Le Québec n’est pas la Catalogne, c’est une évidence qu’il faut rappeler. Par respect pour nos deux peuples et nos deux pays, certes. Mais par sagesse politique également. En effet, les adversaires et les détracteurs de notre quête ne manqueront pas de faire des amalgames – quel mot galvaudé ! – qui viseront à utiliser les travers et revers de l’un pour discréditer les forces de l’autre. Il y a donc lieu de pratiquer une vigilance critique essentielle. C’est ce qui motive ce premier dossier.
Il est évidemment encore trop tôt, au moment d’écrire ces lignes, pour dresser un bilan définitif de ce qu’aura donné l’audace catalane. Ce peuple a fait une démonstration de courage et de démocratie exemplaire. Nous devons nous en inspirer ici même au pays : la cohésion, la solidarité et le calme dont il a fait preuve jusqu’ici méritent d’être soulignés et imités. Cela tient sans aucun doute des vertus attribuables à la culture de ce peuple. Mais cela tient aussi à la façon dont il a conduit et mène toujours son combat. Le dossier du présent numéro est riche d’enseignement à cet égard.
Étant entendu qu’il faudra y revenir plus d’une fois et qu’il faut se garder des jugements définitifs tant que le dénouement reste ouvert, il est néanmoins utile de tirer quelques premières leçons pour la conduite du combat ici même.
La première et la plus importante des leçons à tirer : le droit à l’autodétermination n’est jamais acquis. La lâcheté et l’hypocrisie des grands États et de l’Union européenne en ont fait l’affligeante démonstration. Les discours vertueux ne tiennent guère devant la realpolitik. Il faut que les indépendantistes québécois le réalisent : même si le Canada a tenté de se poser en parangon de démocratie en se vantant d’avoir laissé se tenir nos deux référendums, sa position de soutien à l’Espagne ne laisse guère planer de doute sur ce qu’il aurait fait en cas de résultat positif. Les témoignages de Jean Chrétien doivent être rappelés : le Canada n’aurait certainement pas été le beau joueur qu’il prétend être. Le procès actuel contre la loi 99 est très révélateur à cet égard : maintenant que le mouvement est dans un état d’extrême faiblesse et désarroi, la manœuvre vise à nier ce droit et à justifier le tout dans un jugement et dans l’enrobage d’une constitution illégitime, mais qui va lui tenir lieu de référence ultime pour la suite des choses.
Il faut donc suivre attentivement ce qu’il adviendra de ce procès. Et ne jamais rater une occasion d’affirmer que notre droit à l’autodétermination nous appartient et que jamais nous ne reconnaîtrons la validité d’un jugement d’un tribunal étranger cherchant à le nier ou l’encarcaner.
La deuxième leçon à retenir du combat catalan : la mobilisation se construit lentement et son efficacité dépend de la profondeur de sa pénétration dans toutes les institutions. Les indépendantistes sont présents partout dans le complexe institutionnel catalan. C’est tout le contraire ici où les fédéralistes, très largement engraissés et valorisés de toutes sortes de manières par le Canada, contrôlent la plupart des institutions clés, des municipalités aux conseils d’administration des universités en passant par les grands corps publics. Ici, les adversaires de notre libération n’ont pas besoin de prendre appui sur un large mouvement populaire, ils contrôlent les leviers de mise en échec de tout gouvernement ayant des prétentions jugées inacceptables par Ottawa. Il suffit d’évoquer la manifestation des sept cents maires catalans pour soutenir la légitimité du référendum pour mesurer ce que cela signifie : qui pourrait sérieusement imaginer que cela aurait pu arriver ici ?
Pour que l’indépendance avance, il faut qu’il y ait une lecture indépendantiste et des positions indépendantistes dans toutes les institutions. Il faut faire voir que le Canada et son ordre constitutionnel empêchent toutes les institutions québécoises d’être pleinement au service de l’intérêt national. Le régime engendre et nourrit des distorsions qui nous condamnent collectivement à nous comporter comme minoritaires consentants. Le Québec doit fonctionner avec les moyens que le Canada lui laisse, ses institutions ne s’en trouvent plus que réduites à fabriquer la résignation.
Troisième leçon : la mobilisation se déploie sur la constance et la continuité. Chaque grand débat national, chaque grand enjeu doit être traité avec une perspective indépendantiste bien relayée par l’ensemble des organisations de la société civile. Syndicats, coopératives, associations de toutes sortes ont un rôle clé à jouer : témoigner du caractère globalisant de la promotion et de la défense de l’intérêt national. Leurs revendications doivent permettre de faire voir que sans forcer le jeu d’un ordre constitutionnel illégitime aucune politique provinciale ne peut servir le bien commun dans le respect intégral de nos intérêts. Ils doivent faire voir que la gestion provinciale nous condamne collectivement aux demi-mesures et aux arrangements inadéquats. Nous devons revendiquer ce qui sert notre intérêt et non pas ce qui est acceptable aux yeux du Canada.
Quatrième leçon : il faut réduire les moyens de chantage économique. En suivant à la trace les instances de représentations des organisations patronales et les chambres de commerce. En interpellant les dirigeants et propriétaires d’entreprises pour leur rappeler leurs appartenances et surtout, leurs obligations de loyauté à l’égard de leur peuple. Les conduites indignes de certains des dirigeants du Québec auraient dû et devraient être dénoncées avec l’objectif clair de miner leur crédibilité et leur notoriété. Il faut faire voir qu’un grand leader n’est jamais grand quand il piétine son peuple pour servir des intérêts particuliers. Nous avons l’avantage de vivre dans une petite société où il devrait être très difficile de fonctionner en cautionnant la déloyauté, l’asservissement et la minorisation.
Cinquième leçon : il faut tisser des liens internationaux. Il faut mettre en œuvre tous les moyens de ne pas se trouver captifs des ressources diplomatiques fédérales. La société civile a un rôle majeur à jouer pour faire connaître et partager notre combat. Un éventuel gouvernement indépendantiste devrait arriver au pouvoir avec un solide réseau constitué durant sa quête du pouvoir. À cet égard, il faut reconnaître l’infinie bêtise du gouvernement Bouchard d’avoir sapé notre réseau de délégations à l’étranger. C’était une erreur impardonnable. La tâche nous est désormais plus compliquée. Mais il y a des espaces à occuper avec la France d’abord, bien sûr, mais également avec toutes les petites nations qui savent ce que c’est que de vivre à l’ombre des grands ensembles et des grands États. L’espace de la Francophonie offre des possibilités qu’il ne faut en rien négliger.
Le combat pour l’indépendance se mène à l’échelle historique. Il faut savoir prendre nos distances avec l’actualité provinciale et les conjonctures politiciennes. Ce n’est pas parce que le combat souffre de l’anémie de partis velléitaires et sans imagination qu’il faut renoncer à le proposer et le mener avec l’intelligence du peuple. C’est à lui qu’appartient le projet de notre liberté collective. C’est par lui que nous la réaliserons.
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