Bilan de la Commission sur l’avenir des médias

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« En fait, le modèle d’affaires de La Presse, avec la suppression de l’édition papier et l’accès gratuit sur la tablette, ne tient pas la route. »

Avec une belle unanimité et une extraordinaire naïveté, les intervenants à la Commission sur l’avenir des médias ont fait part au gouvernement Legault de leur solution à la crise des médias : taxer le GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Miscrosoft).


Croient-ils sincèrement que le gouvernement du Québec peut taxer impunément ces géants du numérique qui représentent sept des dix plus importantes capitalisations boursières au monde, sans mesure de rétorsion du gouvernement des États-Unis? Le GAFAM constitue aujourd’hui le cœur de la puissance économique, militaire et sécuritaire américaine.


Quand Paris leur a imposé une taxe de 3 %, le président Trump a fait trembler toute l’industrie viticole de la France avec la menace de taxer lourdement les importations de vins français. Des négociations secrètes tenues en marge du Sommet du G-7, il est ressorti un accord dans lequel la France s’engage à rembourser aux entreprises concernées la différence entre sa taxe et la future imposition de l’OCDE. Il est fort probable que Trump ne se soit pas contenté de ce compromis et qu’il ait arraché d’autres concessions secrètes à la France lors de ces négociations.


Il faut faire preuve d’une candeur à toute épreuve pour croire que l’administration américaine ne se contenterait en retour d’une taxe québécoise que de taxer nos exportations de sirop d’érable ! Dans le cadre des négociations sur le renouvellement de l’accord de libre-échange, elle a imposé une taxe de 10 % sur l’aluminium, qui représente le deuxième produit d’exportation du Québec après l’aérospatiale.


C’est par crainte de telles représailles que le gouvernement Trudeau a refusé de taxer Netflix, quitte à sacrifier une proche du premier ministre, la ministre Mélanie Joly. Le premier ministre Legault a aussi rapidement écarté la possibilité de s’attaquer au GAFAM.



L’aide de l’État


Une fois le show de boucane autour du GAFAM dissipé, les intervenants se sont tournés vers une proposition plus réaliste : demander l’aide de l’État. Cependant, s’est immédiatement posée la question éthique fondamentale : comment assurer l’indépendance de médias devenus dépendants de l’aide gouvernementale ?


La Fédération professionnelle des journalistes du Québec (FPJQ) n’y voit pas de problème et cite en exemple Radio Canada qui, malgré un haut niveau d’appui du gouvernement fédéral, exerce, selon elle, son « mandat d’information de façon totalement indépendante ».


Faut-il rappeler que Radio-Canada a dans son mandat de « contribuer au partage d'une conscience et d'une identité nationales » canadiennes et de « refléter le caractère multiculturel » du Canada. Il en découle que Radio-Canada s’oppose « de façon totalement indépendante » à l’indépendance du Québec et aux différents projets de loi sur la laïcité, par exemple.


Dans ce contexte, la proposition du professeur Marc-François Bernier de créer sur Internet l’agence Télé-Québec est intéressante. Entièrement financée par l’État québécois, la plateforme assurerait une couverture en journalisme régional et fournirait les médias écrits en nouvelles régionales, en plus d’être accessible pour le grand public. Cela représenterait un contrepoids important et nécessaire à Radio-Canada.


Pierre-Elliott Levasseur, le président de La Presse, réclame une aide financière « rapide et structurante » de l’État québécois. Le gouvernement fédéral vient de lui accorder des crédits d’impôt et des déductions fiscales pour les dons à sa nouvelle fondation, des aides taillées sur mesure pour La Presse, qui excluent Le Devoir, les journaux de Québecor et, bien entendu, des publications comme l’aut’journal.


Cependant, de façon tout à fait machiavélique, le gouvernement Trudeau s’est assuré que le programme n’entre en vigueur que s’il est réélu et Andrew Sheer a promis de le supprimer. La couverture de la campagne électorale par La Presse méritera donc toute notre attention.



Un nouveau modèle d’affaires


En fait, le modèle d’affaires de La Presse, avec la suppression de l’édition papier et l’accès gratuit sur la tablette, ne tient pas la route. À moyen terme, il est permis de spéculer que Bell pourrait se porter acquéreur de La Presse.


