Selon le Jane’s Defence Weekly, citant des documents publiés par le Federal Business Opportunities (FBO) (l’organisme du gouvernement des USA qui fait la promotion des possibilités commerciales), dans le cadre de leur « campagne contre le terrorisme », les USA ont fourni aux rebelles syriens [les combattants d’Al-Qaïda modérés] de grandes quantités d’armes et de munitions.
Les USA et leurs alliés (dont la Turquie et l’Arabie saoudite) ont recours au commerce illégal d’armes légères fabriquées entre autres en Europe de l’Est, dans les Balkans et en Chine pour les livrer à des groupes rebelles à l’intérieur de la Syrie, dont Daech et le Front alNosra. Pour leur part, à partir des hauteurs du Golan occupé, les Forces de défense israéliennes fournissent des armes, des munitions et un soutien logistique aux rebelles d’Al-Qaïda actifs au sud de la Syrie.
Tout en confiant à ses alliés du Moyen-Orient le soin de conclure des transactions douteuses dans le marché très porteur de la vente d’armes légères, le gouvernement des USA a tout de même commandé directement une partie importante de ces livraisonsd’armes.
Ces livraisons d’armes ne sont pas conformes aux procédures de transfert d’armes approuvées au niveau international. Bien qu’elles résultent d’accords de marchés avec le Pentagone (ou le gouvernement des USA), elles ne sont pas inscrites comme une aide militaire « officielle ». C’est qu’on a recours aux services de négociants privés et d’entreprises de transport maritime actifs dans le secteur florissant du commerce illicite d’armes légères.
En se fondant sur l’examen d’une seule livraison commandée par le Pentagone faisantplus de 990 tonnes, on peut raisonnablement en déduire que la quantité d’armes légères entre les mains des rebelles de « l’opposition » en Syrie est substantielle et très étendue.
Contexte : l’approvisionnement en armes par les USA « passe par des pays tiers »
Bien que le gros des armes et des munitions fournies aux rebelles syriens (y compris à l’Armée syrienne libre et aux entités liées à Al-Qaïda et à Daech) est acheminé par la Turquie et l’Arabie saoudite, les USA livrent aussi systématiquement des armes légères aux rebelles (provenant de pays tiers), dont des lance-roquettes antichars.
C’est le Pentagone (ou une agence du gouvernement des USA) qui commande les armes livrées par les USA aux rebelles syriens en passant par plusieurs intermédiaires, dont des négociants en armes privés et des entreprises de transport maritime présentes dans la ville portuaire de Constanta, en mer Noire. Aucune des armes fournies dans le cadre de ce programme officieux « d’aide militaire des USA » n’est « fabriquée aux USA ». Ces armes légères achetées sur le marché noir en Europe de l’Est et dans les Balkans sont relativement peu coûteuses.
La décision de Washington de ne pas livrer aux rebelles d’armes fabriquées aux USA est une forme de camouflage. Washington veut sans doute s’assurer qu’on ne découvre pas d’armes fabriquées aux USA ou dans des pays occidentaux aux mains des terroristes. Rappelons que lorsque la guerre a commencé en 2011, la directive de la MaisonBlancheétait « une aide humanitaire » aux rebelles, ainsi que « du matériel militaire (…) [mais pas d’armes] » (BBC, le 10 octobre 2015)
L’aide militaire des USA aux rebelles passant (officieusement) par le marché noir est une pratique courante et permanente. En décembre 2015, une livraison importante d’armes commandée par les USA au poids ahurissant de 995 tonnes a été effectuée en violation flagrante du cessez-le-feu. Selon le Jane’s Defence Weekly, les USA « fournissent [les armes] aux groupes rebelles syriens dans le cadre d’un programme qui se poursuit malgré le cessezlefeu largement respecté dans ce pays [en décembre 2015] ».
D’après le Jane, les livraisons d’armes au nom des USA sont confiées à des négociantsd’armes privés et à des entreprises de transport maritime :
« Le FBO a fait deux appels d’offres ces derniers mois [début de 2015] auprès d’entreprises de transport maritime en vue du transport de matières explosives de l’Europe de l’Est au port d’Aqaba en Jordanie, pour le compte du commandement du transport maritime militaire de la US Navy. » (Jane.com, avril 2016)
Les livraisons d’armes achetées et financées par les USA sont soigneusement coordonnées, de façon à être acheminées aux rebelles dans le nord et le sud de la Syrie respectivement. Les armes sont expédiées à partir du port roumain de Constanta, sur la mer Noire. (décembre 2015) :
1) Une partie est d’abord livrée à la base turque de Agalar-Limani, en Méditerranée orientale près de Tasucu, en appui aux rebelles au nord de la Syrie. Ces armes entrent en Syrie en contrebande avec le soutien des autorités turques (la moitié de la livraisondébarque à cet endroit).
