À propos des Carnets d'un promeneur

Chronique de Patrice-Hans Perrier

Quelques pensées liminaires à propos du site CARNETS D’UN PROMENEUR et de sa nouvelle destinée …


Nous avions fondé ce site dans le but d’exercer notre droit – et devoir – d’objecteur dans un monde où les fondations de la cité sont menacées chaque jour d’avantage. Par-delà un vivre-ensemble qui ne représente qu’une vague pétition de principe parmi tant d’autres, nous considérons que la citoyenneté représente le lien insurpassable qui lie une communauté à son territoire d’ancrage et qui constitue, en définitive, ce qu’il est convenu d’appeler un tissu communautaire.


In fine, le tissu urbain prend forme dans le sillage de l’agrégation des habitations et des lieux de rassemblement qui ont été façonnés par la population historique d’une cité donnée. La cité n’est pas un maelstrom d’activités économiques ou … une cité-dortoir. Elle est, d’abord et avant tout, le limon déposé par des siècles d’occupation du sol par une population qui y a établi des mœurs, des conventions, une mémoire, une langue, des habitudes culinaires et, même, une épopée.


De nos jours, dans un contexte où le monde commercial a mis en servage le monde de la production; puis, suite à un processus pervers de corruption, a cédé la place à la sphère financière, la citoyenneté est dépouillée de toutes ses prérogatives pour ne plus rien représenter d’autre qu’une vague pétition de principe. Les citoyens sont devenus des consommateurs, cédant leurs droits de tutelle sur les affaires de la cité contre un plat de lentilles :  les consommateurs pratiquent la fuite en avant lors de leurs incessantes pérégrinations touristiques autour d’un monde souillé par l’argent. Ce véritable tour de la terre ne représente plus qu’un voyage imaginaire dans un contexte où toutes les destinations se valent en bout de ligne. L’ubérisation du travail, la précarité économique et l’éclatement des liens filiaux font en sorte que l’urbain devient un ilote privé de toute identité véritable et livré pieds et poings liés aux desiderata d’une hyperclasse qui ne fait plus de quartier.


Ancien journaliste dans le domaine des affaires municipales et du développement urbain, nous caressions, naguère, de vagues chimères naïves concernant l’amélioration des rapports citoyens, la démocratie municipale ou la mise en œuvre d’un développement urbain plus respectueux du patrimoine et des forces motrices de la cité en devenir. Nous rêvions, incapable d’arrimer nos prises de position à la réalité ontologique de cette cité dévoyée qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut à son âge d’or. La cité serait, même, de l’avis de plusieurs observateurs avisés, sur le point de rendre l’âme à force d’être privée d’oxygène et de cohésion sociale. La cité c’est encore, et toujours, notre beau sujet; mais il s’agit d’une cité fantasmée que nous appelons de tous nos vœux à l’heure où le grand capital déplace des populations entières pour en remplacer d’autres afin d’anéantir toutes velléités citoyennes.


Nous avons déjà été un chaud partisan de formations écolo-bobo-gauchistes, à l’instar de Projet Montréal, croyant que tout ce ramassis de jeune-vieux allait remettre de l’ordre dans les « affaires de la cité », histoire de freiner l’appétit sans limite des promoteurs immobiliers ou de réintroduire une réelle volonté politique de planification urbaine. Que nenni, toute cette fine fleur de courtisans, d’intrigants et d’arrivistes pédants n’a toujours rêvé que de prendre le pouvoir à la place des anciens Condotierre. En effet, les élus de la génération du Maire Jean Drapeau, ancien édile montréalais, avaient entrepris de pulvériser les fondations de la cité classique au profit du grand capital apatride. À l’instar de l’abominable Delanoë – ancien Maire de Paris qui a endetté de manière dramatique la ville-lumière – nos nouveaux politicards équitables et politiquement corrects ne font que proposer des projets d’embellissement superficiel de la cité et caressent le rêve de policer toutes les facettes de la vie intime des citoyens privés du droit d’exister hors de la sphère pécuniaire. La Polis, ou cité, n’est pas un espace concentrationnaire, bien au contraire ! Cette cité de nos aïeux et de leurs descendants représentait – contrairement à ce que tous les bohémiens et autres bobos du monde pourraient imaginer – la sédimentation d’un art de vivre hérité depuis la nuit des temps. Densité urbaine, certes. Éloignement de la nature, c’est incontestable. Quoi qu’il en soit, une cité aux dimensions humaines demeurait, peut-être, le seul lieu propice à la formation d’une société véritablement pérenne. C’est ce qui explique ce fameux Genius loci – ou génie des lieux tel que se le représentait les anciens romains – qui caractérise un site qui possède son vécu propre, son histoire et la trace des populations qui l’ont occupé.


