Fulgurance : ce titre est fait sur mesure pour Andrée Ferretti. À 80 ans passés, la militante et écrivaine continue de foncer, de mordre, de vivre avec ferveur et d’en souhaiter autant pour son peuple. « Ferretti vibre comme elle respire, écrivait Hélène Pedneault en 2002. Elle n’a pas besoin d’aller poser des bombes avec le FLQ, elle en est une. Mais sa lutte à elle n’est jamais clandestine. Le jeu de Ferretti est toujours ouvert, elle agit en pleine lumière et tout le monde connaît le fond de sa pensée. »
Recueil de textes divers parus en journaux et en revues au cours des dernières années et choisis par l’éditeur André Baril, Fulgurance se distingue, au dire de l’auteure, par sa « féminité ». Préfacé par la vigoureuse Djemila Benhabib et postfacé par la doctorante en philosophie Fannie Bélanger-Lemay, le livre est illustré, en couverture, par Claire Aubin. Il est surtout l’oeuvre, évidemment, d’une intellectuelle flamboyante pour qui « il n’y a de pensée que radicale ».
Tous les textes de Ferretti, souligne Benhabib, « sont hantés par le spectre de l’éclatement de notre identité et l’effacement de notre peuple ». L’essayiste, en effet, ne dore pas la pilule à ses lecteurs. Le peuple québécois, écrit-elle, est aliéné, en ce sens « qu’il consent toujours à légitimer les systèmes constitutionnels et les régimes sociaux qui le dominent et l’exploitent depuis plus de deux cents ans », tout en y participant « plus activement que jamais par ses comportements individualistes et communautaristes, se souciant comme de sa première chemise de l’intérêt national », pourtant le seul à même, en cette ère de mondialisation uniformisante, de lui permettre de préserver et de déployer son identité et sa liberté.
Ferretti a suivi les cours et lu les livres du grand historien Maurice Séguin et elle sait, depuis, comme le résume Benhabib, qu’« un État privé de l’ensemble de ses leviers décisionnels atteint, tôt ou tard, les limites de son développement ». Le Canada n’est pas une dictature, continue Benhabib, mais il encarcane néanmoins le Québec dans une semi-autonomie qui n’a « rien qui ressemble à un destin national ».
Ouverture au monde
Ferretti, comme toujours, écrit pour inciter les Québécois à « se débarrasser de la peur panique qu’inspire l’ennemi, en prenant conscience que sa force lui vient essentiellement de la seule autorité qu’on lui reconnaît ». Faire le choix de l’indépendance nationale, de la liberté, n’a rien à voir avec « un quelconque repliement sur nous-mêmes ». C’est, au contraire, un geste d’ouverture au monde, un élan vers une rencontre directe avec le monde pour un Québec enfin libéré de l’étouffant filtre canadien.
D’aucuns diront probablement que Ferretti radote. Ne nous sert-elle pas, en effet, cet argumentaire depuis plus de 50 ans, en ne l’actualisant que légèrement pour justifier l’indépendance, hier par la nécessité de résister à l’impérialisme américain et aujourd’hui par l’urgence de contrer « l’aliénation culturelle provoquée par l’hégémonie de la société de consommation et le néolibéralisme économique », comme l’explique Fannie Bélanger-Lemay ?
Miron et Spinoza
Pour répliquer à cette accusation visant à délégitimer la lutte indépendantiste sous prétexte qu’elle serait dépassée, Ferretti cite son camarade Gaston Miron. « Nous serions, écrivait-il en 1994, tous rendus plus loin, dit-on. Eh bien, si tout le monde le croit, bien lui en fasse. Quant à moi, qu’ils aillent tous au diable. J’aime mieux radoter et être dans la réalité que prétendument ne pas radoter et n’être pas dans la réalité. […] Nous avons certes fait beaucoup de chemin, d’immenses progrès. Je ne vois cependant pas, n’en déplaise à nos internationaleux, que la situation ait fondamentalement changé, parce que nous n’avons pas été jusqu’au bout. La solution est politique. Point. »
Admiratrice de l’oeuvre de Spinoza, Ferretti s’inspire de ce philosophe « dans la recherche de l’unité des choses », note Bélanger-Lemay. Elle se présente donc, d’un même élan, comme indépendantiste, féministe — « La Québécoise ne veut pas être l’égale d’un homme colonisé », écrivait-elle en 1966 — et résolument de gauche. Chez elle, la femme de culture est militante et la femme engagée vit d’art et d’amour. La liberté exige la solidarité, est toute d’un bloc et ne se marchande pas.
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