2) Le reste de la livraison est acheminé au port jordanien d’Aqaba sur la mer Rouge (pour les rebelles au sud de la Syrie), en passant par le canal de Suez. Les armes entreraient ensuite en contrebande en passant par la frontière jordano-syrienne.
D’après le Jane, la cargaison d’armes légères précitée comprenait des fusils d’assaut AK47, des fusils mitrailleurs multi-usages PKM, des mitrailleuses lourdes DShK, des lance-roquettes RPG-7 et des systèmes de missiles guidés antichars 9K111M Faktoria. Il convient de noter qu’une bonne partie des lance-roquettes RPG devaient être livrés au nord de la Syrie (voir le tableau ci-dessous).
Il est important aussi de relever que le trajet de la mer Noire à la Syrie est le même qu’on a emprunté pour livrer des armes ukrainiennes à Al-Qaïda et Daech.
Sputnik, le 5 juin 2016
994 tonnes d’armes dans une même livraison, gracieuseté de l’oncle Sam.
Le tableau ci-dessous dresse la liste de la livraison d’armes effectuée en décembre 2015 et qu’a publiée Jane Defense Weekly.
Gardez à l’esprit que les chiffres se rapportent à une seule livraison effectuée en décembre 2015, exprimés en kilogrammes (kg).
Les quantités sont énormes :
7.62 x 39 mm : munitions pour un AK47. On a ainsi livré 134 tonnes de munitions.
PG 7 VM (2 kg) et PV7 VT (3,3 kg) : grenades antichars (ce qui laisse entendre que la livraison comprenait plus de 25 000 unités de PG 7VM et 60 000 unités de PG 7VT).
L’expédition totale vers Aqaba et Agalar est de l’ordre de 994 tonnes d’armes légères« en vertu du droit d’intervenir (R2P) à des fins humanitaires » en faveur des « modérés » en Syrie (dans une même livraison partant de la Roumanie), entre autres livraisons comparables par mer ou par la voie des airs.
Grenade antichar PG 7VM
Source : Jane’s Defense Weekly
Ce commerce d’armes légères se fait par l’entremise d’entreprises privées sous contrat avec le Federal Business Opportunities (FBO) du gouvernement des USA, une entité commerciale qui agit pour le compte du commandement du transport maritime militaire de la US Navy :
Étapes 1, 2 et 3 :
1) Le Pentagone (ou une agence gouvernementale pertinente) fournit au commandement du transport maritime militaire de la US Navy les détails et les précisions concernant les armes légères à acheter et à livrer aux « combattants de la liberté » en Syrie, en passant par la Turquie et la Jordanie. Les ports de livraison sont précisés. La destination finale des armes n’est pas mentionnée.
2) Le commandement du transport maritime militaire de la US Navy effectue la commande auprès du FBO.
3) Le FBO transige à son tour avec des entreprises privées en ce qui a trait aux accords de marché et à la livraison d’armes et de « matières explosives » à partir de Constanta, en Roumanie.
PENTAGONE —- COMMANDEMENT DU TRANSPORT MARITIME MILITAIRE DE LA US NAVY —- FEDERAL BUSINESS OPPORTUNITIES (FBO) —- NÉGOCIANTS PRIVÉS (ILLÉGAUX) D’ARMES LÉGÈRES, ENTREPRISES DE TRANSPORT MARITIME —- ENTRÉE EN CONTREBANDE EN SYRIE À PARTIR DE LA TURQUIE ET DE LA JORDANIE —- LIVRAISON À DAECH, À AL-QAIDA, AU FRONT AL NOSRA, AUX « REBELLES MODÉRÉS », À L’ARMÉE SYRIENNE LIBRE, ETC.
D’après l’article du Jane : « Le FBO a fait deux appels d’offres ces derniers mois auprès d’entreprises de transport maritime en vue du transport de matériel explosif de l’Europe de l’Est au port jordanien d’Aqaba pour le compte du commandement du transport maritime militaire de la US Navy. » (soulignement ajouté)
Image fixe tirée d’une vidéo diffusée par le groupe rebelle syrien Jaish al-Izzah le16 décembre 2015, qui montre un de ses combattants qui s’apprête à manœuvrer ce qui pourrait être un système de missiles guidés antichars 9K111 Fagot ou 9K111M Faktoria, les deux étant extérieurement identiques. Jaish al-Izzah utilise aussi des systèmes de missiles guidés antichars TOW. Source : Jane Defence Weekly
Publiée le 3 novembre 2015, le premier appel d’offres cherchait un entrepreneur capable de transporter 81 conteneurs de marchandises comprenant du matériel explosif de Constanta, en Roumanie, à Aqaba.
