Buté, le monsieur

Coalition BQ-NPD-PLC



Buté, le monsieur, oui, vraiment buté. Stephen Harper avait réquisitionné les ondes pour un grand discours à la nation.
On s'attendait à ce qu'il indique ce qu'il allait demander à la gouverneure générale (prorogation? élections?).
On s'attendait à ce qu'il tende la main aux partis de l'opposition, à ce qu'il s'engage à inclure certaines de leurs propositions dans le budget qu'il compte présenter le 27 janvier (si Dieu et Michaëlle Jean le veulent...).
On s'attendait, pourquoi pas, à ce qu'il demande pardon aux citoyens pour les avoir précipités dans un tel cirque à l'heure où ils sont angoissés par l'insécurité économique.
Pas du tout. M. Harper n'a fait que répéter ce qu'il a dit toute la semaine aux Communes, quoique sur un ton plus calme.
Ensuite, le cirque a continué. Les réseaux attendaient en vain la cassette de M. Dion, qui devait arriver aux studios en même temps que celle du premier ministre. Sans doute le PLC attendait-il le feu vert du NPD, lequel aurait aussi voulu ses 10 minutes de gloire à la télé. Où l'on voit l'efficacité de cette coalition, même pas capable de livrer à temps une simple cassette!
Quand finalement les réseaux ont reçu ladite cassette, on n'a rien appris non plus... sinon que M. Dion s'est prudemment abstenu de mentionner à son auditoire majoritairement anglophone que sa coalition reposait sur la collaboration du Bloc.
Stephen Harper a été l'artisan de son propre malheur. Quelle faille profonde, quelle hargne irrépressible, a bien pu conduire cet homme à dilapider les atouts considérables qu'il avait en mains?
Il venait d'être réélu avec une minorité renforcée. L'opposition libérale était en débandade. M. Harper n'avait qu'à gouverner avec intelligence et tact pour faire oublier le comportement arrogant qu'il avait affiché durant son premier mandat.
L'intelligence, il l'avait. Pas le tact. Quelqu'un (j'oublie qui) disait cette semaine que M. Harper a "l'intelligence émotionnelle d'un garçon de 13 ans". L'intelligence émotionnelle, c'est ce qui lui aurait permis de tendre la main à l'opposition plutôt que de la provoquer, au risque de lui donner le prétexte idéal pour enclencher les hostilités. L'intelligence émotionnelle, c'est ce qui a toujours manqué à ce cérébral qu'on croyait à tout le moins bon stratège... et qui allait se révéler, la semaine dernière, un tacticien de bas étage, extraordinairement malhabile.
Pourtant, il avait sous les yeux l'admirable modèle qu'offre ces jours-ci Barack Obama. Tous les gestes de ce dernier sont inspirés par le désir de ramener l'unité dans le pays, au-delà des lignes de parti et des différences idéologiques. M. Harper a fait exactement le contraire.
Au lieu de s'ouvrir à l'opposition - une nécessité en tout temps mais particulièrement quand on est minoritaire, et à l'orée d'une crise économique en plus! -, M. Harper a méthodiquement tiré sur l'opposition, en visant les points les plus sensibles: retrait d'une partie des subventions aux partis politiques, gel du droit de vote chez les fonctionnaires, élimination du programme d'équité salariale, absence de toute mesure significative de relancement de l'économie...
La provocation était considérable, même si l'on sait bien que l'irritant principal, pour l'opposition, fut la menace de perdre un privilège financier.
Mais pourquoi? Pourquoi cette hargne contre des partis qu'il venait de vaincre? Pour commencer à imprimer sa philosophie de droite dans la législation? On ne peut reprocher à un leader politique d'avoir une idéologie; celle de M. Harper n'a jamais été un secret, et cela ne l'a pas empêché de gagner les élections. Mais la brutalité avec laquelle il a procédé vient de donner raison à ceux qui refusaient de lui donner une majorité. Car c'est vrai, qu'aurait-il fait s'il avait été à la tête d'un gouvernement majoritaire?
Aujourd'hui, tous ses ministres, naguère invisibles et réduits au silence, courent après les journalistes pour leur offrir des entrevues. Ils sont sur toutes les tribunes, eux qu'un premier ministre hypercontrôlant cachait comme des brebis galeuses.
Trop tard. M. Harper, après s'être tant efforcé durant la campagne à adoucir son image, est redevenu l'homme ombrageux, vindicatif et fermé qu'on connaissait. Rien d'étonnant à ce que nombre de conservateurs, ulcérés, songent maintenant à changer de chef.


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