Maintenant que Madrid a dissous l’ensemble du gouvernement de Carles Puigdemont, la Catalogne est engagée jusqu’au 21 décembre dans une campagne électorale qui a toutes les allures d’un second référendum sur l’indépendance. Alors que quatre figures souverainistes sont emprisonnées et que le président déchu fait campagne depuis Bruxelles, Le Devoir est allé sentir l’ambiance sur place. Premier texte d’une série de quatre.
Il règne sur Cornudella de Montsant la douceur des beaux jours. Accrochée aux pentes du Priorat, dans la province de Tarragone, cette « mecque de l’escalade », ainsi que l’appellent des villageois un brin chauvins, attire des sportifs venus de toute l’Europe. Mais la barrière linguistique ne peut servir de prétexte à ces derniers pour se désintéresser de l’actualité locale : sur l’imposant rocher de Siurana, une immense affiche « Love democracy » défie le précipice.
Avec ses 900 habitants, Cornudella, comme les villages alentour, est un fief indépendantiste : la participation au référendum a atteint 85 % dans la région (95 % de oui), quand la moyenne catalane n’était que de 43 %
Au comptoir du Café de la Renaixença, une « caisse de la résistance » récolte les dons pour financer des actions locales pro-indépendance en vue du scrutin législatif régional de la semaine prochaine. Un comité anonyme s’en occupe, dont Sara et Bernat font partie. Ils ne veulent pas dire leurs vrais noms, « pour garder l’esprit tranquille », selon l’homme de 36 ans. Tous deux sont employés du gouvernement espagnol : « Dans la province de Lérida, des enseignants ont discuté de la répression entourant le référendum avec leurs élèves. Des parents les ont dénoncés pour endoctrinement et incitation à la haine, et ils ont dû aller s’expliquer devant un juge », explique-t-il.
Le comité ne fait pourtant rien de bien subversif : outre de l’affichage, il a décidé, avec l’aval du maire, que Cornudella de Montsant n’installerait pas de lumières de Noël dans ses rues tant que les « prisonniers politiques » ne seraient pas remis en liberté par Madrid. « Dans un village où peu de choses se passent, lorsque l’une d’entre elles s’arrête, cela interpelle la population », explique Sara, 30 ans, pour défendre la portée de ce geste.
« Climat pourri »
Sara et Bernat sont des indépendantistes de toujours. Ils l’étaient déjà il y a une dizaine d’années, quand l’option de la souveraineté vivotait entre 15 et 20 % dans les sondages. Ils reviennent de Bruxelles où ils ont pu rencontrer Carles Puigdemont et lui exprimer leur soutien. « Mais ce que nous faisons en ce moment n’a rien à voir avec l’indépendance, insiste Sara. Les gens veulent voter, c’est tout. Je suis persuadée que s’il y a trois ans, le gouvernement avait permis le référendum [du 9 novembre 2014] et que le non l’avait emporté, tout serait fini. On n’en serait pas arrivé là où on en est. »
« Là où on en est », c’est un climat pourri que dénonce le duo. Bernat montre une photo du dernier numéro de la revue de l’association culturelle Òmnium Cultural (dont le président Jordi Cuixart fait partie des « prisonniers politiques ») : il a été livré caché entre deux feuilles blanches. La raison ? Des exemplaires de l’édition précédente, incluant une affiche « Démocratie », ne se sont jamais rendus aux abonnés. À son échelle, le petit comité de Cornudella utilise un code lors de ses communications sur le réseau WhatsApp : une réunion, c’est une « recette de cuisine ». La peur de la surveillance et d’une future répression est vivace. « Ce n’est pas normal », martèle Sara.
Sur les balcons de Barcelone ou de Tarragone, une bataille pacifique de drapeaux, catalans contre espagnols, fait rage ; à Cornudella de Montsant comme ailleurs dans le Priorat, les esteladas, bannières indépendantistes, n’ont aucune rivale.
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