Lorsque la conscience devient trop à l'étroit

À la croisée des chemins, des choix s'imposent

Les organisations de toute nature doivent se poser des questions

Tribune libre


Ce n’est pas d’aujourd’hui que le monde, les peuples, les nations, les églises se retrouvent à la croisée des chemins. Ce sont des moments de l’histoire qui cumulent en concentré des antagonismes qui obligent à des choix. L’époque que nous vivons n’y échappe pas, d’autant moins que la mondialisation nous fait voir avec encore plus de clarté la polarisation des grandes forces qui s’affrontent dans le monde. D’une part, il y a ce cri des peuples qui dénoncent les systèmes dans lesquels ils sont toujours de plus en plus enfermés et qui réclament liberté, justice, vérité, respect et dignité. D’autres part, il y a cette résistance de ceux et celles qui ne veulent pas se priver d’un système qui les sert si bien.
Un peu partout à travers le monde émergent de nouveaux gouvernements qui se font solidaires des revendications des peuples et qui font entendre ce cri de changement au sein des organisations internationales, dénonçant les vices cachés d’un système de moins en moins démocratique et de plus en plus oligarchique. Aux diverses questions qui se posent, il y a, entre autres, celle de savoir si le système, bâti sur le « néolibéralisme », est en mesure de répondre, par lui-même et « prioritairement », aux impératifs du bien commun des sociétés. En d’autres mots, les entreprises privées, les compagnies, les banques qui opèrent sur la base du rendement et du profit peuvent-elles, sans se pénaliser elles-mêmes, donner priorité à la promotion et au respect des besoins les plus fondamentaux des peuples sur la base desquelles se développent les sociétés? Peuvent-elles, sans dévier de la logique de leurs propres intérêts, faire intervenir les intérêts supérieurs de tous les citoyens et citoyennes d’une nation à l’éducation, à la santé, à l’alimentation, à l’habitation et à leur participation pleine et entière au développement social, politique, culturel et économique de leur société?
Je pense que les hommes et les femmes d’affaires tout autant que les compagnies nationales et multinationales sont les premières à reconnaître qu’ils ne sont pas là pour faire la charité ou l’humanitaire, mais pour faire des profits à la hauteur des attentes de leurs actionnaires. Personne ne peut les en blâmer, c’est dans la nature même du néo-libéralisme qui les inspire et les soutient. Ce dernier leur donne le pouvoir d’être roi et maître des richesses de la terre et d’en disposer selon leurs propres règles. Seule leur générosité naturelle permettra, de répondre aux besoins des peuples. Elles donneront à des églises pour leurs bonnes œuvres de charité, soutiendront des organismes à vocation humanitaire, mais se garderont bien de soulever la nature des causes de cette pauvreté qu’ils préfèreront soulager par la charité plutôt que de la guérir par la justice.
Malheureusement, l’histoire et les faits démontrent que cette générosité est non seulement insuffisante, mais dans bien des cas, devient un handicap à la prise en main par les populations de leur propre développement. Cette prise de conscience de la part de nombreuses églises et organismes d’aide humanitaire les rend nerveux. Ces dernier parlent de plus en plus de la nécessité de passer de la médecine de soulagement à celle de la guérison. Ces élites oligarchiques deviennent encore plus nerveuses lorsque des gouvernements, indépendants, souverains et fortement démocratiques leur rappellent que le néolibéralisme qu’ils pratiquent n’est pas une référence « absolue » et qu’il doit s’ajuster aux impératifs du bien commun et à la saine gestion de l’État qui en assure le respect et le développement. Ce dernier ne saurait le faire sans mettre des mesures contraignantes à leur endroit. Par exemple : déterminer la valeur des richesses exploitées sur son territoire, s’assurer que les salaires payés aux travailleurs sont suffisants, établir des règles assurant la protection de l’environnement, fixer les limites au-delà desquelles ils empiètent sur les prérogatives de l’État, fixer les obligations fiscales équitables à leur endroit comme il le fait pour l’ensemble des citoyens et citoyennes. Cette intervention de l’État s’impose en raison même de son mandat d’assurer la participation de tous et de toutes à la réalisation du Bien commun de la société.
Il est évident que sur la base de ces principes, il est difficile de s’opposer à la logique d’un tel raisonnement. Mais, dans la pratique, il y a bien des moyens d’en contourner les implications. Ce n’est pas pour rien que, dans nos démocraties représentatives, la participation financière des entreprises nationales et multinationales sont si importantes et sophistiquées. Elles ont tout intérêt à ce que les représentants du peuple, les élus, soient également et prioritairement leurs représentants à eux sur les questions essentielles à leur développement et à leur rendement.
