Il y a quelques semaines, j’écrivais un billet démontant le mythe de l’exode des francophones de Montréal vers la banlieue. À écouter certains, il aurait suffit de redonner le goût de Montréal aux francophones en y plantant des arbres et en y inaugurant des parcs pour qu’ils quittent une banlieue soi-disant hyper-francophone et reviennent dans la métropole. J’ai utilisé les chiffres de Charles Castonguay pour détruire cette idée: entre 2001 et 2006, la population de langue maternelle française a connu une croissance de 4,7% dans la banlieue montréalaise, contre 16,4% pour celle anglaise. Mais il me fallait aller plus loin.
Ainsi, dans un soucis de transparence, je me suis demandé si les statistiques iraient dans le même sens si on ne prenait pas la langue maternelle comme référence, mais plutôt la langue utilisée à la maison. Il me semblait que dans un contexte où nous recevons plus de 50 000 immigrants chaque année et où nous espérons en franciser la vaste majorité, la langue de naissance était moins importante que la langue utilisée aujourd’hui dans son quotidien le plus intime, chez soi. On peut baragouiner le français en public ou être né dans une famille francophone, mais la vraie langue, celle qui compte, celle qui nous transporte et qui est réellement vivante, c’est celle qu’on parle chez soi.
Les résultats sont tout aussi définitifs: la banlieue s’anglicise presque aussi rapidement que la ville. Il n’y a donc pas d’exode des francophones de Montréal, mais une anglicisation généralisée de toute la région.
Observez le graphique ci-bas.1 (Vous pouvez également consulter les données brutes qui m’ont permis de faire ce tableau)
Malgré quelques gains très localisés, on constate un recul généralisé du français dans les banlieues, principalement à Laval. Dans cette ville, l’anglicisation est spectaculaire: baisse de 5% du nombre de personnes parlant le français à la maison en cinq ans, et une croissance de 30% de la population anglophone! À ce rythme, les francophones seront minoritaires dans l’Île-Jésus vers 2026. Dans la couronne sud, la situation n’est guère beaucoup plus réjouissante. Une croissance très modeste de 2,7% de la population francophone, contre 9,2% pour les anglophones!
En fait, seules les banlieues sur l’île de Montréal n’enregistrent pas de perte majeure quant au français. Si on habite la métropole et qu’on désire vivre dans un endroit où le français progresse, il faut viser Beaconsfield, Ville Mont-Royal ou Westmount. Les gains du français y sont insignifiants en comparaison des pertes dans les autres localités de la région, mais un gain n’est-il pas un gain?
On le constate: ceux qui veulent résumer le problème linguistique à une question de qualité de vie ou de retour à la ville des francophones ont tout faux. Même si demain matin on rapatriait des dizaines de milliers de francophones à Montréal, il ne s’agirait que d’un trou supplémentaire dans la banlieue. C’est toute la région métropolitaine qui s’anglicise.
On a cru que les anglophones finiraient par se franciser lorsqu’ils quitteraient l’île, mais c’est le contraire qui s’est produit: ce sont les francophones qui s’anglicisent et qui contribuent à augmenter la tension linguistique sur des banlieues de plus en plus éloignées. Les anglophones, même s’ils sont ultra-minoritaires, réussissent à imposer leur langue partout où ils vont. Ils trouvent toujours un petit Québécois à-plat-ventriste pour leur parler en anglais.
Dans ce contexte, on ne peut que se réjouir de la création officielle, dimanche prochain, du Mouvement Montérégie français. Pour le moment, il s’agit d’un bien petit pansement sur l’hémorragie, mais il faut commencer quelque part. L’anglicisation progresse, le français recule, mais la résistance s’organise. Et, surtout, elle n’a plus peur de s’afficher.
À quand un Mouvement Laval français? Et surtout, à quand des Québécois assez fiers de leur langue pour avoir envie de la partager avec les nouveaux arrivants, de les aider à s’intégrer en leur parlant strictement en français?
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AJOUT: Lysiane Gagnon perpétue, encore aujourd’hui, le mythe de l’exode des francophones de Montréal. Pourtant, les chiffres sont sans équivoque: la banlieue s’anglicise aussi rapidement que la ville-centre, ce qui démontre on-ne-peut-plus-clairement que ce n’est pas en « ramenant les jeunes familles à Montréal » qu’on empêchera l’anglicisation de la région, mais bien en prenant le problème de front et en s’attaquant à de qui permet à la langue anglaise d’être aussi vivace non seulement à Montréal, mais également en banlieue.
1. J’ai utilisé la même méthode que dans ce billet. J’ai distribué au pro-rata de chaque langue les résultats des réponses multiples. Tous les chiffres proviennent des recensements de 2001 et 2006 de Statistique Canada. J’ai calculé les statistiques en tenant compte des fusions et défusions municipales. [↩]
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