Charte de la laïcité et jeux de coulisses au Barreau du Québec

Chronique de Louis Lapointe

En raison des règles de gouvernance actuelles du Barreau du Québec, un Bâtonnier du Québec sur deux vient d’un grand cabinet de Montréal.
Ce qui a eu pour effet d’influencer plusieurs décisions importantes prises par le Barreau au cours des 15 dernières années:

L’incorporation des cabinets d’avocats qui a accéléré le phénomène de fusions de grands cabinets de Montréal avec de grands cabinets canadiens et internationaux ;
L’introduction de la multidisciplinarité qui a permis à de grands cabinets d’avocats d’offrir à leurs clients des services professionnels régis par d’autres ordres professionnels;
La réforme de l’École du Barreau effectuée en fonction des besoins des grands cabinets de Montréal qui souhaitaient que leurs futurs stagiaires passent moins de temps à l’École et plus de temps au bureau après l’obtention de leur diplôme universitaire.

En fait, les prises de position du Barreau sont surtout influencées par les grands cabinets de Montréal dont les avocats sont les plus nombreux dans tous les comités du Barreau.
Ces grands cabinets étant tous fédéralistes, on peut facilement comprendre pourquoi le Barreau a présenté un rapport aussi dévastateur sur la Charte de la laïcité.
Or, le Barreau a entrepris une réforme profonde de sa gouvernance comme on a pu l’apprendre dans l’édition de février du Journal du Barreau.
Compte tenu de l’ascendant des grands cabinets de Montréal qui ont de plus en plus besoin d’argent, cela n’annonce rien de bon pour l’accessibilité à la Justice. À cet égard, la dissolution du grand cabinet montréalais Heenan Blaikie est de très mauvais augure.
Dans un article publié dans le Devoir du 18 juillet 2007 - Repenser le Barreau du Québec ? - je faisais un lien direct entre les coûts prohibitifs de la justice et l’incapacité du Barreau de représenter le public en raison du fait qu’il était inféodé par les grands cabinets de Montréal.
Comme ce sont les grands cabinets qui contrôlent le Barreau, on ne doit donc pas s’attendre à ce qu’ils favorisent des réformes qui ne leur rapporteront rien.
Il en va tout autrement des plus petits cabinets dont la survie est intimement liée à l’accessibilité à la justice.
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La semaine dernière, soit un mois après le coulage du mémoire du Barreau sur le projet de Charte de la laïcité, la Bâtonnière du Québec a tenté de remettre le dentifrice dans le tube et demandé à être entendue avant le déclenchement d’éventuelles élections par la commission parlementaire qui étudie le projet de loi 60 sur la charte de la laïcité.
Johanne Brodeur, l’actuelle Bâtonnière du Québec, est une avocate de province dans le sens littéral du terme. Les comités du Barreau étant en grande partie contrôlés par les avocats des grands cabinets de Montréal, cette dernière ne pouvait donc espérer avoir le même ascendant qu’aurait eu un Bâtonnier provenant de Montréal sur le comité consultatif en droit de la personne qui a préparé le rapport dévastateur sur le projet de Charte.
Comme elle n’a pas réussi à contrôler le contenu du mémoire du Barreau par le jeu politique interne, elle tente donc par tous les moyens, y compris le lobbying, de rectifier le message qu’envoie le Barreau au public qui n’est pas représentatif de ce que tous les avocats peuvent penser de la Charte.
Il est possible d’être pour ou contre le projet de Charte sans déchirer sa chemise comme l’a fait le Barreau dans son mémoire.
Or, comme je l’ai déjà mentionné, le Barreau est actuellement en processus de modification de ses règles de gouvernance. La vie démocratique au sein de l’ordre pourrait donc changer au terme d’un long processus qui aura pour point d’orgue l’approbation du gouvernement.
Dans le contexte fort probable d’une réélection du Parti Québécois, on comprend alors l’empressement de la Bâtonnière à vouloir être entendue pour rectifier le message envoyé par le Barreau dans son mémoire sur la Charte.
Un gouvernement majoritaire du PQ serait beaucoup plus sympathique à un Barreau moins fermé hermétiquement à sa Charte.
Il serait surtout plus ouvert à une vision de la Justice défendue par une Bâtonnière qui viendrait relativiser le message des grands cabinets fédéralistes de Montréal sur la Charte. C’est probablement le pari que tient la Bâtonnière actuelle qui vient de région, là où on retrouve surtout des petits cabinets.
Les grands cabinets de Montréal étant plus préoccupés par leurs profits que par l’accessibilité à la Justice, le gouvernement comprendra qu’il serait pour le moins hasardeux de les laisser décider de l’avenir du Barreau, alors qu’il est de notoriété public qu’on ne peut pas leur faire confiance malgré tous les beaux discours des Bâtonniers qui sont issus de leurs rangs.
Quoiqu’en dise la Bâtonnière du Québec, elle n'en pense pas moins, le Barreau est d'abord perçu comme une corporation politique au service de ses membres les plus influents des grands cabinets de Montréal, pas comme un ordre professionnel qui protège le public.
Voilà probablement pourquoi elle tient absolument à être entendue en commission parlementaire avant le déclenchement des élections afin de faire valoir un point de vue plus nuancé sur le projet de Charte de la laïcité et redorer ainsi l'image du Barreau auprès du public.
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Sur le même sujet :
Malaise passager ou dérive idéologique ?

Historiquement, le Barreau du Québec a toujours évité, autant que faire se peut, de prendre position de façon aussi catégorique contre le gouvernement du Québec, comme il l’a fait aujourd’hui dans son mémoire sur la charte de la laïcité.


[L’exception Claude Robinson->http://www.vigile.net/L-exception-
Claude-Robinson ]

La justice que nous avons vue à l’œuvre dans le cas de Claude Robinson est celle des grands cabinets d’avocats.
Une justice qui coûte cher puisqu’il s’agit d’une industrie qui fonctionne à l’argent. L’argent des contribuables pour payer l’appareil judiciaire et l’argent des clients pour payer des avocats dont les tarifs horaires oscillent entre 300$ et 1000$ l’heure en fonction de leur expérience.
Qui peut se payer cette justice à part les riches ?

Le vice-président
Pour devenir Bâtonnier du Québec, il faut suivre une multitude de règles non écrites. Il faut tout d’abord briguer le poste de vice-président : si vous êtes originaire de Montréal, vous pouvez le briguer tous les deux ans ; si vous êtes de la province ou de Québec, c’est possible tous les quatre ans. Le vice-président est normalement promu, sans opposition, au poste de Bâtonnier, l’année suivant son élection au poste de vice-président.

Repenser le Barreau du Québec ?
Le Barreau est plus une organisation politique que professionnelle. Le pouvoir qui y règne est entre les mains des plus influents membres de la profession, qui proviennent majoritairement des grands cabinets d’avocats de Montréal, (…). Que ce soit au sein des comités du Barreau ou à la plus haute fonction de bâtonnier du Québec, ces charges politiques sont dans la plupart des cas occupées par des représentants des grands cabinets, car le pouvoir est là ! (…)
Si le Barreau ne trouve pas le courage et l’audace de se réformer lui-même, il risque d’être confronté un jour ou l’autre à l’inévitable scission que lui imposera le gouvernement à la suite des pressions grandissantes qu’exercera le public.

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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