De nos jours, à l’heure du nomadisme de l’hyperclasse, « il n’y a rien à voir, la populace doit circuler » sans jamais s’arrêter, un peu comme dans les cercles de l’enfer de « La divine comédie » de Dante. La ville ne représente plus rien d’autre qu’un théâtre d’événements, un plateau d’activités commerciales et promotionnelles, alors que les citoyens ne savent même plus où demeurer puisque le prix des loyers devient exorbitant sous la pression des promoteurs étrangers. La classe politique n’est plus. À sa place, une caste de maquereaux a pris en main les restes encore fumant de cette cité qui a été transformée en vaste camps de travail et bordel à touristes. Les quartiers ouvriers ont été rasés et leur population décimée pour être remplacée par les travailleurs de la nouvelle économie. Tout ce beau monde loge dans des tours à condominiums en papier mâché où plus de la moitié de son salaire passe entre les mains des nouveaux gérants de l’occupation d’un espace vital qui a été violé sans répit. La cité classique s’est réduite en peau de chagrin au point où quelques agrégats ont été préservés, mis sous vide, pour la plus grande joie des touristes et des nouveaux riches de passage, le temps de vider notre métropole de son sang.


Les bancs publics, les lampadaires, les poubelles, tout le mobilier urbain – ou presque – a été remplacé par des abris-bus technos, des parcs à BIXI (vélo loué pour ceux qui détiennent une carte de crédit) qui bouffent la moitié des espaces piétonniers, des terrasses temporaires mal dégrossies et tout un lot de colifichets qui servent à épater les touristes tout en vidant les poches des contribuables. Bref, Montréal ressemble, de plus en plus, à un gigantesque parc d’attraction à migrants et à touristes : véritable cité-état qui participe, de facto, à la partition d’un Québec qui n’arrive pas à s’émanciper de la tutelle de sa bourgeoisie compradore. Montréal, c’est la nouvelle Amsterdam d’une caste financière qui spécule sur tout : le logement, la nourriture, le ventre des femmes, l’air que l’on respire, la guerre des sexes et, même, le droit de rêver. Montréal n’a plus besoin du Québec, ni des québécois, il s’agit d’un lieu de transit qui est tombé sous la coupe d’une poignée d’opérateurs sans scrupules, véritables Condotierre qui sont au service de la Couronne britannique et de sa City virtuelle. À l’heure où l’argent liquide sera bientôt retiré et où l’intelligence artificielle ambitionne de prendre en charge jusqu’à notre vie intime, la cité n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a déjà été.


Une ignoble coulée de béton se répand dans tous les interstices de la ville, emportant des familles entières, des lieux de rassemblement, des monuments, des places publiques et des bâtisses familières afin qu’il ne subsiste plus qu’un immense désert urbain d’où s’échappe les cris d’une humanité traquée, violée, dépossédée et anéantie par le grand capital et ses alliés.


Nous avons décidé de prendre les armes du combat littéraire et notre site sera, bientôt, totalement reconstruit afin d’abriter les nombreuses troupes d’un imaginaire qui refuse de baisser la garde. C’est cela le privilège d’être un HOMME. Un homme de lettres.


Squared

Patrice-Hans Perrier181 articles

  • 202 924

Patrice-Hans Perrier est un journaliste indépendant qui s’est penché sur les Affaires municipales et le développement urbain durant une bonne quinzaine d’années. De fil en aiguille, il a acquis une maîtrise fine de l’analyse critique et un style littéraire qui se bonifie avec le temps. Disciple des penseurs de la lucidité – à l’instar des Guy Debord ou Hannah Arendt – Perrier se passionne pour l’éthique et tout ce qui concerne la culture étudiée de manière non-réductionniste. Dénonçant le marxisme culturel et ses avatars, Patrice-Hans Perrier s’attaque à produire une critique qui ambitionne de stimuler la pensée critique de ses lecteurs. Passant du journalisme à l’analyse critique, l’auteur québécois fourbit ses armes avant de passer au genre littéraire. De nouvelles avenues s’ouvriront bientôt et, d’ici là, vous pouvez le retrouver sur son propre site : patricehansperrier.wordpress.com





Laissez un commentaire



1 commentaire

  • Marc Labelle Répondre

    21 octobre 2017

    Cette vaste réflexion philosophique témoigne de l’humanisme profond de son auteur.  Parmi les ruines actuelles, il s’agit dorénavant de planter les semences du bouleversement que sera la restauration humaine à venir.