Le premier ministre Philippe Couillard se présente comme un ardent défenseur des agriculteurs. Il mettra, dit-il, son veto à un éventuel accord de libre-échange nord-américain qui congédierait le système de la gestion de l’offre. Sur papier, Ottawa demeure cependant entièrement libre de procéder avec ou sans l’assentiment de la province.
Pour une petite explication du fonctionnement du système, je vous invite à lire ce texte que j’ai consacré à la question en février dernier.
Plusieurs raisons font cependant en sorte qu’on peut douter du sérieux de l’engagement du premier ministre du Québec.
Première raison : le gouvernement Couillard a soutenu des traités commerciaux qui ouvraient des brèches dans la gestion de l’offre.
Pensons par exemple à l’Accord économique et commercial global, qui favorise l’entrée massive des produits européens, risquant de déclencher une guerre des prix par l’ajout de 17 000 tonnes d’importations, ce qui risque d’écraser le potentiel de croissance du Québec.
Le gouvernement Couillard a toujours soutenu sans nuance le projet, le qualifiant même d’« accord progressiste et moderne sans précédent ». Quant aux potentielles victimes dans le domaine de l’agriculture, il fallait se fier aux compensations promises par Ottawa.
L’argument des compensations n’est cependant pas satisfaisant. Il implique qu’on refile la facture au contribuable pour réparer les pots cassés. Qui plus est, ces compensations sont temporaires, pas éternelles, et risquent uniquement de remettre le problème à plus tard (laissant le temps d’être réélu une fois ou deux...). Un système de compensations financières revient par ailleurs à transformer un modèle agricole sous gestion de l’offre en agriculture subventionnée. Ce n’est tout simplement pas la même chose. Les mots ont un sens.
Ces subventions, sous forme de compensations, reviennent à admettre qu’une forme d’aide sociale est nécessaire pour les producteurs, qui vont peiner à survivre quand ils ne s’écrouleront tout simplement pas.
Deuxième raison : le gouvernement Couillard agit avec incompétence sur cette question.
Lors du sommet du G7 à La Malbaie, le président américain Donald Trump est arrivé comme un bulldozer, lançant la plus grande offensive verbale contre la gestion de l’offre de la part d’un président américain.
Heureusement, le gouvernement Couillard a pensé envoyer son ministre de l’Agriculture sur toutes les tribunes. Pour défendre le système, n’est-ce pas ? Hélas, non ! Laurent Lessard a plutôt choisi cette journée fatidique pour annoncer son départ de la politique. Excellent timing, non ? C’est là une démission qui en cache une autre.
Troisième raison : l’idée des fédéraux est probablement déjà faite.
Au début du mois d’août, Brian Mulroney a déclaré qu’il était temps d’abolir la gestion de l’offre. M. Mulroney ne parlait pas en tant que citoyen ou comme premier ministre du Canada de 1984 à 1993, mais à titre de conseiller du gouvernement Trudeau sur les relations canado-américaines.
Un conseiller gouvernemental, s’il a à aller sur des tribunes publiques, ne colporte généralement pas de positions contraires à celles du gouvernement. Dans le cas présent, si la bande à Justin appuie ouvertement la gestion de l'offre, il semble clair que la sortie de M. Mulroney est un ballon d’essai, un test, une manière d’évaluer la réaction population et de préparer les esprits à ce qui s’en vient.
Quatrième raison : le gouvernement Couillard a l’habitude de signer des chèques en blanc à Ottawa.
Les libéraux de Philippe Couillard ne sont pas ceux de Robert Bourassa. Il n’y risque même plus une petite dose d’apparence de nationalisme. Son canadianisme est tranché, total et sans nuance. Par conséquent, le PLQ a l’habitude de donner son assentiment pur et simple à Ottawa pour que l’État canadien fixe nos orientations et priorités.
Nous avons appris à l’automne dernier que la banque destinée aux compensations pour les agriculteurs subissant les méfaits de l’Accord économique et commercial global était vide. Après seulement sept jours. Sept jours ! Les producteurs québécois étaient furieux. Laurent Lessard, ministre québécois de l’Agriculture, a employé la seule carte qu’il possédait : l’indignation. Qualifiant les sommes fédérale d’« insuffisantes » (c’est le moins qu’on puisse dire !), il en aussi demandé d’autres.
Le fait est que le ministre pourrait disposer d’un bien meilleur rapport de force pour quémander si son gouvernement avait fait des choix plus intelligents.
L’Assemblée nationale a ratifié, en juin 2017, l’AÉCG. Le Parti québécois a proposé un amendement pour que l’approbation de l’accord soit reportée dans six mois. Pourquoi ? Pour que le Québec, par son refus momentané, dispose d’un pouvoir de négociation auprès d’Ottawa. Il aurait par exemple été possible, pour le Québec, d’exiger de réelles compensations pour les agriculteurs lésés. L’idée a été rejetée par le gouvernement libéral.
La morale de cette histoire, c’est que ça ne sert absolument rien de se fendre en quatre devant Ottawa après lui avoir signé un chèque en blanc. Dans le dossier de la gestion de l’offre, comment croire en un soudain courage politique de la part des libéraux ?
Cinquième raison : les libéraux sont de féroces libre-échangistes.
« Le libre-échange est toujours positif », déclarait le ministre des Finances, Carlos Leitao, en 2015. Toujours ? Fin de la discussion !
Il n’y a donc pas de bon et de mauvais accord, mais qu’une adhésion religieuse à avoir sous peine d’être classé comme hérétique.
La gestion de l’offre, rappelons-le, est une exemption, une façon de rassurer certains segments de la population en promettant qu’un secteur aussi fondamental ne sera pas traité comme s’il s’agissait d’une usine d’automobiles. Les aliments sont trop importants pour qu’on les soumette aux règles du commerce agressif. La culture bénéficie aussi d’une telle exception.
Or, le libre-échange s’inscrit dans une dynamique d’expansion perpétuelle. On cherche en permanence à l’amplifier, à l’étendre, à le radicaliser. Dans une telle mesure, toute exception, exemption ou protection est nécessairement contre nature et est inévitablement appelée, à terme, à sauter.
Pour toutes ces raisons, je peine à croire le Couillard nouveau, pur produit des stratégies de communication, qui se présente comme un homme d’État fort, fier et déterminé à défendre les intérêts fondamentaux du Québec.