Ce n’est pas la première fois que la GRC est aux prises avec une patate chaude qui met en vedettes des politiciens, ce ne sera pas la dernière non plus. Quand un consultant privé en sécurité vient témoigner devant le comité des Communes de la sécurité publique pour venir dire qu’il y a eu bris de sécurité alors que les représentants de la GRC se prononcent à mots couverts sur la situation, on comprend aussitôt que toutes ces manoeuvres ne visent tout simplement qu’à brouiller les pistes.
Lorsque les partis d’opposition s’amusent ainsi à questionner des témoins qui ne peuvent absolument pas répondre à leurs questions pour des raisons de sécurité, ils se doutent bien que jamais aucun policier ne viendra briser le sceau du secret qui protège la confidentialité des agents doubles et compromettre par le fait même la chaîne de confiance du réseau de renseignements canadien. C’est parce qu’ils savent qu’aucune personne, ni au gouvernement, ni à la GRC, ne peut répondre à leurs questions que les partis d’opposition échafaudent toutes ces hypothèses et qu’ils les étayent au grand jour. Ils n’ont qu’un but : faire mal paraître le gouvernement qui est tenu au secret.
Les conservateurs ont tout à perdre dans cette histoire qui a pris l’ampleur d’une crise de la sécurité nationale, alors qu’il s’agit probablement d'une histoire d’agent double qui veut prendre sa retraite sans être jeté à la rue. Julie Couillard a gagné l’immunité à l’encontre de ses amis du crime organisé en se faisant connaître publiquement grâce à un ministre. Cherche-t-elle maintenant à obtenir une rétribution qui lui permettrait de ne plus avoir aucun souci financier? Cela me rappelle une tout autre histoire dont on n’a pas cessé de brouiller les pistes depuis 1995 et qui attend toujours sa conclusion, mais qui a connu beaucoup plus de succès que la présente affaire compte tenu des résultats obtenus à ce jour.
***
Tout commence en septembre 1977, année où un jeune étudiant qui caressait le rêve de devenir un jour premier ministre du Canada commence ses études en droit à l’Université de Sherbrooke. Pendant 20 ans, rien ne l’a écarté du chemin qu’il s’était tracé pour atteindre son objectif ultime. Pourtant, en 1998, contre toute attente, il faisait le saut en politique provinciale et devenait cinq ans plus tard premier ministre du Québec.
Le 11 janvier 2001, un autre avocat, alors premier ministre du Québec, annonçait à la stupéfaction générale, qu’il quitterait ses fonctions en mars de la même année. Je ne crois pas me tromper en disant que cet homme voulait faire l’indépendance du Québec. Comme Jean Charest l’avait lui-même fait quelques années plus tôt, Lucien Bouchard renonçait lui aussi à un rêve qui lui tenait vraiment à cœur. Faut-il chercher ailleurs que dans la famille indépendantiste les raisons de son départ ?
Que s’est-il passé dans la vie de Jean Charest et de Lucien Bouchard pour qu’ils abandonnent tous les deux leurs rêves d’une façon aussi abrupte? Pourquoi Jean Charest qui était chef du Parti Conservateur a-t-il quitté ses fonctions au sein de ce parti en 1998, retardant ainsi le moment où il deviendrait premier ministre du Canada ? Ce n’est certainement pas la perspective de posséder une résidence à Westmount et de passer ses étés au bord du lac Massawipi qui auraient pu le détourner de l’ambition de toute une vie !
Pourquoi Lucien Bouchard, qui était premier ministre du Québec en 2001, a-t-il totalement écarté l’idée de faire un jour l’indépendance du Québec ? Ce n’est certainement pas la pratique du droit et l’attrait des généreux honoraires versés dans les grands cabinets d’avocats de Montréal qui auraient pu faire tourner la tête d’un homme dont la détermination est demeurée légendaire. Il faut chercher ailleurs des hypothèses plus probantes.
