L’auteur du Testament français, né en Sibérie, est arrivé en France en 1987 en tant que réfugié politique de la Russie soviétique. Il a fait, ce 15 décembre, son entrée à l’Académie française.
Il faut lire son discours de réception. Son verbe précis et exigeant est au service d’une analyse lucide, inquiète, mais subtile de ce qu’est la France à la lumière de ce qu’elle fut.
Sa mission à l’Institut sera de « promouvoir la langue française. C’est-à-dire la défendre, la protéger. » Contre « la chasse systématique aux traditions » que constituent la réforme de l’orthographe aussi bien que le mépris de certains écrivains pour la langue « classique », telle Marie Darrieussecq qui « [veut] donner des coups de pied à la langue française ». Plus généralement, il fustige une France où les langues anciennes sont désormais « considérées […] comme un archaïsme élitiste », et dénonce « l’arrivée [de] gouvernants qui revendiquent, avec une arrogance éhontée, leur inculture ».
Mais défendre la langue, c’est aussi défendre la pensée, la vérité, la liberté de penser contre la bien-pensance : « Trop de mots sont utilisés ou au contraire évités en raison de leur connotation. […] Collaboration ou race sont des termes chargés d’une valeur symbolique si forte que leur usage est devenu systématiquement conflictuel. »
« L’abrutissement programmé des populations » n’est pas un simple problème culturel, il est aussi politique : « Il faut distinguer la voix des élites et la vox populi, […] moins audible. Pour l’instant. Car elle ne peut pas être comprimée éternellement. » L’URSS en est un exemple éclatant.
Devant « l’absence de réaction violente ici après les tragédies de Nice ou de Saint-Étienne-du-Rouvray », il s’interroge : « Jusqu’à quand les Français resteront-ils aussi patients, indulgents, tolérants ? »
« C’est un des miracles de ce pays : faire naître chez des étrangers l’envie d’être encore plus français que les Français », s’émerveille-t-il. Ce miracle existe encore : lui-même en est la preuve vivante.
Mais pour un Andreï Makine, combien d’étrangers, aujourd’hui, qui ne se sentent pas vraiment, voire nullement français ?Jusqu’à Assia Djebar, au fauteuil de laquelle il a été élu. Brillante élève d’établissements français en Algérie, elle a ensuite étudié à Paris, au lycée Fénelon puis à l’École normale supérieure. « Aucune pression idéologique ne commanda, en France, les choix qu’elle devait faire pour persévérer dans ses études. Aucune censure ne lui opposa un quelconque index librorum prohibitorum. » Et « le général de Gaulle [aida même] la militante pro-FLN Assia Djebar à réintégrer ses fonctions » [universitaires]. Cela ne l’empêcha pas d’écrire dans un roman : « Langue de l’ancien conquérant », « le français m’est une langue marâtre. » Aucune gratitude, mais une rancune tenace, visiblement. Et une mémoire sélective : « Nous partageons la peine des Algériens d’il y a soixante ans mais notre mémoire refuse d’ignorer le destin cruel des harkis et le bannissement des pieds-noirs », nuance Makine.
La repentance et l’indulgence coupable conduisent au « suicide français ». Mais les Français peuvent encore se réveiller. « Et le jour où ils se réveilleront, la réaction ne sera-t-elle pas d’autant plus féroce qu’elle aura trop longtemps été contenue ? »
« Les peuples finissent toujours par se réveiller. Malheureusement, celui de France a la fâcheuse habitude de le faire seulement lorsque celle-ci est en danger de mort. » C’est un Immortel qui le dit.
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