Charest est furieux de sa campagne

Bye Bye Patapouf


Dur bilan postélectoral à prévoir chez les libéraux du Québec : Jean Charest est carrément furieux devant les résultats de lundi soir. Et comme des coupables doivent être trouvés, on marche sur des oeufs dans la garde rapprochée du premier ministre.
La perte de 28 circonscriptions par les libéraux a tellement déstabilisé Jean Charest et son entourage qu'on a repoussé à la mi-avril la formation du Conseil des ministres, opération qu'on prévoyait avoir réglé avant Pâques. Mais c'était avant le lundi noir du vote. D'ailleurs, la plupart des survivants libéraux de la vague adéquiste n'attendent que la réunion d'aujourd'hui, qui rassemble au Parlement tous les candidats libéraux, pour partir en vacances.
L'Assemblée nationale ne sera pas rappelée le 1er mai, mais bien le 8. Une semaine supplémentaire pour préparer le message inaugural qui permettra en outre à M. Charest d'assister à une réunion des premiers ministres provinciaux à Toronto, convoquée pour le 1er mai.
Selon plusieurs sources, le chef libéral " a sauté les plombs " durant sa tournée électorale dans les heures suivant son accrochage à Varennes avec un ouvrier de ABB, Richard Lévesque, qui l'avait enguirlandé.
L'avant-veille, M. Charest avait suivi les recommandations de ses conseillers et adopté un ton de chef d'État au débat télévisé des chefs, une stratégie qui s'était révélée néfaste : tous les observateurs l'avaient décrit comme nonchalant devant ses adversaires. Après Varennes, c'en était trop, explique-t-on. " Tout était approximatif dans l'organisation, les thèmes, les répliques, les lignes de presse... et même "l'advance" ", a-t-on confié à La Presse. La machine libérale paraissait " fonctionnarisée ", produisait des notes trop " technocratiques " pour alimenter un chef au combat.
À des proches il a soutenu après le débat qu'il n'avait pas l'impression de faire " sa " campagne. Freiné pendant longtemps, il avait accepté de ne pas hausser le ton jusqu'aux dernier jours de sa tournée. Il faut dire qu'il était sous anesthésie : les sondages internes et les analyses de ses conseillers laissaient entrevoir plus de 55 circonscriptions, à quelques sièges du gouvernement majoritaire. La dégelée a été d'autant plus douloureuse lundi.
Jean Charest devra longtemps défendre sa décision de déclencher les élections plus rapidement que ne le prévoyaient ses troupes. Chez les libéraux, on a craint que la grogne à l'endroit d'André Boisclair entraîne sa démission, explique-t-on. Le départ du chef péquiste aurait forcé M. Charest à mettre à la poubelle tout scénario d'élections avant l'été.
Le PQ semblait vulnérable, on a appuyé sur le bouton sans trop tenir compte du taux toujours élevé d'insatisfaits et des sondages qui montraient que deux Québécois sur trois souhaitaient changer de gouvernement.
Surtout, les stratèges libéraux se sont trompés d'ennemi. On avait préparé un arsenal pour combattre le PQ, sans soupçonner la force de la montée de l'ADQ. On a mis plusieurs jours à rajuster le tir, mais Mario Dumont avait déjà eu le temps de marquer beaucoup de points auprès de l'électorat.
Si on les regarde attentivement, les résultats de lundi sont plus accablants pour les libéraux que pour le PQ. Les 52 circonscriptions où les courses étaient serrées en 2003 se partageaient également entre libéraux et péquistes, observe Claire Durant, de l'Université de Montréal. Or, de ses 25 sièges âprement acquis, le PLQ n'en a conservé que deux - 17 sont passés à l'ADQ et 6 au PQ. Le PQ a lui conservé 12 sièges parmi ses 24 gagnés de haute lutte en 2003, et en a pris six aux libéraux. L'ADQ a conservé ses trois sièges serrés de 2003, mais en a pris 17 aux libéraux et 12 au PQ, pour un total de 32.
Devant cette hécatombe, bien des yeux se tournent désormais vers le chef de cabinet de M. Charest, Stéphane Bertrand. Dans les coups durs, c'est classique, l'entourage du chef se retrouve sur la sellette. M. Bertrand a déjà passé près de quatre ans à l'un des postes les plus exigeants qu'on puisse imaginer, entend-on. Il serait normal qu'il aspire à d'autres fonctions.
Trouver un successeur n'est pas une mince affaire, mais on réentend parler de Daniel Gagnier, 60 ans, qui vient de quitter la vice-présidence d'Alcan, qui connaît M. Charest depuis son passage au cabinet de Brian Mulroney. M. Gagnier avait été sérieusement pressenti pour être chef de cabinet en 2003, mais avait refusé l'offre.
Le premier ministre Charest mettra par ailleurs sur la voie de garage sa promesse de consacrer aux baisses d'impôts les 700 millions reçus d'Ottawa en péréquation supplémentaire. Déjà que cette annonce avait été passablement déchirante - les conseillers de M. Charest étaient partagés devant cette idée risquée -, elle a de plus été unanimement critiquée par les éditorialistes. Plusieurs conseillers poussaient pour que les 700 millions soient partagés dans plusieurs postes, santé, éducation et même les aînés. Mais d'autres ont plaidé avec succès qu'un saupoudrage de mesures n'aurait pas l'impact attendu auprès des électeurs.
Les députés susceptibles d'être appelés au Conseil des ministres se surveillent du coin de l'oeil. Philippe Couillard a multiplié les coups de fil auprès des députés et des candidats défaits, confie-t-on. Une simple rencontre privée entre MM. Couillard et Jean-Marc Fournier a alimenté les rumeurs dans les cabinets ministériels, hier.
Des libéraux de longue date avouent qu'après une telle raclée électorale, les militants vont légitimement se demander si Jean Charest est celui qui doit les mener aux prochaines élections. M. Charest voudra et pourra probablement se maintenir, il est premier ministre, mais il ne pourra pas éviter qu'une remise en question se fasse.
Des coups de sonde auprès de députés libéraux défaits soulèvent le même commentaire : par le choix de ses thèmes, Mario Dumont a su toucher les électeurs dès les premiers jours de la campagne.
Des députés battus comme Bernard Brodeur, dans Shefford, et André Chenail, dans Huntingdon, décrivaient hier la montée de l'ADQ comme un " tsunami ", un courant irréversible." On avait le PQ dans le rétroviseur, mais on ne voyait pas l'ADQ dans l'angle mort. On me parlait des accommodements raisonnables deux fois par jour ", a constaté M. Brodeur.
Karl Blackburn, libéral lui aussi défait dans Roberval, constate que l'ADQ a grugé ses appuis, exactement comme elle avait coupé les jambes à son adversaire péquiste il y a quatre ans.
Le chef adéquiste a fait mouche et décidé du programme, en parlant d'accommodements raisonnables, de famille et de structures à revoir comme les commissions scolaires.
Les électeurs demandaient même fréquemment aux candidats des autres formations leur position sur le programme proposé par l'ADQ. " Chez nous, même les anglophones ont voté à 50 % adéquiste ", constate, médusé, le libéral André Chenail, battu dans Huntingdon.
Même fragile, le gouvernement Charest a passablement de temps - plus d'un an probablement - devant lui. L'ADQ serait clairement portée au pouvoir si des élections avaient lieu avant la fin de l'année, confient des stratèges libéraux. De plus, il n'y a guère de risques que le gouvernement soit battu en Chambre dans la prochaine année, notamment parce que le PQ doit aussi tirer un douloureux bilan postélectoral.


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