Les présentes élections fédérales, tout comme les élections québécoises de 2007, montrent que la tendance à la négativité s'impose dans les stratégies de communication des partis. Certes, la critique de l'adversaire a toujours fait partie de l'arsenal des partis politiques. Cette logique promotionnelle est inhérente au choix démocratique, qui suppose une comparaison entre au moins deux candidats, deux partis ou deux visions du monde. Ce qui est nouveau toutefois, c'est le dosage ou l'intensité des campagnes négatives.
C'est un phénomène de «spirale» car il affecte tous les protagonistes du jeu électoral. S'il est normal pour un parti d'opposition de critiquer les politiques du parti au pouvoir et de montrer tous les dangers que représenterait sa réélection, il est plus étonnant de constater que le parti gouvernemental a lui aussi tendance à privilégier les attaques contre ses adversaires plutôt que de défendre ses réalisations et de miser sur les avantages que les citoyens ont tirés de son action. Puisqu'un parti qui est attaqué doit riposter afin de ne pas laisser accréditer les allégations de ses adversaires, cette dynamique engendre une guerre d'injures et de dénonciations qui s'est intensifiée dans la dernière décennie.
Tendance négative
Jusqu'au début des années 90, le discours publicitaire des partis au pouvoir privilégiait un contenu positif, alors que les partis d'opposition, conformément à leur rôle, accordaient plus d'importance à la critique de leurs adversaires mais misaient néanmoins sur des arguments positifs pour obtenir le soutien des électeurs. Depuis 1988, les partis gouvernementaux tablent de moins en moins sur leurs réalisations pour se faire réélire et participent eux aussi à la spirale de la négativité.
Les campagnes électorales récentes au Canada confirment cette tendance. Aux élections fédérales de 2004, le Parti libéral du Canada, affaibli par des scandales, eut recours à une stratégie de dénigrement de son adversaire conservateur, dénonçant dans ses messages publicitaires l'intolérance et l'extrémisme de ce parti. Cette virulence fut payante, puisqu'elle permit aux libéraux d'être à nouveau portés au pouvoir.
En 2006, les libéraux, constatant en milieu de campagne un déclin de leurs appuis, utilisèrent la même recette en diffusant en anglais et en français une série de messages extrêmement négatifs qui voulaient faire croire que les conservateurs enverraient l'armée dans les rues. Mais la redondance du procédé en réduisit l'efficacité, et les conservateurs réussirent à leur tour à former un gouvernement minoritaire. Dans la présente campagne électorale, les conservateurs s'attaquent directement au leadership de Stéphane Dion et tentent de miner sa crédibilité et celle de son programme.
Plus efficace
Pourquoi les partis misent-ils de plus en plus sur l'attaque pour gagner des votes? Les recherches menées aux États-Unis et au Canada ont montré que les électeurs accordent plus d'attention aux messages négatifs, qu'ils les assimilent plus facilement et qu'ils s'en rappellent plus longtemps. Cet effet de rétention affecte surtout les électeurs qui s'intéressent peu à la politique et qui sont peu informés, clientèle particulièrement difficile à rejoindre pour les partis.
La publicité négative est aussi efficace parce qu'elle réussit mieux que la publicité positive à faire parler d'elle. Le message conservateur de la fiente sur l'épaule de Stéphane Dion, qui ne fut diffusé que quelques heures sur un site Internet, en témoigne éloquemment. En ayant tendance à valoriser ce qui sort de l'ordinaire, les médias lui accordent beaucoup d'attention et accroissent son influence en l'intégrant comme objet d'information.
Le rejet plutôt que l'adhésion
Il semble y avoir une relation entre la désaffection et le cynisme croissants des citoyens envers la politique et le recours à des arguments négatifs dans les discours des politiciens. Comme les citoyens ne croient plus à l'efficacité de l'action politique et aux engagements des partis, ils sont moins sensibles aux offres de politiques et aux débats d'idées. Leurs critères de choix se fondent plus sur des perceptions affectives que sur des motifs rationnels.
Cette tendance est amplifiée par les médias, qui sont plus portés à valoriser ce qui va mal que ce qui va bien, ce qui crée un climat favorable aux attaques et aux dénonciations. Les partis suivent donc cette logique dans l'élaboration de leur stratégie de communication. Il s'agit d'obtenir le vote des électeurs en stimulant une réaction de rejet plutôt qu'une réaction d'adhésion. Il semble bien que cette tendance à la négativité s'amplifie avec le fractionnement et la dispersion de l'électorat entre plusieurs partis. Lorsque la concurrence est vive et que plusieurs partis sont susceptibles de former le gouvernement, le niveau d'agressivité s'accroît. L'élection fédérale de 2008 semble vouloir confirmer cette hypothèse.
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Denis Monière, Professeur de science politique à l'Université de Montréal
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