J’ai toujours cru que le départ de Lucien Bouchard était plutôt relié à l’affaire Airbus et qu’il en était de même de la venue de Jean Charest politique provinciale. Pourquoi cette enquête sur Airbus n’a jamais connu aucune conclusion ? Pourquoi a-t-elle été tenue dans les limbes des enquêtes policières pendant toutes ces années jusqu’à aujourd’hui? Pourquoi Lucien Bouchard, frère ennemi de Bryan Mulroney, a-t-il été le premier à se porter à sa défense, le disant incapable et trop honnête pour avoir accepté un quelconque pot-de-vin de qui que ce soit? Comme s’il avait voulu se défendre lui-même contre d’injustes accusations, sachant qu’on visait le noir pour tuer le blanc.
Pourquoi cette enquête a-t-elle été momentanément close par la GRC, peu de jours après l’élection de Jean Charest en avril 2003 ? Comme si on avait voulu signifier à Jean Charest, qu’en raison de son élection et de la défaite des séparatistes, la menace qui pesait sur lui pouvait être levée. Il ne faut pas oublier que Lucien Bouchard était ambassadeur du Canada à Paris à l’époque des tractations du Gouvernement du Canada avec Airbus, alors que Jean Charest était lui-même membre du cabinet de Bryan Mulroney.
J’ai toujours pensé que cette enquête avait été forgée de toutes pièces, non pas pour incriminer Bryan Mulroney, mais bien pour y associer d’innocentes victimes qui n’avaient rien à voir avec ce présumé scandale, que cette enquête n’avait existé que pour les contraindre à faire ce qu’on attendait d’eux. Il n’y a jamais eu d’affaire Airbus et Bryan Mulroney n’a jamais accepté de pots-de-vin relativement à cette transaction. Toutefois, ça faisait l’affaire de la classe politique canadienne de laisser traîner l’enquête sur cette affaire pour que des gens jadis associés à Bryan Mulroney se sentent menacés par l’éventualité de fausses conclusions, comme cela avait été le cas de Bryan Mulroney en 1995.
Quand on peut traîner un ancien premier ministre dans la boue, on peut également traîner ses anciens ministres. Les procès et l’argent, même par millions, ne pourront jamais ressusciter une carrière politique ou une réputation, on le voit bien dans le cas de Bryan Mulroney. Même après toutes ces années, cette affaire le poursuit toujours. Toutefois, même s’il ne peut pas le dire officiellement, il pourra toujours se réconforter, sachant que son sacrifice aura permis de sauver le Canada des plus grandes menaces à sa sécurité : l’indépendance du Québec et son plus redoutable apôtre, Lucien Bouchard.
Ma thèse est que Jean Charest a ajourné le moment de devenir premier ministre du Canada, entre autres, parce qu’il craignait d’être traîné dans la boue comme son ancien patron, s’il n’obtempérait pas ce qu’on lui disait de faire. Lucien Bouchard a renoncé à son rêve de faire l’indépendance du Québec parce qu’il a compris que des gens mal intentionnés voulaient briser ce qu’il avait de plus précieux : son intégrité. Il ne voulait pas que ses enfants aient quelques doutes que ce soit à son sujet. Il ne souhaitait surtout pas que sa famille connaisse injustement le même sort que celle de son ancien ami. Rétrospectivement, nous savons tous aujourd’hui que le gouvernement fédéral de l’époque était prêt à tout pour arriver à ses fins et empêcher que la souveraineté du Québec se réalise. Le vol du référendum et le scandale des commandites le prouvent bien !
Si Jean Charest peut recommencer à caresser le rêve de devenir un jour premier ministre du Canada, maintenant qu’il a accompli la mission qu’on lui avait confiée et que toute cette histoire tire à sa fin, pourquoi Lucien Bouchard ne reprendrait-il pas lui aussi du service pour la souveraineté ? Alors que l’affaire Airbus est en voie de n’avoir jamais existé, pourquoi ne poursuivrait-il pas le travail inachevé là où il l’a laissé il y a sept ans, afin «que l’on continue» ensemble cette longue marche vers la souveraineté? Tant qu’on est vivant, il n’est jamais trop tard pour accomplir ses rêves. Trudeau est bien revenu pour sauver le Canada en 1980, pourquoi Lucien Bouchard ne reviendrait-il pas terminer ce qu’il a commencé ?
