Québec -- Jean Charest jure avoir «tout fait» pour obtenir l'appui des groupes d'opposition et permettre à son gouvernement minoritaire de survivre au test budgétaire lors du vote du 1er juin. Rejetant l'entière responsabilité d'éventuelles élections sur les partis d'opposition, il a soutenu que ceux-ci «sont en train de faire la démonstration qu'un gouvernement minoritaire, ça ne marche pas. Que s'ils veulent faire avancer le Québec, [...] il faudra peut-être retourner aux urnes», laissant entendre qu'il obtiendrait alors une majorité. Semblant jouer son va-tout, le premier ministre a déclaré n'avoir aucune intention de faire des gestes la semaine prochaine pour amener ses vis-à-vis à appuyer son budget. Tout au plus a-t-il laissé tomber en anglais: «S'ils ont quelque chose à proposer... » Une porte est donc légèrement entrebâillée.
Mais plus tôt en après-midi, le Parti québécois confiait au Devoir que le gouvernement, en position de faiblesse dans les sondages, devrait faire les premiers pas: «Il faut s'attendre à ce qu'il y ait une tentative de rapprochement, soit avec nous autres, soit avec l'ADQ», a dit le critique en matière de finances, François Legault.
Jean Charest ne se montrait toutefois aucunement enclin au rapprochement hier. Très agressif, il a au contraire multiplié les attaques quasi électorales à l'endroit des partis d'opposition, affirmant que le chef adéquiste, Mario Dumont, avait «trahi la classe moyenne» et que les élus du Parti québécois étaient «génétiquement programmés contre les baisses d'impôt». Selon lui, les partis d'opposition ont choisi de «combattre la classe moyenne» et ont placé la «politicaillerie» devant les intérêts des Québécois. S'il y avait un scrutin cet été -- lequel pourrait se tenir le 9 juillet --, M. Charest a dit que ce serait une première en Amérique du Nord de voir des partis d'opposition «combattre des baisses d'impôt pour la classe moyenne».
M. Charest soutient qu'à l'exception de ces réductions d'impôt de 950 millions, il a répondu aux trois conditions que le Parti québécois avait formulées en période prébudgétaire. «Allez relire le budget!», a-t-il clamé, soutenant qu'il a comblé les souhaits péquistes en matière de groupe de médecine familiale et de soins à domicile, et «il y a 50 millions de dollars de plus» pour les enfants en difficulté, pour lesquels le projet de budget Jérôme-Forget consacre 800 professionnels supplémentaires. Quant à l'ADQ, le premier ministre croit qu'elle aurait voté contre le budget peu importe son contenu.
Ainsi M. Charest a-t-il rejeté l'idée hier de faire une déclaration budgétaire complémentaire. Plus tôt dans la journée, le président de l'Assemblée nationale, Michel Bissonnet, avait rappelé -- en réponse à une question posée par la leader péquiste Diane Lemieux -- que les députés d'opposition ne pouvaient modifier le budget après son dépôt mais que le gouvernement, lui, avait le loisir de le faire. M. Charest nie toutefois que la balle soit dans son camp. Selon lui, «toute la semaine» l'ADQ et le PQ auront à faire un «examen de conscience» devant les Québécois, qui les verront «combattre la classe moyenne».
Colère noire
C'est plus tôt en matinée, lors de la première période de questions de la «session intensive» (où l'Assemblée siège du lundi au vendredi), que M. Charest était passé à l'attaque, en réaction aux réponses du chef adéquiste Mario Dumont. Jouant la carte nationaliste, il avait reproché à ce dernier, dans une envolée d'une rare véhémence, de «ramper» devant le Canada anglais. Dumont s'était ému que le reste du pays ait pu interpréter comme un «détournement des fruits du déséquilibre fiscal» la promesse de consacrer 950 millions de dollars à des baisses d'impôt. «Comme s'il fallait [présenter] des excuses [...] parce que j'ai investi en santé puis en éducation le temps où le fédéral nous coupait. Jamais je ne ferai ça! Je suis fier des décisions qu'on a prises. Je suis très fier de ce que je suis allé chercher au fédéral. Puis, contrairement à vous, je ne ferai pas d'excuses au Canada anglais pour ça. On va baisser les impôts», a lancé M. Charest en frappant sur son bureau.
