’a engueulé solide en me disant que j’aurais dû, comme directeur du génie, influencer l’ensemble du comité de sélection et faire passer Cima+, a déclaré M. Fallu. Après ça, c’était l’enfer avec M. Benedetti, c’était infernal comme situation de travail. »


Lors de son témoignage, le syndic de l’OIQ a indiqué que d’autres témoins lui avaient confirmé la véracité de cet épisode.



DIFFÉRENTS NIVEAUX DE PARTICIPATION AU STRATAGÈME



Club A



  • Consultants S.M.

  • Dessau


Club B



  • Genivar

  • Cima +


Club C



  • SNC-Lavalin


* Selon les informations de l’Ordre des ingénieurs du Québec



Il n’y a aucune trace papier de ce système



Il était particulièrement difficile de prouver la collusion à Longueuil, car il n’y a pas de traces écrites entre les entreprises fautives et les acteurs municipaux, selon le syndic de l’Ordre des ingénieurs du Québec.


« Contrairement à d’autres endroits, il n’y avait aucun courriel entre les participants à la collusion. Tout ce mécanisme fonctionnait par téléphone ou par discussions qui avaient lieu au golf Le Parcours du Cerf, qui appartenait à la Ville », a témoigné Réal Giroux hier, lors de l’audience disciplinaire de l’ex-directeur du génie à Longueuil, Christian Fallu.


« baignait dans l’huile »


« De plus, le peu de gens qui auraient essayé de résister à ce système, soit activement ou passivement, se faisait vite tasser », a ajouté le syndic.


« La collusion à Longueuil baignait dans l’huile. C’était un mécanisme qui fonctionnait très, très bien, surtout avec cinq firmes dociles qui se soumettaient au processus. Si quelqu’un mettait un peu de sable dans l’engrenage [...] ça avait l’effet d’importuner plusieurs personnes », a détaillé M. Giroux.


Si Dessau, Consultants S.M., Cima+, Génivar et SNC-Lavalin prenaient toutes part à la collusion à Longueuil, elles ne le faisaient pas à niveau égal, ont aussi révélé MM. Giroux et Fallu.


Niveaux d’implication


En effet, les cinq firmes étaient divisées en trois « clubs », allant de « A » à « C ». Les membres du club « A », soit Dessau et Consultants S.M., étaient ceux qui étaient les plus impliqués à Longueuil, cotisaient le plus à la caisse du Parti municipal Longueuil et, en l’occurrence, avaient la part du lion des contrats municipaux, a expliqué M. Giroux hier.


S’il a juré ne jamais avoir participé de façon volontaire à la collusion à Longueuil, M. Fallu a tout de même admis hier devant le Conseil de discipline qu’il savait très bien à l’époque que ce système hiérarchique de clubs existait.


Le syndic a d’ailleurs salué la collaboration de M. Fallu à son enquête à Longueuil en précisant que l’ex-directeur de génie a permis à son équipe de mieux comprendre le fonctionnement de la collusion au sein de l’appareil municipal.