Je vous parle d’un temps que nos gouvernants d’aujourd’hui ne semblent pas connaître. Le temps où la démocratie étudiante était respectée. Ah, elle est brouillonne, cette démocratie ! Comme tout ce que fait la jeunesse. Mais elle avait ceci de particulier qu’elle fonctionnait. Sans que les juges ne s’en mêlent.
J’ai bien connu le processus, au Cégep de Thetford Mines où j’étais appelé à présider les assemblées car j’étais un des seuls à connaître le code de procédure (le code Morin), puis à l’UQAM.
Dans un premier temps, les associations appellent à la grève. Seuls les étudiants les plus motivés se présentent à l’assemblée et votent, en bonne majorité, le débrayage. Il y a souvent beaucoup d’absents. En démocratie: des abstentionnistes. Ils ont, par définition, tort.
Quand la grève s’éternise il faut tenir un vote de prolongation. Alors, les absents, notamment tous ceux qui ne tiennent pas à cette grève et qui veulent revenir en cours, découvrent (ou découvraient) les vertus de la démocratie étudiante, se mobilisaient, distribuaient des tracts, se présentaient aux assemblées en nombre et faisaient voter… la fin de la grève.
C’était au siècle dernier. Maintenant, au XXIe siècle, la démocratie étudiante n’a plus la cote. Ni chez nos gouvernants, qui insistent pour parler de “boycott” des cours plutôt que de grève. Ni chez les absents, qui choisissent pour plusieurs demander à un juge de faire prévaloir leur droit individuel d’avoir accès au cours.
L’état du droit est clair: les associations étudiantes n’ont jamais été, stricto sensu, des organisations syndicales. Elles n’ont jamais eu le droit légal de faire appliquer à tous les étudiants les décisions prises par la majorité.
Mais il y avait un contrat moral, non dit, entre les gouvernants, les administrations et les étudiants. On allait faire comme si la démocratie fonctionnait. On allait faire comme si on était à l’école de la vie, y compris de la vie citoyenne. On allait laisser, comme dans une vraie démocratie, le débat aller et venir, sans lui mettre de juges dans les roues — sauf pour empêcher le grabuge.
L’attitude nouvelle du gouvernement Charest marque donc la fin de ce contrat social. La fin de l’appel à la démocratie pour arbitrer les différends entre les étudiants eux-mêmes — ceux qui veulent la grève et ceux qui veulent les cours.
Le signal est net: ceux qui souhaitent reprendre leurs cours n’ont pas à se présenter à l’assemblée étudiante, faire valoir leurs arguments, organiser leurs interventions. Ils n’ont pas à se comporter en démocrates.
Non, ils doivent prendre un avocat et faire prévaloir leur droit individuel sur la délibération collective. C’est le triomphe de l’individualisme, encouragé par l’État, soutenu par les administrations scolaires.
Je me répète: cela aurait pu avoir lieu en 1968, en 1973, même en 2005, dates de grandes grèves étudiantes. Peut-être y a-t-il eu (appel aux alertinternautes) quelques cas isolés.
Mais il faudra retenir avril 2012 comme le moment où on a voulu tuer la démocratie étudiante.
Pas étonnant qu’elle veuille se défendre…
Comment on tue la démocratie étudiante
L’attitude nouvelle du gouvernement Charest marque donc la fin de ce contrat social. La fin de l’appel à la démocratie pour arbitrer les différends entre les étudiants eux-mêmes — ceux qui veulent la grève et ceux qui veulent les cours.
Conflit étudiant - grève illimitée - printemps 2012
Jean-François Lisée297 articles
Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québ...
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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.
Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.
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