Chers collègues...

Crise mondiale — crise financière


La Grande Récession a durement frappé la première économie du monde. Elle risque de continuer de le faire pendant de longs mois en dépit de la reprise, pour le plus grand malheur des Américains, de leurs partenaires commerciaux et de leur président.
Les chefs des pays du G20 s'étaient mutuellement envoyé des lettres en prévision de leur rencontre de ce week-end à Toronto. L'une d'elles venait du locataire du 1600, Pennsylvania Avenue, à Washington. La missive, qui avait plus l'air d'une supplique que de directives venant de l'homme le plus puissant du monde, commençait par un: «Chers collègues du G20...» et disait plus loin: «Notre plus haute priorité doit être la protection et le renforcement de la reprise. Nous avons travaillé exceptionnellement fort pour ramener la croissance; nous ne pouvons pas la laisser faiblir.»
Les «chers collègues» en question lui ont assuré, ce week-end, qu'ils étaient parfaitement de son avis, mais qu'il fallait aussi respecter la réalité de chacun, et que le plus important pour eux était d'affirmer à la face du monde leur résolution d'assainir leurs finances publiques avant que l'envie ne prenne aux marchés financiers de leur tomber dessus comme ils l'ont fait avec la Grèce. Le Royaume-Uni n'a d'ailleurs pas attendu la réunion de Toronto pour dévoiler son budget le plus austère en un demi-siècle.
Il faut dire qu'il n'y a pas qu'au G20 que l'appel du président américain rencontre de la résistance. Un ensemble de mesures de relance totalisant 105 milliards et destinées aux chômeurs, aux entreprises et aux États, est aussi actuellement bloqué au Congrès par l'opposition républicaine et par quelques élus démocrates.
Les dernières nouvelles sur l'état de l'économie américaine sont pourtant loin d'être bonnes. La croissance économique a beau être revenue aux États-Unis depuis un an, les autorités n'osent toujours pas déclarer la Grande Récession officiellement terminée. Il est vrai qu'avec une croissance annualisée d'à peine 2,2 %, 5,6 % et 3 % lors des trois derniers trimestres, on est loin des taux de 7 % à 9 % affichés durant cinq trimestres consécutifs lors de la dernière grande crise du début des années 80.
La Réserve fédérale américaine (Fed) se disait, la semaine dernière, particulièrement inquiète par les risques de contagion de la crise financière européenne, ainsi que par les perspectives du marché immobilier. On venait, en effet, d'apprendre que la fin d'un programme d'aide du gouvernement avait fait chuter les ventes de maisons neuves de 33 % le mois dernier, les ramenant à leur plus faible niveau mensuel depuis le début des années 60.
En attendant du travail
Si le bâtiment continue d'aller si mal, c'est en bonne partie parce que la reprise de l'emploi se fait aussi cruellement attendre. Les États-Unis sont toujours aux prises avec un taux de chômage de 9,7 %. La Fed s'attend, au mieux, à ce que cette proportion ait baissé un peu en dessous de 8,5 % à la fin de l'année prochaine. Il y a quelques mois, des experts disaient qu'il fallait ajouter à ces chiffres officiels 7 points de pourcentage pour avoir un portrait plus fidèle à la réalité.
«Des millions d'Américains cherchent toujours un emploi, a constaté la semaine dernière devant le Congrès le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner. Les dommages de cette crise se feront sentir encore longtemps.»
Précipitée dans l'abîme après avoir passé des années à vivre au-dessus de ses moyens, l'économie américaine aura besoin de temps pour retrouver un équilibre, avait aussi observé l'un des principaux conseillers de Barack Obama sur ces questions, Paul Volcker, lors de son passage à la Conférence de Montréal. «Ce n'était pas une récession normale et ce ne sera pas une reprise normale non plus.»
Le temps cruellement long que met la reprise économique pour se traduire en reprise de l'emploi n'est toutefois pas un phénomène nouveau, observait l'économiste de l'Université de Chicago Raghuram Rajan, dans une lettre ouverte au début du mois. Il est vrai que cette attente n'était, en moyenne, que de huit mois depuis le début des années 60. Elle avait toutefois été beaucoup plus longue, lors de la crise de 1991, et a même atteint 38 mois après l'éclatement de la bulle technologique au début des années 2000.
Des experts expliquent ce changement par le fait que les pertes d'emplois sont plus durables aujourd'hui et forcent les chômeurs à se recycler dans d'autres secteurs d'activité, ce qui prend plus de temps et de formation. Le résultat, pour les chômeurs, est qu'ils restent sans travail de plus en plus longtemps alors que le modeste filet social américain n'a pas été conçu pour cela.
Cette reprise anémique aux États-Unis devrait aussi être préoccupante pour un peu tout le monde sur cette planète. Après tout, le géant américain compte toujours pour environ le quart de l'économie mondiale. Cela est particulièrement vrai au Canada qui vend presque 80 % de ses exportations à son voisin.
On sait, en tout cas, qui, au 1600, Pennsylvania Avenue, commence à avoir drôlement hâte que cette reprise gagne de la vigueur. À peine plus du tiers des Américains croient encore aujourd'hui que l'économie s'améliora durant la prochaine année, selon un récent sondage. Et les élections de mi-mandat auront lieu à l'automne. Barack Obama avait sans doute tout cela en tête lorsqu'il a rencontré ses «chers collègues» à Toronto.


Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé

-->