À quoi nous servent les Français ?

Géopolitique — le Québec dans le monde

18 octobre 2012
Je l’avais observé lorsque j’étais journaliste et lorsque j’étais conseiller: nos relations avec la France suscitent chez une partie de l’opinion — et des faiseurs d’opinion — un scepticisme irréfragable.
Pour ceux que l’économie intéressent au-dessus de tout, il devrait suffire d’indiquer que la France est le second investisseur au Québec. Que l’implantation de ses 340 entreprises chez nous dépasse en nombre leur présence dans n’importe quelle province ou État américain.
Savoir qu’avec leur chiffre d’affaire combiné de 20 milliards de $, ils emploient directement 20 000 salariés québécois, dans de bons secteurs d’emploi, devrait clore le débat sur la valeur de cette relation.
Qui plus est, un touriste sur 10 venu au Québec en 2011 provenait de l’Hexagone ce qui, en proportion de la population française, est presque équivalent au nombre de touristes américains qui envahissent nos festivals.
Mais cela ne suffit pas, semble-t-il, à justifier notre présence régulière dans la ville lumière. On nous reproche d’aller y parler de politique.
C’est vrai. Et nous avons parlé, entre autres, de politique commerciale avec le Président Hollande, avec le Premier ministre Ayrault, avec le ministre de l’Économie Moscovici, avec la délégation patronale du MEDEF.
Chaque fois, nous avons réitéré notre volonté de faire profiter nos entreprises d’un accès privilégié aux 500 millions de consommateurs européens. Et, chaque fois, nous avons insisté sur la nécessité d’exclure la culture de la logique des marchés et de baliser le droit des entreprises à contester des décisions des États.
Nous avons ainsi pu obtenir un appui ferme des autorités françaises à nos positions, ce qui très positif pour nos objectifs de négociation.
D’une étape à l’autre de la visite, il fut question de développement du Nord québécois, de redevances, de fiscalité, de reconnaissance mutuelle des diplômes et d’immigration, d’éducation et de formation.
Nous avons déterminé le thème de la nouvelle phase des relations Québec-France. Nos efforts seront concentrés sur l’innovation et la créativité, que nous déclinerons pour la jeunesse, l’entreprise privée et sociale et la culture.
Avec les fondateurs de l’événement C2-MTL, le Cirque du Soleil et Sid Lee, nous voulons faire de Montréal en mai le Davos de la créativité et de l’innovation, donc faire du Québec une référence mondiale des entreprises de demain. La venue, dans ce cadre, d’une délégation d’innovateurs et de chefs d’entreprises français, menée par le ministre de l’Économie Pierre Moscovici, contribuera à cet effort.
Bref, nous n’avons pas chômé, en 48 heures, pour promouvoir les intérêts concrets du Québec.
Le rapport de force du Québec
Des scribes nous reprochent d’avoir voulu que la France réitère sa position historique de « non ingérence et non indifférence » envers le Québec. Ils présentent la chose comme un caprice de souverainistes, d’autant plus farfelu que l’accès du Québec au concert des nations n’est pas programmé pour les mois qui viennent.
Jean Charest, fédéraliste, avait pourtant bien compris que le mépris affiché par Nicolas Sarkozy envers cette tradition venait de réduire le rapport de force du Québec. Sitôt sorti de la cérémonie où le président venait de commettre cet écart, M. Charest s’empressait d’indiquer aux journalistes que la France « n’aurait d’autre choix » que d’appuyer le Québec en cas de référendum positif.
Quelle importance pour lui, pro-canadien ? La même que pour le ministre John Baird, qui s’est invité à Paris une semaine avant notre venue pour tenter d’influencer la décision, la même que pour l’ambassade canadienne qui fut assez insistante, nous disent nos amis français, pour prévenir l’Élysée et Matignon que cette formule n’était pas opportune.
Elle donne au Québec un surplus de rapport de force, référendum ou pas. Que l’on sache, à Ottawa, Washington et ailleurs, que la France, quatrième puissance mondiale, se tiendra aux côtés du Québec quoi qu’il arrive confère à la nation québécoise, immédiatement et en permanence, un intangible mais significatif supplément de tonus.
Il y a bien sur un biais fédéraliste chez ceux qui lèvent le nez sur l’importance de l’alliance Québec-France. Mais pourrait-on y déceler aussi un relent de colonisé? Comme si le Québec était trop petit pour cultiver une alliance avec un grand. Comme si nous n’étions pas à notre place.
La force québécoise dans le monde est l’addition de tous ses atouts: son poids économique, d’abord, la qualité de ses produits et services, de sa main d’oeuvre, de son inventivité. Le Québec est aussi le champion, pour sa taille, du « soft power »: sa projection culturelle, aux États-Unis comme en Europe, dépasse de loin son poids démographique.
Politiquement, les alliances tissées avec les régions-phare de l’Europe — Bavière, Catalogne, Rhone-Alpes — et, grâce à notre ténacité, autour de la grande table de la Francophonie politique, sont autant de pierres posées à l’édifice de notre crédibilité internationale.
Aux États-Unis, le patient travail de présence active au sein des forums des Gouverneurs de l’Est et des Grands lacs, puis dans l’alliance des États engagés dans le marché du carbone, fait de nous un interlocuteur de premier plan. Wall Street est depuis longtemps apprivoisé par les emprunteurs du Ministère des Finances et d’Hydro, dont la clientèle est appréciée et convoitée.
Tout cela s’additionne. Tout cela concourt au rapport de force du Québec. Il y en a que cela inquiète. C’est probablement bon signe…

Squared

Jean-François Lisée297 articles

  • 182 843

Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





Laissez un commentaire



Aucun commentaire trouvé