Le ministère fédéral responsable « d’obtenir le meilleur rapport qualité-prix » pour les contrats informatiques a payé près de 1 G$ en dépassement de coûts à cinq entreprises depuis 2011.
Les géants Bell, Rogers, Telus, Microsoft et IBM ont reçu du gouvernement fédéral environ 1700 contrats dans les sept dernières années, pour une valeur totale de 4 G$. Sur ce montant, pas moins de 911 millions — soit près du quart — ont été payés en extra, révèle un document obtenu par Le Journal en vertu de la Loi d’accès à l’information.
Ce sont les mêmes entreprises qui se sont partagé près de la moitié de la valeur des contrats informatiques d’Ottawa de 2011 à 2017, avait révélé Le Journal ce printemps.
« Peut-être que la situation mériterait une enquête du vérificateur général », soutient un spécialiste des contrats publics, Stéphane Coudé. Il trouve la situation « préoccupante à cause de la valeur des montants qui sont en jeu ».
Chèque en blanc
« La valeur initiale des accords s’appuie sur les besoins opérationnels du moment », soutient Charles Anido. Il ajoute que les modifications aux contrats sont divulguées publiquement et respectent les règles en place.
Or, M. Coudé explique que les fameuses « options » inscrites dans les contrats peuvent ressembler quelquefois à des « chèques en blanc » aux géants de l’informatique.
Le spécialiste va même jusqu’à soutenir que les dépassements de coûts sont dans certains cas « occasionnés par des stratégies de fournisseurs qui profitent de toutes sortes de failles dans la soumission, pour en arriver à un prix très bas ».
Ratés informatiques
Selon l’expert, des entreprises pourraient faire grimper la facture avec ces « options » après avoir remporté un contrat en déposant une soumission bon marché.
« Ils misent ensuite sur le fait qu’ils vont pouvoir faire des ajouts en cours de route, et finalement faire une plus grande vente », explique-t-il.
En plus de payer des millions en dépassement de coûts, le fédéral accumule de dispendieux ratés informatiques, qui ne sont pas inclus dans nos chiffres.
À elle seule, la réparation du fiasco du système de paie Phénix coûtera jusqu’à 2,5 G$ aux contribuables d’ici cinq ans.
Les dépenses informatiques du fédéral s’élèvent à plus de 6 G$ par année.
Le tiers des contrats sont octroyés sans appel d’offres
Environ 30 % des 1700 contrats octroyés à cinq géants de l’informatique entre 2011 et 2017 ont été conclus sans appel d’offres, révèlent des documents obtenus par Le Journal.
Le fédéral évoque des « circonstances particulières » pour justifier le recours à un processus non concurrentiel. On cite notamment les droits de propriété intellectuelle sur des logiciels, comme Windows, par exemple.
C’est de loin Microsoft (92 %) qui reçoit le plus souvent des contrats sans appel d’offres, devant Rogers (60 %), IBM (40 %), Bell (30 %) et Telus (16 %).
Le ministère responsable des achats informatiques, Services partagés Canada, a l’habitude des contrats aux « circonstances particulières ». Seulement l’an dernier, ce ministère a accordé une valeur de 630 millions en contrats sans appel d’offres, sur un total de 1,7 G$.
Données essentielles
Le Journal a tenté de savoir combien d’entreprises ont aussi participé aux appels d’offres remportés par les cinq plus gros joueurs dans les sept dernières années.
Or, le fédéral ne recense pas le nombre d’entreprises intéressées par ses contrats, a-t-on appris. Cette donnée est pourtant indispensable pour savoir si les efforts qu’il mène pour augmenter la concurrence et réaliser des économies donnent des résultats, nous explique le spécialiste en contrats publics Stéphane Coudé.
Le gouvernement Trudeau s’est pourtant engagé à faire le ménage dans la façon dont le fédéral accorde ses contrats.
Connaître le nombre de soumissionnaires, « c’est un indicateur essentiel pour s’assurer que les sous dépensés le sont de la bonne manière », tranche M. Coudé.
Des courriels internes à Services partagés Canada et obtenus par Le Journal indiquent que les fonctionnaires auraient mis « des années » à calculer, comme nous le demandions, le nombre de soumissionnaires pour les 1700 contrats remportés par les cinq géants de l’informatique.
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