Dimanche, il y aura 250 ans qu'une partie du sort de l'Amérique française a été scellé sur le champ de bataille des plaines d'Abraham. Au-delà de la polémique politicienne, celle de la reconstitution comme celle du Moulin à paroles, les historiens sont les laissés-pour-compte de cet anniversaire. Comme si l'on ne voulait pas entendre ce qu'ils ont à dire.
En 1908, les organisateurs du 300e anniversaire de la ville de Québec pensaient faire d'une pierre deux coups en proposant une reconstitution de la bataille des plaines d'Abraham qui devait représenter l'apothéose des fêtes. L'initiative a aussitôt fait bondir les nationalistes, dont le fondateur du Devoir, Henri Bourassa, qui avait accusé les organisateurs de transformer la célébration de la naissance du Québec et du Canada français en un «grand rappel historique de la Conquête». En guise de compromis, on avait alors décidé de commémorer aussi la bataille de Sainte-Foy remportée par le chevalier de Lévis l'année suivante. Cette victoire n'avait rien changé à la suite des choses, mais son rappel permettait au moins de mettre un baume sur des plaies encore vives.
Un siècle plus tard, la blessure ne semble toujours pas refermée. Cinq mois après la vive polémique qui a entouré le projet de célébration des 250 ans de la bataille des plaines d'Abraham, la controverse n'est aucunement apaisée, comme en témoigne la nouvelle polémique entourant le Moulin à paroles qui se déroule ce week-end. Même si, selon un sondage canadien, seulement un Québécois sur trois juge qu'il aurait fallu maintenir la reconstitution, les divergences qui se sont manifestées sont loin d'être éteintes.
«Ça me met en colère qu'on ait annulé la reconstitution sous des prétextes aussi fallacieux», dit l'historien Yves Tremblay. Directeur de la section histoire et patrimoine du ministère de la Défense nationale du Canada, Tremblay vient de publier un pamphlet (Plaines d'Abraham. Essai sur l'égo-mémoire des Québécois, Athéna) dans lequel il dénonce le réflexe tribal des Québécois, ou leur «mémoire égocentrique», qui consisterait à dire que la bataille des Plaines: «c'ta moé, touchez-y pas!»
Un geste «maladroit»?
L'historien et polémiste juge que l'annulation de la reconstitution -- dont il admet tout de même qu'elle avait été présentée «maladroitement» -- est venue confirmer un certain nombre de préjugés sur cette période de notre histoire. «Le premier consiste à dire que la défaite était inévitable, dit-il. Le second prétend que les Français nous ont abandonnés. Le troisième veut que, si les miliciens canadiens dirigés par Vaudreuil avaient pris la direction des opérations au lieu des troupes régulières dirigées par Montcalm, la victoire aurait été possible.» Ces thèses couramment reprises au Québec (par les fédéralistes autant que par les souverainistes) sont contestées par de nombreux historiens français et britanniques (voir notre série d'articles publiée en août, «La bataille des plaines d'Abraham 250 ans plus tard», www.ledevoir.com/politique/plaines_abraham.html).
Ces mythes, dit Tremblay, ont la vie dure parce qu'au Québec, l'histoire militaire est une discipline pratiquement inexistante. «Les études sur la guerre de la Conquête sont totalement mortes au Québec. Du reste, à peu près toutes les guerres de l'époque de la Nouvelle-France à aujourd'hui sont des non-sujets dans les départements d'histoire des universités francophones du Québec.»
Le cas de Waterloo
Contrairement à ce qui s'est écrit au Québec, la grande reconstitution qui se déroule chaque année dans la ville du même nom est le fait d'une entreprise privée qui gère le champ de bataille situé en Belgique. Même si certains Français participent évidemment aux manifestations à titre individuel, la France n'a rien à voir avec cet événement. Lors de la reconstitution organisée en 2005 à l'occasion du bicentenaire de la victoire britannique à Trafalgar, on avait d'ailleurs eu la délicatesse de n'inviter aucun figurant français et espagnol. Pourtant, contrairement à celles de la bataille des Plaines, il y a longtemps que les plaies de Waterloo et de Trafalgar sont refermées.
Président de la Société du patrimoine politique du Québec et de la société Héritage de Champlain, l'ancien ministre fédéral et provincial Marcel Masse est d'avis que la Commission des champs de bataille et la Ville de Québec ont cédé à la mode qui consiste «à se tirer en l'air» et à faire dans le «festif» plutôt que d'assumer les responsabilités d'une capitale nationale. «Il y avait moyen de commémorer la bataille de Plaines intelligemment en apprenant des choses au monde, dit-il. Malheureusement, nos historiens ont complètement décroché de l'histoire nationale.» L'ancien ministre déplore d'ailleurs l'absence à Québec d'un musée consacré à la Nouvelle-France.
Comme le souligne Yves Tremblay dans son livre, en 1908, malgré la polémique, on avait au moins consulté un comité d'historiens afin d'éclairer les faiseurs de spectacles. Un risque que personne n'a voulu courir en 2009, avec le résultat que l'on sait!
Collaborateur
du Devoir à Paris
Autopsie d'une reconstitution
Fallait-il reconstituer la bataille des Plaines?
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