La Commission Charbonneau est à peine sortie de Montréal et de Laval que des voix s’élèvent pour tenter de sauver à tout prix ou pour condamner sans appel le recours par les pouvoirs publics aux grandes firmes de génie-conseil qui ont fauté. Il faut dire que les révélations entendues à ce jour indiquent de graves infractions commises au plus haut niveau des géants de l’industrie du génie-conseil. La collusion et la corruption sont des infractions criminelles graves et il n’est pas question de les banaliser. Elles impliquent des firmes de génie-conseil et de construction, des politiciens et leurs organisations électorales, des comptables et des juristes.
Et c’est ce que nous savons aujourd’hui, la Commission n’est pas rendue au Ministère des transports du Québec (MTQ) ou à Hydro-Québec. Rien n’indique que le système mis au point dans les villes s’y applique. Rien n’indique qu’il ne s’y soit pas appliqué non plus. Compte tenu du fait que la plupart des firmes incriminées dans les villes travaillent aussi pour le MTQ et Hydro-Québec, de même que plusieurs acteurs du milieu de la politique municipale sont impliqués au niveau provincial et fédéral, il y a lieu de s’inquiéter. Faut-il pour autant sauver les firmes coupables, mises au ban par les dernières mesures législatives du gouvernement du Québec, ou faut-il au contraire donner un autre tour de vis et les sortir toutes par exemple du MTQ ?
En effet, la Chambre de commerce (http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/points-de-vue/201307/19/01-4672420-le-secteur-quebecois-du-genie-conseil-un-joyau-a-preserver.php) suggère qu’une compensation financière aux municipalités lésées par les firmes et un train de mesures administratives (étoffer les règles de gouvernance, impliquer des représentants du gouvernement sur les CA, etc.) devraient les blanchir. Les représentants des fonctionnaires (http://www.lapresse.ca/le-soleil/opinions/points-de-vue/201307/19/01-4672420-le-secteur-quebecois-du-genie-conseil-un-joyau-a-preserver.php) veulent renforcer les règles d’attribution de contrats et remettent même en question l’octroi de contrat à ces firmes!
Rappelons à nouveau que la Commission Charbonneau n’est même pas rendue au MTQ. Rappelons aussi que ce sont des témoins qui n’ont pas brillé par leur sens de l’éthique qui ont mis en cause le MTQ ou le ministre (Gilles Cloutier !), ou ont prétendu qu’il n’y avait ni corruption ni collusion au MTQ (Michel Lalonde).
Les modifications législatives déjà introduites ne seront certes pas les seules auxquelles devra penser le législateur, mais devant l’ampleur des révélations, il n’avait guère le choix d’agir dans le monde municipal et le financement des partis politiques. Dans une perspective plus large, faut-il aller plus loin maintenant comme le suggèrent les syndicats et nombre de citoyens, ou faire ce que la Chambre de commerce propose, revenir pour ainsi dire en arrière.
Agir avec précipitation peut faire commettre des erreurs aux meilleurs. Souvenez-vous des commentaires de Richard Le Hir suite aux premières révélations sur le cas de SNC-Lavalin (L’acharnement suspect de La Presse, 11 avril 2012). La plupart des commentateurs de l’article lui ont été favorables. Et ce qu’il déduisait alors était plausible. Mais l’acharnement du journal provenait probablement de ses sources policières, qui en savaient plus long qu’elles le disaient publiquement, et qui utilisaient le journal pour mettre de la pression sur des suspects. (M. Le Hir croyait que La Presse travaillait pour Paul Desmarais et ses amis, qui avaient l’œil sur SNC-Lavalin: ce qu'on sait maintenant des agissements de SNC-Lavalin montre bien qu'elle a su elle-même se discréditer sans avoir besoin "de l'acharnement suspect de La Presse".).
Dans ce genre d’affaires, il vaut mieux prendre le temps d’avoir un portrait d’ensemble avant de se prononcer. D’autres éléments risquent de venir modifier ce que nous savons de la situation, et d’autres idées de solutions pourraient venir enrichir le débat. De plus, nous avons la nouvelle loi depuis quelques mois à peine, et déjà il faudrait la modifier; le passage du temps va aussi enrichir notre expérience de la nouvelle loi et nous permettre de l’améliorer.
C’est pourquoi il ne faut pas de régime d’exception pour les firmes coupables de collusion et de corruption, laissons la loi s’appliquer. Leurs dirigeants savaient ce qu’ils faisaient en concoctant le système de collusion et de corruption qu’ils ont collaboré à mettre sur pied. Leur faire un passe-droit aux premières difficultés rendrait la loi caduque. Mais il ne faut pas aller plus loin maintenant, sinon pourquoi la Commission Charbonneau ?
Et une dernière suggestion pour que tout un chacun range sa plume et se mette à réfléchir en apprenant les vertus de la patience. Pourquoi la Commission Charbonneau ne ferait-elle pas un appel de mémoires dans le public? Tous ceux qu’intéresse ce débat auraient ainsi la chance d’y participer et d’y faire valoir leur point de vue. Et si la Commission ne peut pas recevoir de mémoires ou organiser de débat, l’Assemblée nationale le peut. Entre le moment où la Commission rendra public son rapport et l’adoption des lois ou modifications législatives en découlant, le législateur peut convoquer une Commission parlementaire et recevoir les mémoires des citoyens ou groupes intéressés. Le débat n’en sera qu’enrichi, et nous éviterons peut-être ainsi de voir des groupes et des citoyens se lancer en croisade au beau milieu de la Commission, et de discuter d’un ministère, celui des Transports, qui n’a même pas encore été examiné par la Commission.
Génie-conseil et contrats publics
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