Les Etats sont désormais minoritaires: 51 des 100 plus grandes économies du monde sont désormais des multinationales. Et cela ne va pas s’arranger avec la vague d’optimisation, d’évitement et/ou d’évasion fiscaux que mettent en œuvre, en toute impunité, les plus grandes firmes de la planète. Dans son rapport Parlons argent : l’Afrique invitée du G7, publié ce mardi, Oxfam révèle qu’en 2010, la dernière année pour laquelle des données sont disponibles, des multinationales et des investisseurs basés dans les pays du G7 ont escroqué l’Afrique de 6 milliards de dollars (5,4 milliards d'euros). Cette somme correspond à plus du triple des fonds nécessaires pour combler le déficit de financement de la santé en Sierra Leone, au Liberia, en Guinée– trois pays dévastés par l’épidémie d’Ebola.
En cause: la manipulation des prix de transfert, une astuce qui permet à une entreprise de fixer artificiellement les prix auxquels ses filiales s’échangent des biens ou services dans le but d’échapper à l’impôt. Par ce biais, des firmes ont soustrait à l’impôt 20 milliards de dollars de bénéfices réalisés en Afrique. Le taux d’imposition des sociétés s’établissant en moyenne à 28 % dans les pays africains, cela correspond donc à un manque à gagner fiscal de près de 6 milliards de dollars. Mais cette manipulation des prix de transfert n’est que l’un des procédés mis en œuvre par les multinationales pour éviter de payer leur juste part d’impôt.
«Les administrations fiscales sont dépassées»
Quelle est l’ampleur du phénomène? Diverses évaluations existent. 160 milliards de dollars (145 milliards d’euros) par an de manque à gagner pour les seuls pays en développement, estime l’ONG Christian Aid. Dans un rapport publié le 26 mars 2015, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement estime que l’ensemble des pays en développement sont privés annuellement d’environ 100 milliards de dollars. «Ces 100 milliards ne recouvrent pas tous les procédés d’optimisation fiscale utilisés par les multinationales, ni les 138 milliards de dollars que les pays en développement perdraient chaque année en octroyant à celles-ci de généreux avantages fiscaux», rappelait Action Aid en 2013.
Reste que sur ces 100 milliards, la moitié, soit 50 milliards, échappe au seul continent africain. 50 milliards, c’est aujourd’hui le double de ce que reçoit l’Afrique en aide publique au développement. «A l’arrivée, les rentrées fiscales chutent, et les mesures d’austérité redoublent, confiait à Libération Johnlyn Tromp, d’Oxfam Afrique du Sud, lors du Forum social mondial de Tunis, en mars. Les administrations fiscales sont dépassées par les montages sophistiqués et sont, de plus, décimées par les coupes budgétaires. Elles sont un peu comme ceux qui n’ont pas les moyens de s’asseoir à la table d’un restaurant et se contentent de regarder le menu.»
Or, collecter davantage d’impôts est capital pour des pays qui vont devoir s’adapter au changement climatique et s’engager, en septembre au sommet de l’ONU, à l’occasion de l’agenda de développement post-2015. Avec, comme ambition, de mettre fin à la pauvreté et à la faim, améliorer la santé et l’éducation, bâtir des villes plus durables, combattre les changements climatiques et protéger les océans et les forêts.
Oxfam entend pousser le G7, qui se réunit les 7 et 8 juin en Bavière, à agir. «Les dirigeantes et dirigeants du G7 ne doivent pas se contenter de resserrer les mailles du filet dans leur propre pays et laisser les multinationales se soustraire à leurs obligations fiscales en Afrique, affirme Nicolas Vercken, d’Oxfam France. Le G7 doit associer l’Afrique aux efforts internationaux de réforme d’un système fiscal dysfonctionnel sur un pied d’égalité. Alors seulement l’Afrique pourra percevoir les recettes fiscales qui lui sont dues et dont elle a cruellement besoin pour vaincre l’extrême pauvreté et les inégalités.»
«Faites en sorte que les multinationales paient leur part!»
Il existe bien des initiatives internationales en cours pour mettre un frein à l’évasion fiscale des entreprises. C’est le cas du projet BEPS de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, piloté par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à la demande du G20. Mais, assure Oxfam, le projet laissera des failles béantes que les multinationales pourront continuer d’exploiter dans les pays en développement. Nombre de pays africains ont été exclus des discussions menées dans le cadre du processus de réforme BEPS ; ils n’en bénéficieront donc pas. «La France continue d’apporter un soutien sans faille au projet de l’OCDE et de s’opposer à une réforme fiscale plus ambitieuse et démocratique», dit Nicolas Vercken.
«Il est totalement absurde qu’il existe des organisations internationales pour le commerce, la santé, le football mais pas pour les taxes», ajoute Winnie Byanyima, la directrice exécutive d’Oxfam international. Oxfam, avec d’autres ONG comme Action Aid ou Christian Aid, ont lancé une Alliance globale pour la justice fiscale, avec un mot d’ordre: «Faites en sorte que les multinationales paient leur part!». La coalition multiplie les mobilisations et lance une semaine d’action entre les 16 et 23 juin pour accentuer la pression sur les gouvernements du monde entier.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé