Je ne suis pas d'un naturel populiste. Quand j'ai lu, il y a un an, que le grand patron du Canadien national, M. Hunter Harrisson, avait touché une rémunération de 46,4 millions, en dollars américains, l'une des plus élevées de l'histoire du Canada, je n'ai pas grimpé aux rideaux.
Je ne me scandalise pas des revenus élevés des dirigeants d'entreprise. Ces rémunérations s'inscrivent dans une autre logique que celle des salaires. Et surtout, ce n'est pas en dénonçant ces revenus qu'on assure la justice sociale. Dans le cas de M. Harrisson, cette somme élevée s'expliquait par le fait que celui-ci avait exercé des droits d'option, et qu'il avait profité d'un régime d'intéressement lié à sa performance.
Mais j'avais quand même été un peu étonné parce que le CN n'est pas une compagnie de pointe que l'on associe aux salaires mirobolants. Sans oublier le fait qu'une grosse rémunération est une arme à double tranchant qui peut affecter la crédibilité d'un dirigeant d'entreprise quand celui-ci se retrouve dans une situation conflictuelle.
Et c'est ainsi qu'en février, quand les chefs de train et les manoeuvres ont déclenché une grève au CN, qui a paralysé le réseau ferroviaire pendant quelques jours, et que la compagnie a affirmé que les demandes syndicales étaient exagérées, j'ai eu du mal à réprimer un petit sourire. Le concept d'exagération, manifestement, était à sens unique.
D'autant plus que, quelques semaines avant cette grève, le CN annonçait des revenus record et une forte hausse des profits, qui atteignaient 2,09 milliards, ce qui a permis une augmentation du dividende. «Nous continuons à nous affairer, comme d'habitude, à récompenser nos actionnaires», a alors déclaré M. Harrisson.
Le salaire de M. Harrisson m'est revenu une autre fois en mémoire, au mois de mars, quand on a appris que le Bureau de la sécurité des transports du Canada forçait le CN à adopter des mesures de sécurité plus strictes à la suite de déraillements de trains qui se sont faits nombreux. Notamment deux déraillements en Alberta et en Colombie-Britannique, qui ont provoqué des déversements importants de produits toxiques. Mais d'autres cas, notamment à Montmagny, une ville qui a été ébranlée par deux accidents en pleine ville en moins de trois ans. L'organisme fédéral réclamait une révision complète des mécanismes de sécurité.
Les esprits paranoïaques voudront sans doute y voir une relation de cause à effet, et faire un lien entre les excellents résultats financiers du CN et, par voie de conséquence, la bonne fortune de son pdg, et les manquements en sécurité. Ne faisons pas ce saut. Mais on peut quand même se demander dans quelle mesure le nombre de déraillements et le niveau de sécurité des trains font partie des critères qui permettent de mesurer la performance du pdg.
Mais si on pousse la réflexion plus loin, le cas du CN soulève deux questions. La première porte sur les effets pervers de ce que l'on pourrait appeler la dictature de l'actionnariat. Dans un univers financier qui ne connaît pas de frontières, les capitaux sont plus mobiles et les exigences de rendement très élevées. Cela peut mener à des situations où les actionnaires exercent des pressions très fortes pour obtenir des résultats à court terme, parfois au détriment du succès futur de l'entreprise.
Il est normal qu'une entreprise récompense ses actionnaires, pour reprendre les termes du pdg, car ce sont les propriétaires. Mais une entreprise, surtout dans un service public, a d'autres obligations, envers ses employés, envers ses clients, mais aussi envers la collectivité. Les gens de Québec en savent quelque chose, parce que le CN refuse de payer sa part des travaux de réfection du pont de Québec.
L'autre question qui se pose, c'est celle de la propriété de l'entreprise. Le CN, de par la composition de son actionnariat, n'est probablement plus une entreprise canadienne. En soi, la mobilité des capitaux est une bonne chose et les barrières aux investissements sont un frein important au développement.
Mais dans un secteur stratégique, une entreprise dont la propriété est étrangère risque de moins bien servir les intérêts canadiens. Parce que ses priorités peuvent être ailleurs, parce que ses sensibilités pour le Canada ne seront pas aussi grandes, et parce qu'elle sera moins sensible aux pressions des gouvernements ou des citoyens. C'est une question qui est récemment revenue à l'ordre du jour avec les rumeurs sur l'achat de Bell par des intérêts américains.
La logique économique pure ne sert pas toujours parfaitement le bien commun et l'intérêt public dans des secteurs d'activité qui sont des services collectifs qui jouent un rôle stratégique pour une société.
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