Lettre à mon ami Pierre Falardeau

À mort

Pierre Falardeau : 1946-2009


Salut Pierre,
Tu es mort vendredi soir. Ce n’est pas une surprise, depuis le temps qu’on te savait malade de cette saloperie de cancer, pourtant je n’arrive pas à le croire. Je n’ai pas beaucoup dormi depuis. Il me semble que le téléphone allait sonner comme d’habitude…
« Salut Pierre-Luc! Inquiète-toi pas, je suis pas mort, c’est les médias qui sont encore partis en peur… Je cours à l’ACPAV et je te faxe mon texte pour Le Québécois… Rappelle-moi quand t’as deux minutes, j’aimerais te le lire comme d’habitude, être sûr que t’arrives à lire mes gribouillis… OK, bye! »
Ça n’arrivera pas. J’ai parlé à ta blonde hier. Elle m’a raconté comment tu nous as quittés, entouré de tes proches. Je ne sais pas comment j’ai fait pour ne pas pleurer quand elle m’a raconté. Depuis, par exemple, je ne peux réprimer mes sanglots. Je ne suis pas gêné de le dire, ça prouve qu’on est encore des êtres humains, comme tu aurais sans doute dit. Cette conversation avec Manon, je la garde pour moi comme un bijou précieux, mais je vais dire une chose cependant. Tu avais une blonde aussi courageuse que toi, mon vieux. Tu avais raison d’être si fier et si amoureux d’elle et de tes enfants. Mes premières pensées ont d’ailleurs été vers Manon, vers Jules, Jérémie et Hélène, quand j’ai vu la nouvelle tomber dans les médias.
Ensuite, j’ai pensé à nos années de camaraderie et de combat. Nos moments de tristesse et nos moments de joie. Et je ne peux pas croire que c’est fini. Sonne donc maudit téléphone sale! Je suis là, Pierre, tu peux appeler! Mais je sais bien que tu ne m’appelleras pas. Ton texte ne rentrera pas sur le fax non plus. Je n’aurai plus le privilège de t’entendre me le lire au téléphone.
Là-dessus, Pierre, je vais te confier quelque chose. Tu sais, les premières fois que tu m’envoyais tes textes, j’avais en effet de la difficulté parfois à lire ton écriture à la plume. « Non, non, Pierre-Luc, c’est un ‘‘r’’, pas un ‘‘c’’… Tu me suis-tu? ». Mais depuis plusieurs années, j’arrivais très bien à comprendre ton écriture. Pourquoi j’ai jamais refusé ton offre de me lire tes textes au téléphone? Imagine! J’ai dans le cerveau et dans le cœur le plus beau recueil d’essais que personne n’aura jamais et on ne pourra jamais me l’enlever : Falardeau lu par Falardeau, commenté par Falardeau. Et on en profitait toujours pour partir sur d’autres sujets, faire des farces, déconner, s’enrager contre nos ennemis, se raconter le dernier film qu’on avait vu, se raconter un peu nos vies personnelles, aussi. Vu de l’extérieur, ça devait avoir l’air interminable! J’imagine les faces de nos blondes : « Coudonc, les gars, une heure et demie au téléphone pour lire un texte de 4 pages, c’est pas un peu long… Le souper est prêt! ». J’allais quand même pas me priver de ça… Ça fait partie des plus beaux moments de ma vie. Merci Pierre.
Sinon, bien il y a tous nos autres « mauvais coups », comme on disait : les manifs, les assemblées politiques, les pétitions, les coups de gueule médiatiques et j’en passe. Tu te souviens de tout? Moi aussi. À jamais.
En fait, personne ne va t’oublier, Pierre, tu vas rester là, vivant parmi nous. Dans nos têtes, dans nos cœurs, dans nos âmes. Et ton œuvre est immortelle et universelle. On écoutera encore tes films dans mille ans, j’en suis sûr. On lira tes textes aussi. Ta dernière bataille, tu vas la gagner. Tu vas triompher de la mort. Tes idéaux, on va continuer de les porter. En tout cas, moi, je vais continuer de me battre. Plus que jamais. Et Patrick aussi. Et René. Et Côté. Et tous ces milliers de gars et de filles que tu as inspirés toute ta vie et qui ne t’oublieront pas.
Déjà, les hommages pleuvent. As-tu entendu Picard? Il t’a salué magnifiquement. As-tu lu les textes de Avard et de Brault? Tu aurais beaucoup aimé. Celui de VLB aussi. Et de Josée. Et de… J’arrête ici. C’est tout le Québec debout qui te rend hommage. Il reconnaît le plus flamboyant de ses fils. Le plus intègre. Et un grand artiste. Quant à ceux du Québec à genoux, ils ne méritent même pas qu’on s’attarde à leurs pseudo-analyses de ton œuvre et de ta personne. Ces morts-vivants ne m’atteignent pas. J’espère juste que le mépris de certains de ces « panseurs », comme tu l’écrivais, n’affectera pas Manon et les enfants. Mais ça m’inquiète pas trop, ils ont la couenne dure eux aussi. Tu nous as appris à donner des coups. Tu nous as appris à en recevoir. Et sache qu’on sera toujours là pour s’entraider, comme toi tu étais toujours prêt à aider tout le monde. À travers cette solidarité aussi, tu vas continuer à vivre mon Pierre.
Bon, je crois que je dois penser à conclure ce texte, mais j’ai la même tendance que toi en écriture, le talent en moins : une fois que le cerveau se met à bouillonner, comment s’arrêter, sur quelle note finir?
J’ai réécouté l’autre fois ton film À mort, réalisé avec Poulin. Tu le termines ainsi : « Tant que les Québécois auront peur de la mort, aucune lutte de libération nationale n’est possible ». Aujourd’hui, moi, je n’ai plus peur. Car le jour où je quitterai aussi cette planète (inquiète-toi pas, je ne suis pas pressé!), je sais que tu viendras m’accueillir avec ton grand sourire affectueux…
− Hey, Pierre-Luc, viens-t’en, c’est par ici!
− Tabarnak, Pierre, t’as recommencé à fumer!
− Ici, y’a pas de trouble, on peut pas mourir deux fois! Envoye, viens-t’en! Faut que je te présente Miron pis Perrault…
− Où est-ce qu’on va?...
− Suis-moi sur mon nuage, y sont toutes là, pis je me suis construit une tabarnak de belle galerie!...
− OK, c’est toi le boss, je te suis…
Aujourd’hui, j’ai plus peur, Pierre. Ils pourront bien nous crucifier dans les journaux, nous empêcher de travailler, nous arrêter, peu importe. Je vais continuer de me battre, pilant sur ma peur en pensant à toi. Tu m’as appris ça : repousser sa peur, la combattre, avancer pareil.
Tiens, le téléphone sonne! Qu’est-ce que c’est? Bien non, c’est pas toi! Un projet de livre? Une idée de manif? Une enquête à mener? La lutte continue.
Je t’embrasse, camarade. Je t’aime à mort.
Pierre-Luc
Pierre-Luc Bégin

Directeur

Éditions du Québécois

Québec, dimanche 27 septembre 2009


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