L’appel d’offres a été mis à jour par la suite et comprenait une liste d’emballage détaillée indiquant que la marchandise faisait un poids total de 994 tonnes, dont un peu moins de la moitié devait être débarquée à Agalar, un port militaire près de la ville turque de Tasucu, et le reste à Aqaba. (Jane’s op cit)
La mission du commandement du transport maritime militaire de la US Navy consiste à « exploiter des navires pour soutenir nos forces militaires et fournir des services maritimes spécialisés en appui à nos objectifs de sécurité nationale en temps de paix et de guerre ». (mission du MSC)
Source : http://www.msc.navy.mil/mission/
Livraisons d’armes par les alliés des USA au Moyen-Orient
L’article du Jane Defence Weekly porte sur des livraisons commandées par le Pentagone par l’entremise d’un pays tiers. Il ne parle pas de la fourniture de matériel militaire et d’armes à Al-Qaïda et à Daech commandée par les alliés des USA au MoyenOrient(p. ex., Turquie et Arabie saoudite), qui est bien plus grande et importante. Ces armes légères aussi sont achetées dans des pays tiers (Europe de l’Est et Balkans), par l’entremise de négociants privés :
[En 2012] des représentants de l’Armée syrienne libre sont entrés en contact avec des commerçants d’armes en Europe de l’Est et dans la région de la mer Noire, dans l’espoir d’obtenir des armes qui passeraient ensuite en contrebande à la frontière turco-syrienne. Les rebelles syriens se sont également tournés vers des milices [Al-Qaïda] en Libye pour obtenir de l’aide. Les groupes libyens se sont révélé une source particulièrement importante d’armes pour les insurgés syriens (…).
Les efforts déployés par les courtiers libyens pour armer les rebelles coïncidaient ou allaient peut-être même de pair avec ceux déployés par la Turquie, le Qatar, l’Arabie saoudite et la Jordanie pour les armer aussi. (…) Global initiative againstTransnational Crimes (étude de 2013)
D’après la Deutsche Welle, les exportations d’armes en Syrie par l’entremise de pays tiers (p. ex., Roumanie) se font également par la voie des airs via l’Arabie saoudite, la Jordanie, la Turquie et les Émirats arabes unis : « (…) les munitions, ainsi que des fusils d’assaut AK47, des mitraillettes, des grenades et des canons antichars, sont d’abord déchargés dans des bases aériennes et des ports en Arabie saoudite avant que des trafiquants ne les acheminent aux militants syriens. » (cité par Press TV, le 8 août2016, soulignement ajouté)
« Les normes internationales régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipement militaires sont bafouées de façon éhontée affirme le reportage, et une quantité considérable de munitions exportées de la Bulgarie aux pays susmentionnés porte la mention « ville de consignation inconnue ».
Ces armes ont abouti par le passé entre les mains de groupes terroristes comme Daech, largement perçus comme soutenus par l’Arabie saoudite.
Des reportages antérieurs avaient déjà démontré que des armes étaient sciemment livrées par camion en Syrie sous escorte militaire turque, puis transférées aux chefs des militants lors de rendez-vous fixés à l’avance. » (Press TV, 8 août 2016)
Observations finales
Les États-Unis et leurs alliés ont recours au trafic d’armes, c’est-à-dire au commerce illicite non réglementé d’armes légères par l’entremise de négociants privés dont le crime organisé, pour acheminer de grandes quantités d’armes et de munitions à des terroristes à l’intérieur de la Syrie. Ces transactions douteuses initiées par Washington ne respectent pas le droit international et les traités signés sous l’égide de l’ONU concernant le commerce des armes légères et de petit calibre.
Les accords de marché par le Pentagone visent, par l’entremise de divers intermédiaires, l’achat d’armes légères par des moyens illicites : de toute évidence, les budgets prévus par le Pentagone pour financer ces achats d’armes acheminées vers la Syrie ne sont pas comptabilisés et classés comme « aide militaire des USA » en bonne et due forme par le département de la Défense. Pour sa part, l’ONU reste muette au sujet de ce parrainage d’État d’achats illégaux et de contrebande d’armes vers la Syrie.
Michel Chossudovsky
Article original en anglais :
U.S. “Military Aid” to Al Qaeda, ISIS-Daesh: Pentagon Uses Illicit Arms Trafficking to Channel Enormous Shipments of Light Weapons into Syria, publié le 2 octobre 2016
Traduit par Daniel pour Mondialisation.ca
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