Imaginez un instant.
Les policiers débarquent chez vous.
On vous arrête.
On vous emprisonne.
On vous amène devant un juge et on vous accuse d’une infraction criminelle.
On refuse de divulguer la preuve à vos avocats parce que les informations proviendraient d’une écoute électronique extrêmement sensible comme ce fût le cas dans l'affaire Montagna.
Vous n’étiez pas spécifiquement visé, mais on vous aurait tout de même intercepté.
Je dis bien «aurait», car vous ne savez rien du mandat d’écoute, rien de l’écoute, rien de la preuve.
Vous ne savez pas qui vous a écouté, le SCRS, la GRC, la SQ ou le SPVM?
Vous ne savez même pas si on vous a vraiment écouté !
Comment le savoir ?
Comment vous défendre ?
Puis le juge, à la demande du procureur de la couronne, ordonne votre emprisonnement en attendant le procès parce que vous seriez un danger pour la sécurité publique, même s’il refuse de vous dire pourquoi.
Alors que vous êtes seul dans votre cellule, vous réalisez petit à petit que la fiction vient de rejoindre la réalité.
Vous vous pincez pour être bien sûr que vous n’êtes pas devenu un personnage de roman.
Vous allez subir un procès sans savoir vraiment de quoi l'on vous accuse.
Vous vous souvenez alors avoir vaguement entendu le premier ministre dire au téléjournal que vous deviez faire confiance aux autorités, à lui, à son ministre, à la police, aux procureurs de la couronne et aux juges.
Qu’on vous protègerait contre les ripoux, les terroristes et les groupes criminalisés.
Vous pensiez jouir de la présomption d’innocence, de l'habeas corpus et du droit de faire valoir une défense pleine et entière devant un juge.
Vous vous pensiez à l’abri de tout cela dans un pays dit libre et démocratique.
Surtout depuis la Charte de Trudeau et de sa reine.
Vous réalisez enfin que tout cela est possible parce que la police du pays où vous demeurez est devenue une police politique depuis que les ministres peuvent ordonner des enquêtes suffisamment larges pour que vous puissiez en être l’objet… depuis le G20 à Toronto, depuis le 11 septembre 2001, depuis octobre 1970, depuis l'adoption des lois antiterroristes, antigang et des mesures de guerre…
Vous essayez alors de vous souvenir avec qui vous vous êtes entretenu récemment de sujets pour le moins controversés.
Un journaliste, un fonctionnaire, un policier, un membre du crime organisé, un criminel international, un présumé terroriste ou un organisateur de manifestation?
Et si on vous avait incriminé à la suite d'une dénonciation obtenue sous l'effet de la torture?
Le grave précédent survenu dans l’affaire Montagna, juste après Noël, permettant à la poursuite de ne pas divulguer au prévenu une preuve sensible, jumelé à la récente décision du ministre de la Sécurité publique d’ordonner une enquête policière sur les fuites concernant la «taupe» du SPVM pourrait bien conduire à ce genre de situation.
Comme dans ce roman absurde, mais réaliste de Kafka: « Le procès »…
***
Sources:
Meurtre de Salvatore Montagna - Un précédent au procès Desjardins
Fuites au SPVM: Charest dit que les médias n’ont rien à craindre
Enquête Davidson: Dutil et le DPCP refusent de rassurer les journalistes
Taupe au SPVM: la SQ enquêtera sur les fuites
***
Dernier billet sur le même sujet:
Sept jours pour réinventer le Canada
Écoute électronique, torture, police et politique
Comme dans un roman de Kafka
Vous vous pensiez à l’abri de tout cela dans un pays dit libre et démocratique
Chronique de Louis Lapointe
Louis Lapointe534 articles
L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
12 février 2012Oui, le procès vous avez raison.
Mais aussi le château. Le commentaire dans Wikipédia montre très bien le rapprochement : «Sombre et irréel, Le Château traite de l'aliénation de l'individu face à une bureaucratie qui a coupé tout contact avec la population.»
Comme le «suspect» que vous citez en exemple, K l'arpenteur veut prendre contact avec l'autorité, pour clarifier son rôle et sa place. Mais il en est empêché et finalement il ressortira du château sans comprendre, déconcerté je pense.
C'est bien ce qui est en train de nous arriver à tous et toutes. Le pouvoir est de plus en plus occulte et il s'exerce de façon autoritaire. Disons ça comme ça.
Regardez comme c'est intéressant l'analyse du Château, qui par analogie selon moi, s'appplique bien il me semble à votre propos :
«tout le monde calcule et spécule, mais personne ne sait rien finalement. La déroute de K. nous fait perdre tout repère et noie tout sens : il n’y a pas de vérité concernant de château, que personne ne connaît au fond vraiment (beaucoup de rumeurs, peu de faits concrets) et il n'y a pas non plus de solution possible à l'affaire de K..»
Pas de solution possible à l'affaire K, et pas de solution possible aux affaires que vous citez. N'est-ce pas débordant de vérité ?
On entre dans ce système, mais on ne sait jamais exactement où nous sommes. Comme dans le château, comme dans le procès.