À l’automne 1995, l’actuel premier ministre de l’Île-du-Prince-Édouard, Robert Ghiz, était étudiant au Département de sciences politiques de l’Université Bishop, à Lennoxville, en Estrie. Il faisait partie des 380 étudiants contre lesquels le comité du oui avait porté plainte, soutenant qu’ils étaient illégalement sur la liste électorale en prévision du référendum.
Le jour du référendum, le représentant du oui au bureau de scrutin numéro 39 de la circonscription de Saint-François avait entendu M. Ghiz jurer qu’il était domicilié au Québec. Il avait bien une « school address » à Lennoxville, au 5 Little Forks, mais sa véritable résidence était située sur North River North Road, à Charlottetown.
Il était bien difficile de croire que M. Ghiz envisageait de s’installer au Québec de façon permanente après ses études. À l’époque, son père, Joe, était lui-même premier ministre de l’Île-du-Prince-Édouard. Comme cela était prévisible, Robert s’est plutôt dirigé vers Ottawa, où il a séjourné dans divers cabinets libéraux et a finalement abouti au bureau de Jean Chrétien.
Comme la grande majorité de ses camarades, M. Ghiz n’a jamais été inquiété par le Directeur général des élections du Québec (DGE). D’ailleurs, sur les 54 étudiants reconnus coupables en 1998, moins de la moitié ont payé l’amende.
Le DGE trouve « exagérées » les craintes du PQ, qui craint que l’élection du 7 avril puisse « être volée par des gens de l’Ontario », comme l’a déclaré le ministre de la Justice, Bertrand St-Arnaud, après la démission du président de la commission de révision de la circonscription de Sainte-Marie–Saint-Jacques, Mathieu Vandal, qui jugeait impossible d’assurer la conformité des nouvelles inscriptions sur la liste électorale, en particulier dans le cas des étudiants venant d’autres provinces.
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Chat échaudé craint l’eau froide. De nombreux souverainistes demeurent sincèrement convaincus que seule la tricherie a permis au non de l’emporter en 1995. Le livre de Robin Philpot, Le référendum volé, est devenu un véritable classique de la littérature souverainiste.
Les témoignages des étudiants en provenance du Canada anglais désireux de voter le 7 avril ne laissent aucun doute sur leur motivation : ils veulent empêcher le PQ de tenir un autre référendum. Malgré les efforts de Pauline Marois pour expliquer qu’il ne s’agit pas d’une élection référendaire, il semble que ce ne soit pas encore très bien compris.
Le risque de fraude est réel. On peut facilement comprendre le PQ de souhaiter que tous les moyens soient pris pour que les nouveaux électeurs respectent les dispositions de la loi électorale, mais la frontière entre l’appel à la vigilance et l’ingérence dans le travail du DGE est très mince.
Dès qu’il est question d’élections, les partis politiques ont beaucoup de difficulté à respecter son autonomie. En 2010, Marcel Blanchet avait même décidé de quitter son poste à la suite des critiques aussi dures qu’injustes que lui avaient adressées aussi bien le gouvernement Charest que l’opposition péquiste, quand il avait présenté un projet de réforme de la carte électorale qui leur déplaisait, mais que la loi lui imposait.
Dans la lettre qu’il a publiée dans Le Devoir, le président démissionnaire de la commission de révision de Sainte-Marie–Saint-Jacques explique que la notion de « domicile » pose des problèmes d’interprétation que les réviseurs ne sont pas toujours capables de résoudre. Si la loi est trop floue, c’est au législateur de la renforcer.
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Lundi, Philippe Couillard a qualifié de « grotesques » les craintes exprimées par le PQ, qu’il a accusé de chercher à intimider le DGE, mais les libéraux ne s’étaient pas gênés pour s’ingérer dans le travail de celui qui occupait le poste en 1995, Pierre-F. Côté, qui avait eu le tort de chercher à prévenir les fraudes qu’aurait pu tenter le camp du non.
Dans son livre, Robin Philpot rappelle comment le président duCommittee to Register Voters Outside Quebec et vice-président du PLQ, Casper Bloom, avait qualifié M. Côté de « patsy » (pantin) du PQ, quand il a entrepris de resserrer la réglementation concernant l’inscription d’électeurs résidant à l’extérieur du Québec. La loi accordait le droit de vote à ceux qui avaient quitté le Québec depuis moins de deux ans, mais on leur avait demandé de s’engager à revenir au Québec deux ans après leur départ, même si cela était invérifiable.
On ne saura jamais avec certitude dans quelle mesure la fraude a pu fausser le résultat du référendum de 1995, mais il subsistera toujours un doute. Notre système électoral et le retour au bipartisme qu’annoncent les sondages rendent heureusement très peu probable que quelques votes illégaux déterminent l’issue de l’élection du 7 avril, toute référendaire qu’elle soit.
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