«On peut pas laisser les vidanges icitte!» «Agrippe-toi, quel fun noir!» «Awaille! Dépêche!»
Ce sont les exemples de traduction «à la québécoise» que citait dernièrement, dans sa chronique du Journal de Montréal, notre collègue Benoit Aubin.
La compagnie Nintendo, fabricant américain de jeux vidéo, a décidé, sans y être obligée, de produire une version française du jeu «Super Mario» pour le marché québécois. Et voilà ce que ça donne: des expressions traduites, comme le dit Aubin, «dans un français atroce, délinquant et déplorable, comme on n'en trouve que chez nous».
On est ici en plein paradoxe. D'une part, on se réjouit de ce que cette grosse entreprise américaine veuille servir les Québécois francophones dans leur langue - une chose qui aurait été absolument impensable il y a 30 ans. D'autre part, on s'attriste de constater que dans ce domaine comme dans tant d'autres, ce que l'on nous sert, loin d'être du français, est une sorte de dialecte impossible à comprendre dans le reste de la francophonie.
Ne blâmons pas Nintendo. Cette langue-là, c'est celle que tolère - que pratique! - une grande partie de nos élites.
C'est cela qui a changé: naguère, les Québécois qui avaient eu la chance d'accéder à l'instruction s'efforçaient de s'exprimer correctement. Aujourd'hui, les gens instruits, bien plus nombreux qu'autrefois, adoptent - par coquetterie, par une sorte de snobisme à rebours, ou, dans le cas des amuseurs publics, pour élargir leur audience - la langue relâchée farcie de sacres qui était autrefois le lot de ceux qui avaient quitté l'école avant la fin du primaire.
Je cite Aubin: «Trente ans de batailles linguistiques pour établir le français comme langue commune d'usage public au Québec. Dix ans d'Internet qui ont donné un droit de cité dans le cyberespace à notre langue et à notre culture qu'on croyait menacées à court terme. Et pour aboutir à quoi? À Super Mario disant: «Cette job est pas pantoute facile!»
Il y a bien des gens que cette situation désespère, dont le directeur des études du cégep de Saint-Jérôme, Robert Ducharme, qui est aussi président de la Commission des affaires pédagogiques de la Fédération des cégeps.
Dans un récent courriel, M. Ducharme plaidait en faveur d'un «chantier national sur la langue». Il constatait, lui aussi, que le Québec compte beaucoup de gens instruits et bien informés, mais que la grande absente c'est la maîtrise de la langue. «La reconnaissance d'une diversité culturelle doit être, dit-il, soutenue par une langue parlée et écrite de qualité.»
Plus concrètement, il s'inquiète du futur marché de l'emploi. Notre secteur manufacturier s'amenuise à mesure que des usines se délocalisent vers les pays en voie de développement. Il y aura de moins en moins d'emplois de cols bleus, de moins en moins d'emplois qui n'exigeront pas la maîtrise de la langue qui va avec la spécialisation. Or, dit-il, «ce n'est pas en utilisant des mots imprécis et des phrases approximatives que nous pourrons nous assurer une place sur l'échiquier mondial».
Que l'on pense, justement, aux ordinateurs, au web, à l'Internet. Les nouveaux moyens d'information et de communication passent tous par la langue. Google corrigera vos menues fautes d'épellation en vous demandant si ce n'est pas plutôt tel mot que vous recherchez. Mais une connaissance approximative de la langue vous empêchera de tirer profit des moteurs de recherche.
Quelques futurologues ont déjà voulu nous faire croire que la majorité des gens n'aurait jamais besoin de savoir écrire. Quelle erreur! Jamais dans l'histoire l'écriture n'aura pris une telle importance. Les messages électroniques ont remplacé le téléphone. Même les patrons, qui se fiaient naguère à leur secrétaire pour rédiger leurs lettres, doivent aujourd'hui pouvoir écrire sur l'ordinateur.
Un chantier national sur la langue, qui dépasserait le strict domaine de l'école pour toucher tous les secteurs - familles, médias, arts, politique, commerce, entreprises Un chantier d'envergure nationale, qui serait, comme dit M. Ducharme, «porté par le gouvernement, voire l'Assemblée nationale» Mais oui, l'idée est excellente. Ce n'est pas la première fois qu'elle court, cependant, et jusqu'ici aucun parti, aucune coalition ne l'a ramassée.
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