La fin de l’Amérique est, aux USA, un “thème porteur”. Le livre Aftershock: Protect Yourself and Profit in the Next Global Financial Meltdown, de David Wiedemer, Robert A. Wiedemer et Cindy S. Spitzer, est devenu une institution dans ce domaine de la programmation de l’apocalypse américaniste. Un peu comme une série TV, il y a une première édition en 2009, suivie d'une seconde, révisée à mesure des événements et à la hausse en 2011, avec 160.000 exemplaires vendus pour cette édition. Le site Newsmax.com, qui travaille beaucoup dans les prévisions apocalyptiques, s’est associé aux deux Wiedemer pour produire une vidéo qui a un succès remarquable (10 millions d’exemplaires vendus). Intitulée Aftershock Survival Summit, la vidéo décrit le sort prévu de l’Amérique, peut-être dès la fin de 2011, sans aucun doute en 2012, et la façon de protéger ses avoirs et ses capitaux dans de telles circonstances si troublées de l'effondrement sans doute tonitruant de la chose.
Le 14 septembre 2011, le site Moneynews.com publiait un article sur le thème.
«Robert Wiedemer, author of The New York Times best-selling book Aftershock, has been lumped in with these “End of America” economists. His disturbing prophecy of a 90% stock market drop, 100% annual inflation, and 50% unemployment, starting in 2012, definitely sounds like the end of America is near.
»“I didn’t believe his claims at first. They seemed extreme,” confessed Aaron DeHoog, the financial publisher at Newsmax Media, after a private meeting with Wiedemer in Palm Beach, Fla. “But then he showed me the evidence. It was eerily alarming.” After seeing the same charts as DeHoog, Russ H., a financial adviser from Wichita, Kan., said, “It scared the hell out of me. It was a great wake-up call.”»
Plus loin, l’article nous explique que les choses ne vont pas tout seul. Le “message”, publicitaire ou pas c’est selon, ne passe pas dans tous les médias de la presse-Système, car la presse-Système est toujours déchirée entre l’amour vertueux du profit et la protection de l’intégrité vertueuse du Système. Pourtant, le “message” n’est pas sans espoir, nous dit le même Aaron DeHoog…
«But it wasn’t without cost. Certain media outlets have banned the message, claiming it was “too controversial.” At one point, Wiedemer says Washington’s “medicine has become the poison. And the money from heaven has become a path to hell.”
»DeHoog doesn’t disagree with the controversial tone of the video. “Wiedemer tells it how it is. He unapologetically names names, points fingers, and leaves no stone unturned.” However, DeHoog adds, “It is important to understand that ‘the end of America’ is not our message. Hope is not lost. In fact, we think the United States will emerge from these trials stronger than ever. And those who prepare now will prosper financially.”
»And he says there is a special bonus for
viewers…»
… Certes, nous avons tenu à garder la dernière ligne de la citation, qui est l’annonce qu’il y a un bonus pour toute personne qui achètera la vidéo sur ”comment survivre à l’apocalypse USA”. Il s’agit d’une entreprise typiquement américaniste, dans tous les sens, absolument tous les sens du qualificatif. On y trouve associés le goût de l’apocalypse, le goût de la précision économique dans le détail de l’apocalypse, le goût de la méthode de préservation de ses avoirs pendant et après l’apocalypse, le goût de l’exploitation immédiat du produit détaillant “l’apocalypse et comment s’en sortir sans trop de pertes pour ses divers placements et avoirs…”. Cela fait quatre points, comme autant de points cardinaux, indiquant que l’affaire est excellente et que le capitalisme marche toujours du tonnerre de la Grâce divine.
Tout cela décourage-t-il le commentaire, disons “sérieux” ? La question est inutile autant que déplacée, car il s’agit ici d’un sujet hybride, fait de matières diverses, qui nous sembleraient inassimilables tant elles sont grossières et excessives, et dépourvues de l’attention pour les nuances, et qui ont pourtant été agglomérées d’une façon quasiment inaltérable, comme dans une masse boueuse et entropique que rien ne saurait défaire ; et c’est ainsi que l’Amérique est, jusque dans la fin catastrophique d’elle-même, saltimbanque de son effondrement, promotrice et bénéficiaire type-Wall Street de sa propre fin dernière… Tant il est vrai que les esprits typiquement américanistes ont une sorte de génie, dans ces troubled times, pour transformer tout, absolument tout, en une comptabilité en dollars ($). Tant il est vrai que “the buck doesn't stop here” après tout, que le dollar ($) est bel et bien encore vivant, qu'il survivrait même bien à la dissolution de l'Amérique comme dernier vestige du rêve.