Mario Dumont a pour sa part affirmé que le premier ministre faisait preuve de la même arrogance que les Québécois avaient sanctionnée le 26 mars. En appui à sa critique à l'égard des choix libéraux, le chef adéquiste a aussi cité un document de l'OCDE -- rendu public le jour même du budget -- enjoignant aux «administrations provinciales» d'utiliser avec «prudence les transferts décidés dans le cadre du dernier budget fédéral et [de] s'employer à réduire le poids de la dette afin de se préparer à faire face aux dépenses que va engendrer le vieillissement de la population».
Préparations électorales
Par ailleurs, devant l'attitude du gouvernement et le choix du PQ de s'opposer au budget, M. Dumont a fait savoir hier que les troupes de l'ADQ se préparent déjà à des élections précipitées. Au reste, Jean Charest, en fin d'après-midi hier, soulignait aussi être «en contact constant» avec son équipe électorale.
M. Dumont a pour sa part fait état d'un appel-conférence effectué jeudi soir. Le but: discuter avec ses organisateurs électoraux, dont Jean-Simon Venne, d'élections qui pourraient être déclenchées début juin. «Nous devons nous préparer à tous les scénarios, incluant ceux qui ne sont pas notre premier choix», a indiqué M. Dumont.
«Il n'y a rien d'exclu», a-t-il dit. «Je suis prêt à assumer toutes les responsabilités que les Québécois voudront me confier», a-t-il ajouté, reprenant les mêmes mots qu'il avait employés lors de la campagne électorale. «Mais on n'est pas rendus là.»
Lors de la dernière campagne, Mario Dumont avait rejeté la possibilité que le gouvernement puisse être formé par un autre parti que celui qui a obtenu le plus de sièges. Il en est moins sûr aujourd'hui. Dans des circonstances particulières -- pour éviter que deux campagnes électorales se tiennent à trois mois d'intervalle --, le lieutenant-gouverneur pourrait demander à l'opposition officielle de former le gouvernement. «On traversera le pont quand on arrivera à la rivière», a dit le chef adéquiste. Mais il a admis que les circonstances étaient particulières. «C'est sûr que le premier ministre est en train de créer des circonstances assez spectaculaires.»
Mario Dumont s'est dit surpris du ton vindicatif qu'a employé hier le premier ministre Jean Charest lors de la période des questions à l'Assemblée nationale. Il est un «premier ministre agité, un premier ministre un peu déboussolé dans son action, qui avait sans doute fait un calcul raté», juge-t-il.
Au début de la session, Mario Dumont répétait que le budget et les crédits seraient adoptés à la fin de juin malgré les différends qui existent entre les partis. Mais c'était sans compter sur le comportement «imprévisible» de Jean Charest. «La façon du premier ministre et du gouvernement de se comporter, je vais l'avouer humblement, je ne l'avais pas prévue», a-t-il dit. Le premier ministre ne se comporte pas comme un chef d'un gouvernement minoritaire. «Plutôt que de chercher des consensus, [il] s'est lancé dans des attaques personnelles à [l'endroit d'à] peu près tout le monde, Gilles Taillon, François Legault, Pauline Marois. Tout le monde y a passé à la période des questions», a-t-il noté.
Selon M. Dumont, il faut se demander si le gouvernement minoritaire a fait suffisamment d'efforts pour s'assurer de l'appui des partis d'opposition. Le gouvernement pourrait toutefois déposer un budget amendé à la suite de négociations avec le PQ. «Évidemment, pour le premier ministre, on s'entend que c'est un acte d'humilité. C'est mettre un genou à terre puis faire quelques pas avec le genou à terre», estime Mario Dumont.
Charest se braque
Les partis amorcent les préparatifs électoraux
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