Texte publié dans Le Devoir du samedi 12 septembre 2009 sous le titre "Dossier linguistique - Pour des cégeps francophones"
J'ai toujours été fier de voir que les enfants des Québécois issus de l'immigration, depuis l'adoption de la loi 101 et grâce à elle, fréquentaient les mêmes écoles que mes enfants et petits-enfants, mais je suis profondément inquiet du fait que seulement 50% d'entre eux fréquentent les mêmes collèges.
Avec notre traditionnel esprit de "conciliation" nous avons cru, de bonne foi, que la loi de 1977 sur la langue française amènerait naturellement ses enfants à se diriger vers les CEGEP francophones. Hélas, nous nous sommes trompés, et les statistiques le confirment de plus en plus. Comme René Lévesque et Camille Laurin, nous avons eu une vision généreuse mais trop optimiste des choses. Plusieurs années ont passé depuis et la réalité se confirme comme contraire aux espoirs.
D'abord la pression continentale nord-américaine est forte et l'anglais fascine, de toute manière, la terre entière. En plus, le Canada, en raison de la constitution néfaste qu'il a imposée au Québec, est un pays "bilingue et multiculturel". Cela représente, aux yeux des nouveaux arrivants, une apparente justification pour fréquenter Dawson ou Vanier plutôt que le Vieux-Montréal et Bois-de-Boulogne.
Ce que l'on a appris ces derniers temps sur le français au travail, même dans les grandes entreprises dirigées par des francophones, les chiffres récents sur l'assimilation presque totale à l'anglais des immigrants non francophones, et d'autres statistiques montrent qu'il est temps de rouvrir le dossier linguistique en général et du niveau collégial en particulier.
Cette question des collèges est vitale pour l'intégration des immigrants, car si la langue est un facteur déterminant et fondamental, ce n'est évidemment pas le seul. Une intégration plus large et profonde est aussi nécessaire. Ce n'est pas parce que l'on parle français, qu'on est français, l'anglais qu'on est britannique, l'espagnol qu'on est mexicain. Il est clair qu'il faut plus que cela. D'ailleurs, la France, qui a plus de soixant millions d'habitants, et les États-Unis, plus de trois cents, exigent d'avantage qu'une connaissance linguistique pour accorder leur citoyenneté aux nouveaux arrivants. Ils doivent adhérer aux valeurs et à la culture du pays d'accueil. Un tribunal français vient de le confirmer de façon spectaculaire et non équivoque.
On sait que les années de collège sont cruciales pour plusieurs choix déterminants du reste de la vie. Il est évident et en tout respect, qu'onne lit pas autant Le Devoir, La Presse et le Journal de Montréal, à Dawson qu'au CEGEP du Vieux-Montréal. Ni que l'on présente René Lévesque et Pierre Trudeau de la même façon à Vanier qu'au CEGEP de Joliette. Les élections fédérales ou québécoises ne suscitent sûrement pas, dans ces divers endroits, le même intérêt et les mêmes réflexes. Il va de soi que l'indépendance nationale du Québec n'y est pas perçue de la même manière.
Je doute que Gilles Vigneault, Félix Leclerc et Gaston Miron soient aussi connus et appréciés dans les CEGEP anglophones. En histoire, je serais curieux de savoir si l'on parle de la conquête britannique et de l'épopée des Patriotes de 1837, de la même manière dans ces mêmes collèges que dans les institutions francophones.
Tout cela est normal, nous vivons dans une démocratie exemplaire qui, par ailleurs, ne doit pas être synonyme de négligence ou de naïveté. Encore une fois, compter n'est pas blâmer. Les analystes des élections américaines nous l'ont bien démontré: les sondeurs de ce pays présentent les réalités sociologiques et ethnologiques telles qu'elles sont, sans qu'on les accuse de manquer de respect envers quiconque.
Chacun est libre de voter comme il veut, mais nos frères et soeurs issus de l'immigration, sauf de notables exceptions personnelles ou collectives, que j'espère en expansion, se sont, jusqu'à ce jour, toujours prononcés beaucoup moins en faveur de l'indépendance. Il y a à cela plusieurs raisons faciles à comprendre. N'en ajoutons pas délibérément par cette différenciation collégiale. Elle fait certes partie des droits sacrés de notre minorité anglophone traditionnelle, mais pas de ceux des nouveaux arrivants.
Nous sommes déjà parmi les peuples les plus bilingues du monde, bien plus que les États-Unis, la France, l'Angleterre. Et pourtant, serait-il pensable, dans ces pays que des immigrants puissent réclamer l'enseignement collégial public dans une autre langue que la langue nationale. D'une manière modulée et fraternelle, l'heure de cet accommodement tout à fait raisonnable est venue...
Surtout que l'accueil amical des immigrants comporte un devoir d'intégration, car ils seront les premières victimes si cet objectif fondamental n'est pas réalisé.
Chronique #14
Au collège plutôt qu'au "college"
Cégep en français
Bernard Landry116 articles
Ancien premier ministre du Québec, professeur à l'UQAM et professeur associé à l'École polytechnique
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