Bannières: il n'y a pas que la langue

Anglicisation du Québec




La pétrolière Esso a dû faire face à une petite mobilisation au Québec quand elle a voulu changer la bannière de ses dépanneurs pour les appeler On the run, comme elle le fait partout à travers le monde. La pression a été assez forte pour que la multinationale recule.
Cet incident a suscité une réflexion sur l'anglais dans l'affichage, sur le visage français du Québec, sur l'impuissance de la loi 101 face aux ententes internationales qui régissent les raisons sociales.
Parce que la langue joue un rôle si fondamental dans l'identité québécoise, nous avons souvent tendance, au Québec, à traiter les enjeux à travers le prisme linguistique, que ce soit la place des immigrants ou même la construction d'hôpitaux. Dans le cas d'Esso, les aspects linguistiques nous ont fait négliger l'enjeu central soulevé par cet incident. L'important, ce n'est pas tant ce qui est écrit sur les bannières des commerces que d'où viennent ces bannières.
La vague de fond, c'est la mondialisation du commerce de détail et le fait qu'une bonne partie des ventes est maintenant dominée par des chaînes internationales, qui ont pignon sur rue dans une multitude de pays. Les conséquences de ce phénomène sont profondes, elles sont multiples, dont la langue n'est qu'une de ces facettes.
La Presse, mercredi, a publié un intéressant dossier sur la question, illustré par un collage de bannières résolument anglo-saxonnes qui avaient été recensées au Marché central, à Montréal. Mais ce qui était aussi frappant, c'était leur origine. Costco? Américain. Old Navy? Américain. Best Buy? Américain, tout comme Future Shop une chaîne canadienne qu'elle a achetée. Pier 1 Import? Américain. Krispy Kreme? Américain aussi, tout comme Staples. D'autres chaînes sont bien sûr canadiennes, comme Winners, de Toronto ou Stokes. Sans oublier les géants, la suédoise IKEA, l'américain Walmart. le géant américain. On retrouve la même chose dans le vêtement, avec l'américaine GAP ou l'espagnole Zara.
On assiste donc, dans le commerce, à une logique de mondialisation où l'on développe des réseaux de distribution à travers le monde, mais aussi d'énormes réseaux de production qui permettent de réduire les coûts. La même logique amène à définir une image de marque forte et une raison sociale qui s'imposeront partout sur la planète.
Cette logique a évidemment des effets économiques, en commençant par de meilleurs prix pour les consommateurs, mais elle provoque aussi une rupture entre le monde de la distribution et celui de la consommation, elle affaiblit les commerces locaux indépendants, et elle prive l'industrie locale de débouchés.
Mais elle comporte aussi des effets culturels et sociaux importants. Ce que l'on achète est de plus en plus pareil à travers le monde. Que vous soyez à Montréal, à Paris ou à New York, vous tomberez sur les mêmes Zara et les mêmes GAP. Ces chaînes influencent non seulement la nature des achats, mais la culture de la consommation et même la façon dont le commerce influencera le développement urbain. On assiste donc à un vaste phénomène d'uniformisation qui affecte la diversité culturelle prise dans son sens large et qui menace les identités, partout sur la planète.
L'incident des dépanneurs Esso ne représente donc pas un autre champ de bataille entre le français et l'anglais au Québec et au Canada. C'est bien davantage un dommage collatéral du fait que la langue de la mondialisation est l'anglais. Il n'est pas exact, comme le dit le critique péquiste en matière linguistique, Léandre Dion, que ces multinationales «font semblant qu'une seule langue existe en Amérique: l'anglais». Elles croient plutôt qu'il n'y a qu'une seule langue dans le monde.
La différence, c'est que cela agace plus les Québécois francophones que les autres. Pour revenir à Esso, la bannière On the run se retrouve dans 45 pays, en Amérique latine, en Europe ou en Asie, où l'anglais a été imposé sans que cela ne pose problème. Cela s'explique par le fait que les gens, à travers le monde, réagiront aux pressions qui s'exercent sur leur identité en luttant sur ce qui leur paraît essentiel.
Au Québec, l'identité se définit par la langue. Mais il existe d'autres formes de résistances identitaires contre la mondialisation du commerce. En France par exemple, mon collègue Christian Rioux du Devoir décrivait les efforts de la ville de Paris pour éviter que les Champs-Élysées se transforment en centre commercial avec magasins interchangeables, notamment en bloquant la venue d'un géant suédois H&M. En Italie, c'est plutôt le mouvement du slow food pour résister au fast food de type américain. Mais dans tous les cas, c'est le même réflexe et le même désir, rester soi-même dans un monde de plus en plus uniforme.


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