J'ai lu avec une grande perplexité, dans les colonnes du " Monde des livres " du 17 mars, l'article publié par David Homel intitulé " La littérature québécoise n'est pas un produit d'exportation ". J'ai eu l'occasion d'accueillir cet auteur au sein d'un groupe d'écrivains québécois et j'avoue ne pas très bien comprendre le sens de sa démarche et les arguments avancés pour expliquer l'apparente méconnaissance en France de cette littérature. En tant qu'universitaire, spécialiste de cette littérature et présidente de l'Association internationale des études québécoises, je souhaite revenir sur quelques points de l'article que l'on pourrait présenter, au contraire, comme des éléments positifs et constitutifs de la vitalité de la littérature québécoise
Pour David Homel " le Québec culturel, c'est plutôt le geste. Parfois relié à la parole chantée ou déclamée, ou non ". La culture québécoise peut être vue comme essentiellement orale, c'est même l'une des originalités de ce pays. Le Québec est le pays de la " voix vive ", disait le médiéviste suisse Paul Zumthor. Ce n'est pas seulement la chanson, mais tout un courant de la poésie et de la prose qui en témoigne. Il suffit de lire les poèmes de Gaston Miron dans la collection " Poésie " des éditions Gallimard pour apprécier l'oralité qui traverse cette écriture que l'on retrouve encore aujourd'hui dans les textes poétiques comme ceux de Claude Beausoleil ou dans les romans et récits du grand écrivain Michel Tremblay, publié chez Actes Sud.
Je passe sur les remarques proprement politiques qui, si je lis bien, soulignent plutôt positivement la bonne santé d'un " Québec qui a augmenté ses revendications politiques depuis quelques décennies, comme les autres provinces, avec plus de vigueur ", pour tenter de comprendre les raisons avancées ensuite par David Homel, qui expliqueraient l'absence de cette littérature en France. Mais un curieux amalgame est fait entre la politique et la qualité des oeuvres. Dans ce " pays très tranquille " qu'est le Canada, " les écrivains québécois ne bénéficient pas de la vague postcoloniale qui a vu une popularité grandissante des auteurs issus de pays dits en voie de développement, anciennes colonies européennes ". " Le Québec n'aurait pas son Patrick Chamoiseau, son Tahar Ben Jelloun, son Ahmadou Kourouma ". Outre le fait que ce n'est pas très aimable pour ces " grands noms ", David Homel laisse entendre que le succès de ces écrivains tient moins aux qualités intrinsèques de leurs oeuvres qu'à une sorte de repentir de la France à l'égard de ses anciennes colonies. Ce qui n'est pas le cas du Québec, mais sa littérature s'apparenterait à celle d'une culture colonisée par la grande culture française. Les auteurs québécois restent " des provinciaux ", " des petits cousins d'Amérique " et leur langue d'écriture ne passerait pas auprès des lecteurs français : " Les livres québécois arrivent avec un net accent qui serait difficile à assimiler par la machine de l'édition française. "
D'une part, le sujet n'est pas nouveau. David Homel reprend un vieux débat qui a commencé dès le XIXe siècle chez les écrivains canadiens français, qui percevaient le danger d'écrire dans une langue éloignée des normes du français de France. D'autre part, ces propos font preuve d'une grande méconnaissance de la littérature québécoise contemporaine : quel lecteur français se trouve désemparé devant la créativité d'auteurs tels que Marie-Claire Blais (Prix Médicis), Réjean Ducharme (dont l'oeuvre est publiée chez Gallimard), Madeleine Gagnon, Anne Hébert (Prix Femina), Robert Lalonde, Gaétan Soucy, Michel Tremblay et bien d'autres qui enrichissent avec bonheur la langue française et la littérature contemporaine ?
Mais ce n'est pas seulement la langue qui poserait problème, c'est aussi l'ensemble des thèmes abordés " qui restent intimes ". Là encore, la remarque porte sur une période ancienne, celle des années 1960-1970, car il est inexact que l'oeuvre récente de Marie-Claire Blais, nommément citée, s'en tienne à " la famille et ses secrets, l'enfant qui peine à devenir adulte ". La littérature du Québec depuis au moins deux décennies s'est emparée du continent. La dimension américaine, et pas simplement états-unienne, est bien présente dans de nombreuses fictions de Jacques Poulin, de Robert Lalonde, de Monique Larue, de Guillaume Vigneault comme chez de nombreux poètes contemporains.
Quant à dire qu'il s'agit d'une " littérature féminine " parce que " la grande majorité des lecteurs sont des lectrices ", c'est un débat qui mériterait plus de place que ne l'autorise cet article ! J'ose croire que la plume de David Homel est capable d'analyses plus fines et que cet auteur s'est laissé maladroitement enfermer dans un sujet qu'il connaît mal, jusqu'aux statistiques qu'il avance, et qui, sorties de leur contexte, sont erronées. Dire que, selon Statistiques Canada, 22,3 % de la population active de 16 ans et plus ne sauraient pas lire, c'est ne pas tenir compte des 5 niveaux de lecture donnés dans le rapport national, qui souligne que le premier niveau (ces 22,3 %) ne veut pas dire analphabétisme mais basse qualification d'instruction, ce qui n'est pas tout à fait pareil.
Les tournées d'auteurs soutenues par l'Association internationale des études québécoises, dont David Homel a d'ailleurs bénéficié, ont permis au cours des douze derniers mois de faire circuler dans les universités françaises, et dans quelques lieux publics, dix auteurs québécois. Ce circuit montre qu'il y a des lecteurs, qu'il y a des cours, qu'il y a des mémoires et des thèses qui sont soutenus.
Il ne faut pas tout confondre. Les problèmes du marché du livre francophone sont réels, et les éditeurs québécois comme les autres éditeurs de l'espace francophone ont peu de visibilité. D'autres circuits, encore trop peu nombreux, permettent aux écrivains de rencontrer des lecteurs, comme le fait la Librairie du Québec à Paris ou les manifestations organisées par des universitaires et des associations.
Yannick Gasquy-Resch
_ Professeur à l'Institut d'études politiques d'Aix-en-Provence, chargée de cours à Paris-IV-Sorbonne, auteur notamment de Littérature du Québec (AUPELF/UREF).
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Par Yannick Gasquy-Resch
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