Il n’y a pas qu’au Québec que les lynchages médiatiques remplacent parfois la justice et le débat ouvert. Est-ce l’effet des médias dits « sociaux », qui ont élevé les propos de taverne au rang d’opinions ? Toujours est-il qu’il n’a jamais été aussi facile de se faire traiter, sans le moindre procès, d’homophobe, de raciste ou d’islamophobe. Tout cela dans la langue des analphabètes d’aujourd’hui, qui dépasse rarement 140 caractères !
La dernière victime de ce genre de procès sommaire se nomme Kamel Daoud. L’écrivain et journaliste algérien avait été couronné en 2015 par le prix Goncourt du premier roman pour Meursault, contre-enquête (Actes Sud). Celui qui signait depuis deux décennies des chroniques dans un pays où ce métier exige souvent de la bravoure vient d’annoncer qu’il jetait l’éponge et abandonnait le journalisme.
Kamel Daoud fut pourtant un des rares à gauche à tenter de réfléchir aux événements qui se sont déroulés à Cologne. La veille du Nouvel An, sur la place de la gare, plusieurs centaines de femmes avaient été agressées par une foule essentiellement composée de migrants d’origine arabo-musulmane. Reprenant de larges extraits d’un texte ancien qui n’avait pas provoqué de tollé, Daoud a cherché comme d’autres avant lui à comprendre. Pour lui, la cause de ces gestes réside dans un islam qui cultive chez ses compatriotes la « misère sexuelle » et un « rapport malade à la femme, au corps et au désir ».
Entre une droite islamophobe prête à jeter les étrangers à la mer et une gauche féministe tétanisée et silencieuse, Daoud osait affirmer que l’étranger n’était ni le barbare que dénonçaient certains ni l’ange que d’autres imaginaient naïvement. Il dévoilait ainsi chez le réfugié d’Allah ce déchirement entre une liberté qu’il désire, mais qu’il n’assume pas totalement. Et ce rapport équivoque à la femme et à ce corps qu’il faut voiler, car il « est le reflet de la vie qu’on ne veut pas admettre ».
Dans deux textes publiés par Le Monde et le New York Times, Daoud expliquait qu’à Cologne, ceux qui ont réagi de bonne foi l’ont fait parce qu’on avait touché à ce qui représente l’essence de la liberté en Europe aujourd’hui : la liberté des femmes. Pour Daoud, c’est la misère sexuelle du monde musulman qui fait « du vivant un zombie, ou un kamikaze qui rêve de confondre la mort et l’orgasme ». Quand il ne rêve pas d’« aller en Europe pour échapper, dans l’errance, au piège social de sa lâcheté ». Et Daoud de conclure le plus lucidement du monde que, face à ces migrants, il ne fallait ni fermer les portes ni fermer les yeux.
Mais l’époque ne fait pas dans la dentelle. Il n’en fallait pas plus pour qu’une meute se jette aux trousses de l’écrivain et signe des pétitions. Comme l’écrivain Boualem Sansal et le défunt Abdelwahab Meddeb avant lui, Daoud a été accusé d’« alimenter les fantasmes islamophobes », de faire le jeu de Pegida et du « paternalisme colonial ». Lui qui refusait simplement de dissimuler l’immense malaise qui agite aujourd’hui l’islam partout dans le monde. Une crise comme en a d’ailleurs déjà vécu la chrétienté à d’autres époques.
En faisant taire Kamel Daoud, la gauche bien-pensante aura malheureusement fait taire une des voix les plus prometteuses du monde arabo-musulman. Une voix courageuse qui ne s’est pas réfugiée dans les universités européennes, mais qui vit en Algérie, au coeur de la bête. On comprendra donc le courage qu’il lui a fallu pour affirmer ce qui suit : « Je juge de la santé de l’humanité des peuples à leur rapport aux femmes. Là où elles sont libres et acceptées, les gens auront un rapport sain à l’imaginaire, au désir, au corps. Ce que je jalouse dans l’Occident, la seule avance qu’il a comparé à nous, c’est dans le rapport aux femmes. […] Si on ne libère pas les femmes, on ne se libérera jamais. »
Ce qui arrive à Kamel Daoud devrait nous alerter sur la façon dont se mènent certains débats aujourd’hui. « Nous vivons désormais une époque de sommation », écrit-il dans le Quotidien d’Oran. Il ne croyait pas si bien dire !
Car le lynchage médiatique existe aussi chez nous. On me permettra de m’inscrire en faux contre les accusations honteuses et l’acharnement dont est aujourd’hui l’objet ma collègue du Devoir Lise Payette. Face aux appels à la censure et à l’autocritique de type maoïste, il serait lâche de ne pas défendre son droit inaliénable de témoigner du Claude Jutra qu’elle a connu lorsqu’elle était jeune fille sans se faire accuser, à l’encontre de toute réalité, de faire des « amalgames », d’être « homophobe » ou de passer sous silence une réalité qu’elle n’a pas connue et dont elle ne saurait témoigner.
Prendre de la distance, ne pas obtempérer aux « sommations » de la foule, refuser de participer à l’hystérie collective qui s’autorise dorénavant au Québec à vandaliser des oeuvres d’art sans que personne, ni ministres ni maire, ne dise un mot, voilà qui honore les chroniqueurs qui, pour reprendre les mots de Kamel Daoud, cherchent à « creuser et non à déclamer ». Je suis fier d’écrire dans le même journal que Lise Payette.
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