Car si le modèle d’affaires des médias était, autrefois, l’intégration verticale de la compagnie forestière à la papetière et à l’imprimerie, aujourd’hui le cœur du nouveau modèle d’affaires est le fournisseur d’Internet, comme Bell, Telus, Rogers et Vidéotron.


Pierre Karl Péladeau a beau jeu de traiter les propriétaires des autres médias de « quêteux », mais les revenus et les bénéfices de ses journaux ont constamment chuté depuis cinq ans et la santé financière de Québecor dépend essentiellement de sa vache à lait, Vidéotron.


PKP critique la gestion des autres médias, mais sa feuille de route est loin d’être reluisante. Il traîne dans son c.v. les retentissantes faillites de Québecor World – à l’époque la plus grande imprimerie au monde – et celles de Sun Media et Sun News au Canada anglais. Dans le cas de ces deux dernières entreprises, il a dû déposer le bilan avec des pertes de plus de 700 millions $, même s’il a bénéficié de subventions de plusieurs centaines de millions de dollars du gouvernement Harper, par le biais d’un traitement préférentiel lors des enchères pour l’adjudication de spectres pour les communications mobiles.


Aujourd’hui, PKP s’insurge contre l’achat du canal V par Bell, qui va venir concurrencer le réseau TVA, et on peut sérieusement se demander s’il a les poches assez profondes pour concurrencer les trois grands des télécommunications – Bell, Telus et Rogers – compte tenu des investissements majeurs que va demander l’implantation du réseau 5G. Chose certaine, ce n’est pas le gouvernement Trudeau – proche de Bell et Telus – qui va lui faire de cadeaux. Son salut repose dans l’élection d’un gouvernement Sheer, qui se montrerait aussi bien disposé à son égard que le gouvernement Harper.


Au Québec, PKP peut toujours compter sur le gouvernement Legault. Ses journaux ont pratiquement créé la CAQ à coups de pages frontispices, de reportages, de caricatures et de sondages Léger Marketing bienveillants en 2011.


Au cours de l’été, une série de reportages sur le mauvais état des routes au Québec a préparé l’opinion publique à un sondage Léger Marketing, qui montre – ô surprise – que la population préfère des réinvestissements dans la voirie plutôt que dans le troisième lien à Québec, cette promesse électorale dont le gouvernement Legault essaie de se défaire.



Les journaux régionaux


Au cours de la commission parlementaire, il était amusant de voir les maires de Saguenay, Sherbrooke et Trois-Rivières saliver à la perspective de pouvoir participer à une éventuelle opération de sauvetage des médias régionaux et se donner ainsi le droit d’intervenir dans leur gestion. Dans son livre Extinction de voix. Plaidoyer pour la sauvegarde de l’information régionale (Somme Toute), la journaliste Marie-Ève Martel a vivement dénoncé ces roitelets locaux qui s’autorisent à expulser les journalistes des assemblées publiques des conseils de ville.


De son côté, la CSN a évoqué la possibilité que la solution passe, dans le cas du Groupe Capitales Médias, par la création de coopératives. On entend déjà des voix évoquer le spectre de Tricofil et de Québec-Presse. D’autres s’empresseront de remettre en question « l’indépendance de la salle de rédaction » de médias contrôlés par les syndicats pour les priver de tout accès à des subventions gouvernementales, même si la FTQ et la CSN sont – par l’intermédiaire du Fonds de solidarité et du Fondaction – parmi les principaux actionnaires du Devoir, sans jamais avoir exigé la présence d’un chroniqueur syndical.


« Who pays the piper calls the tune », disent les Anglais. « Qui paie les violons choisit la musique ». La solution ne réside pas dans une hypothétique et illusoire indépendance des médias. Radio-Canada, Télé-Québec, La Presse, Le Devoir, le Journal de Montréal et de Québec, les journaux régionaux ont tous des propriétaires qui « choisissent la musique ». Comme le disait PKP – et qu’il aurait pu répliquer à Catherine Dorion – un journal n’est pas « un salon de coiffure où tu peux te louer une chaise ».


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