Ainsi, sans nier les prérogatives de l’État quant à sa responsabilité relative au bien commun de la société, elles s’assurent à l’avance que ces élus prendront garde de ne pas s’interposer dans la dynamique de leur propre développement comme entreprise. Tout un langage sera créé pour couvrir cette complicité. On parlera de la nécessité de créer de la richesse pour pouvoir répondre aux besoins fondamentaux de la société, on parlera de l’efficacité du privé dans la gestion des projets et la livraison des services en santé, en éducation etc. Les avantages tout comme les subventions qui leur seront consentis se justifieront par la nécessité de créer de l’emploi. Ainsi les oligarchies économiques peuvent poursuivre leurs activités dans la pure logique du néolibéralisme en pouvant compter sur des gouvernements qui leur ouvrent la voie tout en les convertissant en de véritables intervenants humanitaires. Pas surprenant que nos interventions militaires en pays étrangers soient de plus en plus présentées comme des interventions humanitaires. La mise en scène est presque parfaite. Si ce n’était de l’éveil des consciences et de l’information alternative qui en démasquent les dessous, elle passerait comme du beurre dans la poêle.
Des choix s’imposent de plus en plus et ils ne peuvent venir de ceux et celles qui sont bénéficiaires de la situation actuelle. Ces derniers seront, au contraire, de farouches adversaires à tout changement substantiel de nature à faire de la justice, de la vérité, du respect, de la liberté des objectifs accessibles à toutes les personnes et à toutes les communautés. Cette fois-ci les choix sont plus fondamentaux et radicaux. Les résistances seront également sans merci.
Heureusement que la voix de la conscience, toujours plus forte et plus libre, porte en elle la vie et l’espérance. Elle est tout le contraire de la langue de bois qui est aride et sans vie. Au Québec, de plus en plus de voix s’élèvent pour se faire entendre, non plus comme l écho d’un parti, d’une organisation ou d’une église, mais comme une conscience qui porte des valeurs et des principes qui font parties d’elle-même. Amir Khadir est certainement une de ces voix qui demeure fidèle à ce qu’il est et à ce qu’il pense. Il en est sans doute de même pour les trois démissionnaires du Parti Québécois qui veulent retrouver cette liberté et cette honnêteté de conscience souvent trop à l’étroit dans la camisole de force d’un parti, d’une église ou d’une organisation. De plus en plus nombreuses sont ces voix qui se font entendre en toute liberté, en tout respect mais aussi en toute fermeté.
Il en va de même pour les peuples qui surmontent les campagnes de peur pour s’engager dans des campagnes de changement. C’est ce qui vient de se passer au Pérou où le parti Gana Peru vient de remporter, contre toute attente, la victoire aux élections du 5 juin dernier. Dès le lendemain, soit le 6 juin, la bourse a chuté comme jamais auparavant. Les bénéficiaires des régimes corrompus qui dirigent le Pérou depuis des décennies ont pris panique. Le peuple a décidé que le temps était venu de changer cet état des choses et de faire de tous les péruviens et péruviennes des membres à part entière de la société. Que vont dire les chantres de la grande démocratie pour laquelle nous envoyons nos soldats se battre dans les pays étrangers? Ils se font pour le moment passablement discrets sur cette victoire de la démocratie au Pérou. C'est comme s'il y avait une bonne et une mauvaise démocratie.
Nous sommes tous à la croisée des chemins et le temps est venu de faire des choix. Ces choix ne portent pas sur des idéologies, mais sur des valeurs fondamentales qui doivent être à la base de toute société : justice, vérité, souveraineté, respect, liberté, compassion et dignité. Ces valeurs interpellent tout autant ceux que l’on qualifie de « droite » que ceux que l’on qualifie de « gauche ». Ce sera à leur capacité de répondre à ces objectifs qu’ils révèleront leur véritable nature. Tout le reste ne saurait être que du maquillage ou du bla-bla-bla.
Oscar Fortin
_ Québec, le 7 juin 2011
_ http://humanisme.blogspot.com

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citoyen du Québec et du monde

Formation en Science Politique et en théologie. Expérience de travail en relations et coopération internationales ainsi que dans les milieux populaires. Actuellement retraité et sans cesse interpellé par tout ce qui peut rendre nos sociétés plus humaines.





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