Cela n’empêche en rien que les prévisions des Wiedemer ne soient pas nécessairement dénuées de tout sens et du moindre sérieux, – d’ailleurs, comment le seraient-elles dès lors que vous annoncez la chute probable des USA en 2012, – tant cette occurrence, aujourd’hui, paraît de moins en moins insensée… C’est même un point remarquable, y compris de la prédiction commerciale la plus commerciale, dans le sens de la bassesse extrême que peut avoir cette activité : au plus les dates de la catastrophe approchent, au moins l’on craint d’annoncer la proximité de la catastrophe malgré le risque commercial du démenti. C’est le signe indubitable d’une psychologie très spécifique ; d’habitude la proximité à cet égard incite à une certaine prudence chronologique, sinon commerciale ; ce n’est plus le cas aujourd’hui où, au contraire, l’on réédite en “version 2011” une prédiction d’effondrement de 2009, et où l’on obtient un succès de vente considérable, bien plus en 2011 qu’en 2009.
Nous l’avouons droitement, car cela fait partie de notre commentaire lui-même : nous ne savons rien des prédictions des Wiedemer et consort dans le détail, dans le sérieux, etc., et nous nous gardons bien de tenter d’en savoir quelque chose. Tout cela peut être aussi bien une “vaste blague” qu’un “montage commercial”, qu’une échappée d’une intuition éclairée, ou tout ce que vous voulez, – et tout cela n’a aucune importance. Le fait que des journaux-Système se soient effrayés du “message“ complète justement le propos, en lui donnant un aspect de sérieux à la fois risible et significatif, en nous indiquant qu’effectivement l’état d’esprit du Système est également de dissimuler à peine et bien mal, à côté du sérieux qui convient pour repousser ces “prophètes du malheur”, un affolement profond devant certaines perspectives.
Il y a bel et bien une sorte d’infection profonde qui a atteint la psychologie du Système, qui s’étend à tout ce qui s’en rapproche, ou tout ce qui fait acte de commentaire à cet égard. La “fin de l’Amérique” est aujourd’hui bien plus qu’un thème, bien plus qu’un scénario d’Hollywood, bien plus qu’un succès de librairie bien arrangés par quelques spécialistes du jour ; c’est une malédiction qui ne dit pas son nom, une fatalité qui pèse sur l’arrière des consciences, un peu plus haut que ces consciences, comme un orage qui menace. A force de craindre et d’annoncer l’apocalypse, ils finissent par l’attendre, puis par la vouloir, puis ils finiront par faire en sorte qu’elle se produise, comme un drogué finit par céder à sa dépendance, irrésistiblement. Engelhardt observait justement que l’Amérique est devenue dépendante de 9/11, comme un drogué de son héroïne ; cela est peut-être moins la dépendance pour un événement passé et supposé glorieux (9/11 dans toute la splendeur de sa narrative) que la dépendance d’un destin catastrophique, et 9/11 ne serait alors que la première étape de l’effondrement nécessaire, de l’apocalypse inévitable de l’Amérique, – l’événement fondateur de la chose.
Il est évident que la psychologie américaniste est grosse d’un événement de cette sorte, et qu’elle rencontre ainsi des tensions et des pressions métahistoriques formidables, pour s’y conformer. La seule question vraiment ouverte est de s’interroger sur la nature de la chose, de la césarienne à l’accouchement sans douleur, pour nous enfanter l'autodestruction décisive. Dans tous les cas, 2012 semble un bon cru, après la préparation intensive que nous a déjà offert 2011... Pour en finir avec le catastrophisme, comme dit l'autre (Bruno Tertrais), en suivant les consignes escarpées du Système, – rien de tel, mon cher, qu'une bonne catastrophe, la der des ders.
Mis en ligne le 19 septembre 2011 à 14H26
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