La place du Québec au sein du Canada ne fait toujours pas consensus. Depuis son arrivée au pouvoir en octobre dernier, le Premier ministre québécois, François Legault, se démarque de la ligne de Justin Trudeau et les relations entre la Belle province et l’État fédéral se tendent. Quel avenir proche pour le Québec? L’analyse de Sputnik.
Le Québec est-il l'éternel mouton noir de la fédération canadienne? Tout porte à le croire, même si les libéraux fédéralistes ont gouverné la Belle Province ces quinze dernières années. L'indépendance du Québec n'est plus vraiment à l'ordre du jour, mais les fédéralistes affrontent maintenant les autonomistes, qui revendiquent… plus d'autonomie pour le Québec, comme leur nom l'indique. Les autonomistes ne veulent pas séparer le Québec du reste du Canada, mais accroître ses pouvoirs dans plusieurs domaines.
L'arrivée au pouvoir de la Coalition Avenir Québec (CAQ), en octobre 2018, a complètement changé la dynamique politique. Ce jeune parti a notamment pour objectif de rompre avec le multiculturalisme constitutionnel, que certains voient comme un outil de dilution du Québec dans la fédération anglophone. Le Premier ministre Legault déclare vouloir «redonner leur fierté aux Québécois». On dit de la CAQ qu'elle est le parti des francophones, ce qui est bien le cas au regard des sondages.
«Moi, je rêve que mes enfants, mes petits-enfants disent: "Le premier gouvernement de la CAQ de 2018 à 2022 nous a donné confiance en la politique. Ce premier gouvernement de la CAQ nous a donné la fierté d'être Québécois." C'est ce qu'il y a de plus important», a affirmé M. Legault le 31 janvier dernier.
Depuis son élection, François Legault multiplie les gestes d'affirmation nationale. Son gouvernement veut d'abord faire adopter une loi sur la laïcité de l'État, après au moins six ans d'intenses polémiques sur cette question. Cette loi est controversée en raison des débats qu'elle suscite autour de la place de l'islam au Québec.
L'électorat francophone au pouvoir
La CAQ entend aussi mener à bien son projet de réduire les seuils d'immigration, une importante promesse électorale du parti. Le gouvernement Legault veut faire baisser de 50.000 à 40.000 le nombre de nouveaux arrivants reçus annuellement au Québec. Le 7 février dernier, le ministre de l'Immigration, Simon Jolin-Barrette, a annoncé son intention d'éliminer 18.000 dossiers non traités afin d'accélérer la réforme. Une inaction que les trois partis d'oppositions ont qualifiée «d'inhumaine». La CAQ souhaite aussi qu'Ottawa cède au Québec le droit de sélectionner ses immigrés en fonction de ses propres critères.
Pour ajouter à la controverse, la nouvelle ministre de la Condition féminine, Isabelle Charest, a récemment fait les manchettes après avoir dit que le voile musulman était un symbole d'oppression pour les femmes. Une déclaration qu'elle a faite moins de 24 h après sa nomination.
«Quand [une religion, ndlr] dicte le port d'un vêtement ou de quelque chose, pour moi, ce n'est pas une liberté de choix. […] Le hijab, je vous ai dit que ça ne correspondait pas à mes valeurs. Mes valeurs sont qu'une femme devrait être libre de porter ce qu'elle veut ou ce qu'elle ne veut pas porter», a affirmé la nouvelle ministre, le 5 février 2019.
Autant de gestes et déclarations qui ne passent évidemment pas sous le radar du gouvernement fédéral, lequel en interprète même certains comme des provocations. Il faut bien comprendre que la philosophie d'Ottawa en matière de laïcité et d'immigration est actuellement à des années-lumière de celle de Québec. Contrairement au gouvernement Legault, le gouvernement fédéral veut augmenter les seuils d'immigration et continuer à promouvoir le multiculturalisme.
Québec et Ottawa: des visions aux antipodes
Jusqu'à présent, le gouvernement Trudeau a rejeté toutes les demandes du Québec. Justin Trudeau refuse d'accroître les pouvoirs du Québec en matière d'immigration et s'est dit opposé au projet de déclaration d'impôts unique. François Legault aimerait que les Québécois n'aient à remplir qu'une seule déclaration d'impôts par an et non deux —provincial et fédéral- comme actuellement. Justin Trudeau a aussi déjà fait savoir qu'il désapprouvait la vision de la CAQ en matière de laïcité. Il en a appelé au respect de la Constitution canadienne, laquelle protège le multiculturalisme grâce à la Charte des droits et libertés:
«Comme vous le savez très bien, je ne suis pas de l'opinion que l'État devrait dire à une femme ce qu'elle devrait porter ni ce qu'elle ne devrait pas porter. La Charte des droits et libertés est là pour protéger nos droits et nos libertés, évidemment», avait souligné Justin Trudeau début octobre 2018.
Une grande bataille est donc à prévoir entre Québec et Ottawa dans les prochains mois. Afin de donner le ton, le vice-Premier ministre du Québec, Geneviève Guilbault, vient d'annoncer qu'il comptait affranchir le Québec «du joug fédéral». Des propos qui font écho au combat souverainiste, bien que la ministre ne prône pas l'indépendance du Québec. Une position que d'aucuns diront ambivalente.
Ce duel pourrait survenir dans un contexte préélectoral, car des élections fédérales sont prévues en octobre 2019. Il pourrait d'ailleurs influencer l'issue du scrutin. Les Québécois pourraient délaisser les Libéraux et se tourner vers les Conservateurs, qui se sont engagés à accorder un peu plus d'autonomie au Québec. La Belle Province fera-t-elle encore pencher la balance?