Louis Lapointe
Brossard
Brouiller les pistes
Que s’est-il passé dans la vie de Jean Charest et de Lucien Bouchard pour qu’ils abandonnent tous les deux leurs rêves d’une façon aussi abrupte?
Chronique de Louis Lapointe
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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2 commentaires
Raymond Poulin Répondre
28 juin 2008Suggestion pour Jean D'ARC, qui a le feu: si votre peuple ne vous agrée plus, décrétez-vous-en un autre.
Jean d'Arc Répondre
21 juin 2008Les complots sont beaucoup plus répandus que l'on pense, et je crois que beaucoup de québécois se font acheter ou menacer afin qu'ils se taisent ou qu'ils retournent leur veste.
Comme l'a dit un jour quelqu'un, ce n'est pas parce que l'on est parano que l'on ne dit pas la vérité.
Ceci dit, je crois toutefois que l'orgueil et la vanité de Lucien Bouchard sont des motifs très plausibles pour lesquels il a démissionné de son poste de chef du PQ et de Premier Ministre. Cela lui ressemble, d'envoyer paître les péquistes pour ne pas lui avoir donné un vote de confiance suffisamment élevé. Cela lui ressemble d'envoyer paître les québécois pour ne pas lui avoir donné un mandat suffisamment fort à l'élection. Surtout, cela ne ressemble pas à Lucien Bouchard, de se soumettre à la menace ou au chantage. Ce n'est pas le genre d'homme à dominer sa colère pour le bien-être de ses enfants. De plus, ceux qui auraient menacé Bouchard couraient un très grand risque que cela se retourne contre eux. Je ne crois pas qu'ils auraient pris ce risque. Il faut aussi ajouter que selon moi, et selon beaucoup de journalistes qui ne peuvent l'affirmer mais le savent fort bien, Lucien Bouchard n'est plus souverainiste. Il est bel et bien fédéraliste. Et il n'est pas seul dans son cas. Beaucoup de souverainistes connus ont tourné leur veste ces dernières années. Je ne crois pas qu'ils ont tous changé d'idée parce qu'on les a menacé. Je crois que la majorité d'entre eux ont changé d'idée parce qu'ils ont été profondément déçu par le choix des québécois en 1995. Je crois que Bouchard et d'autres ont été très déçu des réactions provinciales des québécois, par exemple à l'égard des fusions municipales. En fait, de plus en plus de souverainistes abandonnent le combat parce qu'ils sont convaincu que le peuple québécois n'a pas les qualités nécessaires pour devenir souverain. Que c'est un peuple de lâches et de faibles. Et qu'il ne sert à rien de se battre pour eux. Je ne suis pas loin d'ailleurs de penser la même chose. Je ne changerai pas pour autant au point de devenir fédéraliste. Mais tout en demeurant profondément souverainiste, je n'ai aucune illusion et je n'ai plus foi en mon peuple. Ceci dit, si j'avais fait carrière en politique, je ne suis pas certain que je n'aurais pas lancé la serviette. Quand je vois qu'en plus de tous ces québécois fédéralistes, les souverainistes ne font que se lancer des pierres entre eux, je me dis qu'il faut être masochiste pour être député souverainiste, ou chef du PQ ou du Bloc.
À quoi cela sert-il de se battre pour un peuple qui n'en a rien à cirer d'être défendu ? À quoi cela sert-il d'être un politicien souverainiste contesté par les siens, alors qu'on peut être un politicien fédéraliste respecté ? Poser ces questions c'est y répondre.
Je ne peux pas comprendre comment l'on peut devenir fédéraliste après avoir été souverainiste. Mais je peux comprendre que l'on décide de tourner le dos à ce peuple ingrat.