C’est comme si l’écho du référendum québécois de 1995 résonnait sur les vieilles pierres d’Édimbourg. À cinq jours du vote sur l’indépendance de l’Écosse, la panique s’est emparée du camp du Non, qui mène une campagne de peur sur les risques d’une rupture avec le Royaume-Uni.
Menaces de déménager les sièges sociaux, hausse évoquée des prix des aliments, « risques » pour les pensions de vieillesse, « instabilité » due à l’incertitude entourant la monnaie : les forces du Non semblent s’inspirer des arguments invoqués par les tenants de l’unité canadienne en 1980 et en 1995.
Comme Pierre Elliott Trudeau et Jean Chrétien, le premier ministre britannique David Cameron est venu faire une déclaration d’amour de dernière minute aux Écossais, cette semaine. Flanqué des deux leaders de l’opposition à Westminster, il s’est engagé à accorder des pouvoirs substantiels au Parlement écossais en cas de Non. Et pour la première fois de la longue campagne référendaire, il a semblé parler avec son coeur, au bord des larmes. Les Écossais ont accueilli avec des sentiments partagés cette soudaine démonstration d’affection.
« Les trois stooges viennent de réaliser que l’unité du Royaume-Uni est en péril, à une semaine du référendum. Ils viennent nous dire qu’ils nous aiment. C’est de la foutaise, tout ça ! On ne peut même pas parler d’improvisation : ils ont écrit leur texte sur le dos d’une enveloppe », dit David McCrone, professeur émérite de sociologie et directeur de l’Institut sur la gouvernance de l’Université d’Édimbourg.
Cet observateur de longue date du système politique écossais — qui connaît bien le Québec — nous reçoit dans son bureau aux murs de pierre élimés, construit en 1764. Respecté par les camps du Oui et du Non, David McCrone parle sur le ton neutre du professeur qui en a vu d’autres. Mais il s’emballe en évoquant ce qu’il appelle la campagne « ratée » du camp du Non et le « chantage » de grandes entreprises comme la Standard Life et bien d’autres, qui menacent de déménager à Londres si les Écossais optent pour l’indépendance.
Une bataille serrée
Le gouvernement de David Cameron, les partis de l’opposition à Westminster et les unionistes en Écosse ont répété toutes les erreurs des fédéralistes canadiens lors des deux référendums au Québec, selon lui. Croyant filer jusqu’à la semaine dernière vers une victoire certaine, le camp du Non a laissé le champ libre à la campagne minutieusement planifiée du Oui, menée par le premier ministre écossais Alex Salmond, du Scottish National Party.
Résultat : le Royaume-Uni paraît au bord de l’éclatement. Le Non, qui menait par 20 points en début de campagne, se démène désormais à égalité avec le Oui, selon les sondages. Après un mariage de raison avec l’Empire britannique qui dure depuis 307 ans, l’Écosse aspire à redevenir ce qu’elle a été pour la plus grande partie de son histoire : un pays indépendant.
L’issue de la bataille reste à déterminer, mais le camp britannique a attisé la montée du nationalisme écossais, affirme le professeur McCrone. « Les unionistes ont mené une campagne stupide du début à la fin. C’est comme s’ils avaient voulu écrire un guide de la mauvaise campagne. »
Le Oui dans le vent
D’abord, le camp du Non n’a pas de leader clairement affirmé. Le premier ministre Cameron est longtemps resté à Londres pour laisser les Écossais régler entre eux leur chicane de famille. Comme Stephen Harper (ou Jean Chrétien) au Québec, le leader britannique ne soulève pas les foules au pays du kilt et du scotch. Le travailliste Alistair Darling, poids lourd du Parlement britannique qui représente Édimbourg depuis 1987, a été propulsé malgré lui figure de proue du Non, mais il manque de prestance pour incarner l’unité du pays, croit David McCrone.
Le professeur estime que les unionistes ont mené une campagne décousue et sans passion malgré un slogan positif — « Better Together » sonne mieux que « Non ». En Écosse, les partis en campagne ne font aucun affichage public dans les rues. Il n’y a aucune pancarte du Oui ou du Non sur la voie publique. Mais une multitude de Oui sont apparus aux fenêtres des maisons. C’est cool, jeune et dans le vent de s’afficher pour le Oui.
Les partisans du Non sont aussi nombreux, mais plus discrets, estiment les analystes. La discrétion des unionistes peut causer une surprise le jour du vote. Le Non bénéficie d’une sorte de « prime à l’urne », comme le Parti libéral du Québec chez nous.
Les leaders du Non ont misé sur cette prime et ne sont apparus qu’à une semaine du vote avec cette promesse de « superdévolution » de pouvoirs pour l’Écosse. Sans en préciser la teneur. Ça rappelle bien sûr la main tendue de Pierre Elliott Trudeau en 1980 et de Jean Chrétien en 1995, qui ont déçu bien des Québécois avec la suite donnée à leurs engagements : le rapatriement unilatéral de la Constitution — sans le Québec —, et une simple motion des Communes sur le caractère « distinct » du Québec.
« Ne croyez jamais un politicien qui fait des promesses, vous en savez quelque chose ! dit en riant David McCrone. Quelle forme prendrait la “dévolution max” promise par le premier ministre Cameron ? Il l’ignore probablement lui-même. »
La carotte et le bâton
Chose certaine, en attendant le soir du 18 septembre, le camp du Non manie la carotte et le bâton. Et le bâton frappe fort : la vénérable Royal Bank of Scotland, qui a pignon sur rue depuis 1727 dans le quartier financier d’Édimbourg, a annoncé son intention de déménager son siège social à Londres en cas de séparation de l’Écosse. Le puissant Empire britannique a les reins plus solides pour assurer l’avenir des banques en cas de crise, comme celle qui a secoué le monde en 2008, expliquent les analystes.
« J’ai été client de la Royal Bank of Scotland durant 50 ans, mais j’ai appelé pour fermer mon compte, lance David McCrone. La réceptionniste m’a dit qu’elle a eu beaucoup d’appels de clients fâchés. Le Non s’est aliéné beaucoup de monde avec cette campagne de peur. Les entreprises qui font cela devront en subir les conséquences. Les Écossais ont la réputation d’être thrawn [d’avoir un fort tempérament], entêtés, difficiles. Il existe ici un long historique de boycottages réussis. »
Même l’ancien gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, embauché comme une superstar de la finance par la Banque d’Angleterre, a sauté dans l’arène politique. Il a fait deux mises en garde remarquées durant la campagne sur « l’incompatibilité » de la souveraineté écossaise avec l’union monétaire prônée par les indépendantistes. « On dit que Mark Carney rêve de devenir premier ministre du Canada, affirme David McCrone. Les Canadiens doivent savoir que Carney se mêle de la politique même s’il est en théorie indépendant du gouvernement. C’est bête. Il a raté une occasion de se la fermer. »
Si on se fie au référendum québécois de 1995, les prochains jours risquent d’être fertiles en rebondissements en Écosse. Nous y serons pour tout vous relater.
RÉFÉRENDUM
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