À peine confirmé dans sa fonction de premier ministre, Boris Johnson s’en prend à l’emblématique groupe d’audiovisuel public BBC, qu’il accuse d’avoir pris position contre les tories lors des élections législatives, menaçant de réduire ses subventions.
Le leader conservateur a demandé secrétaire au Trésor Rishi Sunak de revoir le financement du groupe public, a confirmé ce dernier dimanche. En ligne de mire: la redevance télévisuelle, principale source de revenus de l’institution, qui compte plus de 2000 journalistes à travers le monde.
M. Johnson, qui dispose désormais d’une large majorité au Parlement, pourrait en faire baisser le montant -- actuellement de 154,50 livres par an (soit 178 euros) -- lors de la prochaine renégociation de l’accord avec la BBC, prévue en 2022.
D’ici là, le premier ministre a aussi souhaité que le non-paiement de cette redevance, jusqu’ici considéré comme un crime passible de 1000 livres d’amende (1183 euros), soit requalifié en délit, entraînant des amendes moins élevées.
Avec 6 % des foyers britanniques dans l’illégalité, cela constituerait un manque à gagner de 200 millions de livres (237 millions d’euros), estime le quotidien The Guardian. Mais permettraient d’alléger le travail des tribunaux engorgés, quelque 130 000 personnes ayant été poursuivies en 2018 pour ce chef d’accusation.
« Vengeance »
Très remonté, le premier ministre reproche notamment à l’institution britannique son traitement de la campagne législative, estimant qu’elle a manqué d’objectivité et montré de claires préférences éditoriales, via certains « couvertures exagérées » sur des événements défavorables aux tories.
Mais selon l’expert des médias Ivor Gaber, de l’université du Sussex, cette charge contre la BBC est en réalité une « vengeance », en particulier pour « l’attaque ad hominem » lancée par leur journaliste politique vedette Andrew Neil contre le premier ministre, qui s’est dérobé à un entretien avec ce redoutable intervieweur, contrairement aux autres chefs de partis.
Depuis, Boris Johnson aurait, selon les médias, interdit à ses ministres de se rendre à l’émission « Today », matinale phare de BBC Radio 4.
Souvent surnommée affectueusement « Auntie » (« Tata ») par les Britanniques, la BBC est une véritable institution dans le pays, ce qui lui vaut d’avoir souvent été attaquée.
« Depuis Mme Thatcher, les gouvernements conservateurs ont régulièrement essayé de couper ses financements », a confirmé à l’AFP Jean Seaton, professeure en histoire des médias à l’Université de Westminster, « Mais ce qui est dangereux en ce moment, c’est que le Labour aussi s’en prend la BBC », ajoute-t-elle, ce qu’elle juge inhabituel.
Le député travailliste Andy McDonald n’a par exemple pas hésité à accuser la BBC d’avoir « délibérément » « joué un rôle » dans la lourde défaite de son parti. « Si la BBC pense qu’elle s’est comportée de façon impartiale, je pense vraiment qu’il faut qu’elle se regarde dans le miroir », a-t-il affirmé lundi, dans la matinale d’une de ses radios.
Ces accusations sont réfutées par un présentateur, Huw Edwards, qui a mis en garde contre ces « attaques au vitriol », dont le « véritable but (serait) de saper la confiance » envers le groupe audiovisuel.
Guerre de la désinformation
Alors que 20 % des Britanniques pensent que les journalistes de la BBC ne disent pas la vérité, selon une étude Yougov parue lundi, l’attitude du premier ministre est « dangereuse », pour Mme Seaton.
« Nous sommes irréfutablement en plein milieu d’une guerre de la désinformation, alors pourquoi attaquer un des instruments qui permet de lutter contre ? », interroge la chercheuse, craignant que cela serve les intérêts particuliers de lobbys ou de concurrents.
Les 3,7 milliards de livres perçus l’année dernière par la BBC constituent un revenu enviable.
« La BBC ne peut justifier le paiement obligatoire de cette redevance auprès de ceux n’usant que rarement de leurs services », a attaqué mardi le quotidien conservateur The Times, estimant que l’institution, qui peine à attirer une audience plus jeune, devrait se diriger vers un système d’abonnements après 2027.
Soulignant que le modèle de financement de l’institution « n’est pas parfait », Mme Seaton met cependant en garde contre une telle idée, estimant que ses promoteurs, « vu tout l’argent en jeu, ont moins à coeur la croissance de la BBC que sa diminution ».