Il y aura exactement cinq ans lundi, le premier bourgeon du Printemps érable 2012 apparaissait. La suite est connue : des mois de débats, de tension sociale et de manifestations. Que reste-t-il du conflit aujourd’hui ? Peu de choses pour certains, de grands acquis selon d’autres. Tour d’horizon.
Si le débat à propos de l’héritage du conflit étudiant de 2012 est sujet à discussions, au moins une certitude s’impose : les principaux acteurs politiques libéraux de l’époque ne veulent pas parler de cette crise. Point barre. Un silence à interpréter comme un malaise ?
Le Devoir a sollicité dans les derniers jours des entrevues avec les membres du gouvernement Charest qui ont été au coeur de la plus bouillante crise sociale des dernières décennies au Québec. Pour savoir quel regard ils portent aujourd’hui sur le conflit — alors qu’ils ne sont plus en politique et que la poussière est retombée. Pour connaître les leçons personnelles et politiques qu’ils en ont tirées. Pour revenir sur la gestion d’une crise particulièrement aiguë.
Et alors ? Rien. Ni Jean Charest (premier ministre), ni Line Beauchamp (ministre de l’Éducation, qui a démissionné de son poste au plus fort de la crise), ni Michelle Courchesne (présidente du Conseil du trésor et ministre de l’Éducation après le départ de Mme Beauchamp), ni Raymond Bachand (ministre des Finances), ni Robert Dutil (ministre de la Sécurité publique) ne veulent revenir sur les événements.
Les raisons divergent. « J’ai quitté la politique et je ne donne pas d’entrevue », a répondu M. Dutil, qui oeuvre dans le secteur privé. Son ancien patron, Jean Charest, est en mission à l’étranger pour le cabinet d’avocats où il est associé. Line Beauchamp est déléguée générale du Québec à Paris.
« Je ne veux pas me replonger dans cette période de l’histoire, a pour sa part indiqué Mme Courchesne dans un message. Pas que je n’aie rien à y dire ou à analyser… mais c’est un choix personnel que je fais, et je continue de me donner une obligation de réserve à cet égard. »
Son ex-collègue Raymond Bachand — dont le leitmotiv de la « juste part » a servi de carburant au mouvement étudiant — a décliné l’invitation en parlant d’un « point sensible »… et de sa volonté de « rester en dehors de débats qui pourraient avoir des connotations partisanes ».
Inconfort
Quel sens donner à ce silence collectif ? Pour Réjean Parent, ancien président de la CSQ qui fut impliqué dans les négociations de mai 2012 entre le gouvernement et les étudiants, il n’y a pas de doute qu’il témoigne d’un inconfort par rapport aux événements et à l’action gouvernementale durant ceux-ci.
« Il y avait vraiment une dynamique particulière du côté du gouvernement,dit-il. Dès le départ, ce fut la stratégie du poing sur la table, du “on ne bougera pas !”. Il n’y avait aucune écoute, c’était totalement fermé. Cette intransigeance-là disposait mal à régler le conflit. »
M. Parent ne rejette pas pour autant toute la faute de la crise sur Québec. Selon lui, la CLASSE (le regroupement d’associations étudiantes dont Gabriel Nadeau-Dubois était le porte-parole) ne « faisait pas dans la petite cuisine ». « Pour eux, négocier, c’était se faire fourrer, dit-il. On avait donc un gouvernement fermé d’un côté et un groupe étudiant fermé de l’autre. Disons que les conditions de négociation n’étaient pas réunies. »
Selon l’ancienne première ministre Pauline Marois — qui avait elle-même frappé de la casserole et dont les braises du conflit ont contribué à l’élection quelques mois plus tard —, c’est ultimement Jean Charest qui doit porter la responsabilité de la dégradation du climat social à ce moment. « Aucun gouvernement n’a autant méprisé la jeunesse que celui de M. Charest », soutient-elle encore aujourd’hui.
Elle fait valoir qu’un ministre des Finances « décide toujours des orientations en étroite collaboration avec le premier ministre ». Elle rappelle aussi que Mme Beauchamp a démissionné parce qu’elle était opposée à la loi spéciale qui allait encadrer le droit de manifester et d’assister à des cours. « Il est très clair que Line Beauchamp a tenté d’infléchir les orientations du gouvernement, mais que Jean Charest en avait fait une question non négociable. »
Pourquoi ? Réjean Parent a noté qu’il y avait chez M. Charest une « hypersensibilité face aux gestes qui avaient un caractère violent. Comme si à aucun moment il ne voulait accréditer la thèse que ces gestes-là auraient pu faire avancer le gouvernement ». Mme Beauchamp avait ainsi résumé les choses au Journal de Montréal en 2013 : « Personne ne voulait bouger. On me disait : “Faut pas reculer, Line, mais règle-nous ça.” C’était insoluble et totalement déchirant pour moi. »
Pour un ancien dirigeant du milieu universitaire, « il y a eu une immense erreur de gestion dans ce dossier autour de la séquence des événements. Le gouvernement a annoncé au printemps 2010 son intention de hausser les droits de scolarité… deux ans et demi plus tard, alors qu’on sait qu’une élection sera proche. On ne fait pas un changement de cette ampleur juste avant une élection ».
Dans une lettre ouverte publiée cette semaine dans Le Devoir, d’anciens dirigeants du mouvement étudiant écrivaient que « ce fut la radicalisation du gouvernement Charest qui a provoqué l’élargissement de la lutte étudiante, et parallèlement, une escalade des tensions ».
Notre source universitaire diverge d’avis. Le « gouvernement n’a jamais eu l’intention d’envenimer la crise, comme plusieurs le prétendent, estime-t-elle. Sauf qu’il n’y a jamais eu de plan B. Il aurait fallu que Québec en élabore un, qu’il le présente avant que ça dégénère, qu’il aille chercher des appuis dans la société civile… Ça n’a pas été fait ».
Quelles traces ?
Mais au-delà de ces considérations, reste-t-il des traces — un héritage — du conflit étudiant ? Pauline Marois estime que oui. « Je suis plus positive que plusieurs personnes à cet égard, dit-elle. D’abord, il y a eu une prise de conscience de la classe politique du fait qu’on ne peut pas mépriser les jeunes, qui sont notre avenir. Et je pense que oui, le mouvement a créé une génération de leaders qui se révèlent déjà. »
Réjean Parent est moins convaincu. « Il n’en reste pas beaucoup. On a manqué le rendez-vous. Ça s’est terminé en conflit corporatiste — c’est-à-dire une crise sur la question des droits de scolarité. Le financement des universités ? Un Québec plus social ? Faudrait être candide pour croire qu’un virage s’est imposé avec le printemps 2012. Je ne dis pas que ç’a été inutile, loin de là. Mais malheureusement, la balloune du bouillon social s’est dégonflée l’automne suivant. »
Avec pour résultat, dit-il, que les universités crient encore famine cinq ans plus tard. « Sur le long terme, le combat de l’accessibilité et des moyens dont on dispose pour offrir une éducation de qualité reste à faire. »
« L’ensemble de la société est sorti perdant, tranche le dirigeant universitaire cité précédemment. Il n’y a pas eu de refinancement pour les universités. Nos institutions — judiciaires, notamment — en ont pris un coup. Et on avait annoncé une révolution de la participation des jeunes dans les grands débats de société : sincèrement, je ne la vois pas. »
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